Juil / 07
Fin juin 2022, la sénatrice de Paris Esther Benbassa a déposé une proposition de loi afin d’inscrire l’absence du consentement « libre et éclairé » comme un nouveau facteur de définition d’une agression sexuelle. Elle défend que la loi actuelle, définissant le viol par un acte de pénétration avec « violence, contrainte, menace ou surprise », est insuffisante. Aujourd’hui, sur les 14000 plaintes pour viol ou tentative de viol, seuls 1200 d’entre elles aboutissent à une condamnation. Entretien.
Violences sexuelles : « Seul un oui est un oui »
Pourquoi souhaitez-vous inscrire le non-consentement dans le code pénal pour lutter contre les violences sexuelles ?
Depuis maintenant plusieurs années, la société civile s’organise contre les violences sexistes et sexuelles. Et aujourd’hui, malgré le mouvement #MeToo, les réseaux sociaux, les groupes de parole, les victimes ont toujours du mal à porter plainte. Selon les chiffres des associations, près de 94 000 femmes – âgées de 18 à 75 ans – disent avoir été victimes de viols ou de tentatives de viol sur une année. Parmi elles, environ 14 000 femmes ont porté plainte. Et seulement 1200 plaintes – soit 1,3% des viols ou tentatives de viol – aboutissent à une condamnation. Nous devons donc les accompagner dans leurs démarches judiciaires. C’est un parcours douloureux : il est toujours difficile d’aller porter plainte au commissariat. Encore aujourd’hui, des policiers ne sont pas formés aux violences sexistes et sexuelles.
Comment faire alors ?
Aujourd’hui, selon la loi actuelle, pour caractériser un viol ou une tentative de viol, il faut qu’il y ait « violence, contrainte, menace ou surprise ». Derrière ces quatre facteurs, on retrouve implicitement le concept de non-consentement. Ce non-consentement n’est pas explicitement inscrit dans la loi. Il n’existe pas. C’est pourquoi, mon but est d’inscrire l’absence de consentement « libre et éclairé » dans le code pénal. Ce ne sera donc plus sous-entendu, mais cela sera expressément écrit dans le texte. De cette façon, dans un second temps, cela va créer une sorte de balancier où le poids de la preuve ne pèsera pas uniquement sur la victime mais aussi sur l’agresseur présumé. Dans la disposition actuelle, c’est à la femme de montrer qu’elle a été violentée, contrainte, menacée ou surprise. Avec le changement de la loi, l’agresseur devra prouver qu’il y a eu consentement. Dans ce balancier, tout ce qui n’a pas reçu de consentement explicite sera considéré comme une violence sexuelle. Pour préparer notre texte, déposé au sénat le 22 juin dernier et disponible en ligne*, nous avons notamment auditionné des avocates spécialisées et des associations sur le sujet, afin d’inscrire la notion de consentement sexuel libre et éclairé dans les articles 222-22 et 222-23 du code pénal.
Comment s’assurer qu’un oui est un oui ? Faudra-t-il le dire ?
C’est simple. Seul un oui est un oui. Et un non, c’est un non. Tout rapport non-consenti pourra être considéré comme un viol. Il peut y avoir plusieurs cas de figure. Par exemple, une personne dans un état alcoolisé ou drogué, est-ce qu’elle a donné son consentement ou non ? Ce sera à l’agresseur présumé de le prouver.
Esther Benbassa lors de la conférence de presse du 28 juin 2022 sur la proposition de loi relative au consentement sexuel des adultes ©Mariana Pires da Silva
Vous pensez qu’il sera possible de changer la loi ?
Actuellement, ma proposition de loi ne passera sans doute pas au Sénat. Mais elle fera son chemin. En 2011, quand j’ai été élue sénatrice, j’ai fait une proposition de loi pour le mariage pour tous. Quand en 2014, j’ai proposé la légalisation du cannabis, des sénateurs ont poussé des cris. Aujourd’hui, cela a changé. Et vous verrez : le cannabis sera bientôt légalisé. C’est en faisant des propositions que les mentalités changent. Nous débattons d’un texte. Nous donnons des arguments pour, d’autres sont contre. C’est la base de la démocratie. En 2021, le Sénat a largement adopté une loi fixant le seuil de non-consentement à 15 ans. Toute pénétration ou tout rapport bucco-génital sur mineur de 15 ans et moins, par une personne majeure, est aujourd’hui considéré comme un viol. C’est déjà une bonne chose. La loi peut donc changer.
Où se situe la France par rapport à d’autres pays européens ?
La France est en retard. Actuellement, douze pays européens – dont la Suède, la Belgique, Malte ou encore le Royaume-Uni – ont adopté dans leur législation le terme de consentement sexuel. L’Espagne est sur le point dans les prochaines semaines d’adopter définitivement une loi qui s’appelle « solo si es si » : seul un oui est un oui.
Est-ce que le consentement « libre et éclairé » peut empiéter sur la présomption d’innocence ?
La présomption d’innocence est au fondement même de l’État de droit. Mais il ne s’agit pas ici d’opposer le consentement à la présomption d’innocence. Cela serait totalement contre-productif. Aujourd’hui, un violeur peut dire que comme il n’y a pas eu de violence, contrainte, menace ou surprise, la personne agressée a consenti à la relation sexuelle. C’est une présomption de consentement. Mon objectif est d’exclure la présomption de consentement en vigueur dans les textes. Cette notion de consentement pourrait s’appliquer dans certains cas, comme pour une femme alcoolisée ou droguée, qui a été violée sans être violentée. A titre personnel, j’ai été très touchée par le procès de la touriste canadienne, Emily Spanton, qui a été violée, en 2014, par des policiers au 36 quai des Orfèvres. En première instance, les policiers avaient été condamnés à sept ans de prison pour viol par un jury du tribunal de Paris. Mais ils ont finalement été acquittés en appel lors de leur procès en 2022. Comment est-ce possible ? Au premier procès, qui s’est déroulé à Paris, le jury – composé de citoyens tirés au sort – a estimé à juste titre qu’il y avait eu viol. Mais l’appel a eu lieu à Créteil, avec une population de classe moyenne plus conservatrice. Les policiers ont décrit la jeune femme comme une fille « ouverte ». Et les jurés ont alors jugé que la jeune femme était habillée légèrement, qu’elle était très alcoolisée, qu’elle n’avait pas le comportement d’une femme qui ne voulait pas d’une relation sexuelle. Ils ont donc acquitté les policiers. C’est en inscrivant le consentement libre et éclairé dans le code pénal que l’on peut éviter ce genre de jugement.
Il faut un changement dans les mentalités. Dans son roman La Discrétion, l’écrivaine Faïza Guene peint l’image du cow-boy viril qui coince la jeune femme. Parfois, la fille se débat, elle respire fort et dit à voix basse « Johnny nooo, please, nooo ». Elle chuchote, c’est à peine audible, et, de toute manière, Johnny se fout de ce qu’elle raconte, Johnny, comme tous les cow-boys, confond le Non avec le Oui.
C’est la base du patriarcat. Jusqu’à récemment, on disait d’une femme qui ne voulait pas d’une relation : « Elle est timide. Elle dit non, mais en fait elle veut ». Il fallait insister. On parlait de drague lourde. Aujourd’hui encore, des femmes sont parfois obligées à l’acte sexuel dans le couple. Des femmes de plus de 75 ans sont violées par leurs maris. Et il faut rappeler que le consentement peut s’arrêter au milieu de l’acte sexuel. Une femme peut consentir jusqu’à un certain moment, mais si la personne en face brise le « contrat » en voulant pratiquer une sodomie ou une autre pratique non-consentie, alors elle peut dire non. Seul un oui est un oui.
Propos recueillis par Aziz Oguz
Crédit photo ©Mariana Pires da Silva
*proposition de loi relative au consentement sexuel des adultes (senat.fr)