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Juin / 20

Une jeunesse cible des paris sportifs

By / Marc Cheb Sun /

Une jeunesse cible des paris sportifs

Devant votre rame de métro, sur vos smartphones ou encore sur votre télé, les publicités pour les paris sportifs ont littéralement envahi l’espace public. Comment ces publicités qui ciblent la jeunesse se sont-elles banalisées au sein de notre société ? Ces campagnes marketing visent les plus précaires et entraînent bon nombre d’entre eux vers une addiction nocive. 

Le nombre de parieurs sportifs a augmenté de 29 % au premier trimestre 2021 par rapport à la même période, l’an dernier, selon les chiffres de l’Autorité nationale des jeux. Aujourd’hui en France, 2,5 millions de comptes sont actifs sur les sites de paris en ligne. Des chiffres lourds, en adéquation avec la multiplication des publicités de paris sportifs.

Mady a 23 ans, ce jeune-homme originaire d’un arrondissement populaire de la capitale a joué son premier pari à l’âge de 16 ans.  « C’était une vraie découverte pour moi. Aller au tabac et jouer, c’était un événement. Je voulais gagner de l’argent pour être indépendant. Je touchais une bourse de 300 € tous les 3 mois et cette somme là, je la mettais de coté pour parier plus gros ».

Cet employé dans une entreprise de maintenance énergétique se considère comme addict. Dès ses 18 ans, il s’est créé un compte sur un site de paris en ligne : « Il y avait une offre de 100 € de bienvenue et j’ai commencé à parier quotidiennement ». En 2018, Mady a pris une année sabbatique lorsqu’il n’a pas trouvé d’alternance pour son BTS. C’est à ce moment-là que son addiction s’est développée. « C’était un peu la seule façon de gagner de l’argent légalement sans causer de problème à mon entourage ». À cette période-là, Mady mise jusqu’à des sommes à trois ou quatre chiffres sur des matchs de foot. Et l’adrénaline prend le dessus sur la raison : « Je suis conscient que je suis faible. Je suis tellement habitué à gagner de l’argent… Si je n’ai pas ma dose, je pète un câble. C’est clairement de la faiblesse. J’aimerais bien mieux gérer mes émotions et moins jouer sur des coups de tête. Je regrette d’être entré dans cet univers. L’argent que j’ai gaspillé m’aurait permis de faire beaucoup de choses dans ma vie ».

Depuis ses 16 ans, Mady affirme avoir dépensé plus de 70 000 € dans les paris sportifs. 

 

Des internautes se dressent face aux publicités

La stratégie marketing de ces entreprises est vieille comme le monde, mais elle marche plus efficacement avec les nouvelles technologies.

La population « classique » des personnes addict au jeu prenant de l’âge, il était donc nécessaire de rajeunir la cible. Statistiquement, les quartiers populaires souffrent le plus des maux liés aux paris sportifs, à savoir l’addiction et l’endettement. Et toutes les stratégies marketing de ces sites visent ces milieux en reprenant clairement certains de leurs codes dans leur contenu promotionnel.

On remarque une réelle fusion entre la culture foot et les sites de jeux. L’idée communiquée, c’est que si tu connais bien le foot, tu es un bon parieur. Le tout porté par des stars du ballon rond. Comme s’il n’y avait plus d’intérêt à regarder un match, sans parier dessus…

Ces derniers jours, des internautes sur Twitter se sont insurgés face à ces méthodes. Quentin, étudiant en communication, a lancé un hashtag pour boycotter toutes ces fameuses publicités : #NoBetNoDette : « L’idée est de sensibiliser les gens face au danger que peuvent représenter les paris sportifs, explique-t-il. »

« Aujourd’hui, des milliers et des milliers de personnes souffrent d’endettement et d’addiction ; il est important de rappeler que c’est un vrai problème et pas juste un « jeu », comme le suggèrent les campagnes de communication menées par les célèbres institutions de paris ».

L’objectif du hashtag est de réveiller les consciences: «L’action peut s’organiser collectivement de manière beaucoup plus significative. C’est justement cette dimension collective et la visibilité des réseaux sociaux qui peut potentiellement déclencher des actions plus importantes : une entrée dans le débat public, pour se rendre compte de la nécessité d’une régulation».

Comportements addictifs inquiétants

L’addiction se définit par une dépendance très forte entraînant une conduite compulsive. Un addict perd en quelque sorte sa propre liberté et devient esclave de son comportement : une emprise tyrannique qui crée des dommages collatéraux.

Thomas Gaon est psychologue clinicien du centre médical Marmottan. Il s’occupe depuis une quinzaine d’années des addictions comportementales, notamment aux jeux vidéo et aux jeux d’argent.

Il nous explique comment l’addiction aux jeux se distingue des autres formes de dépendance: «Les distinctions sont multiples et elles sont principalement liées à la stigmatisation sociale. Une maladie, c’est aussi une étiquette. Être joueur d’argent, c’est mentir. C’est extrêmement tabou d’avoir des problèmes avec les jeux d’argent en France. Donc ce sont des gens qui dissimulent énormément. Un des points centraux du joueur, c’est l’optimisme pathologique. Il est persuadé qu’il va se refaire et que tout va s’arranger. Il pense toujours maîtriser la situation alors qu’il ne maîtrise rien ».

Au centre de soins et d’accompagnement des pratiques addictives de Marmottan, les patients sont accompagnés dans des démarches administratives, médicales, sociales et psychologiques. Pour Thomas Gaon, la première étape pour avancer et compter moins de personnes victime de ce phénomène serait de reconnaître que ces jeux ne sont pas un moyen de gagner de l’argent et de diffuser leur dangerosité. 

60 % des revenus des jeux d’argent sont faits par 1 % des joueurs qui sont les joueurs pathologiques. 

 

En France, ce problème reste pris à la légère. Il existe environ 500 centres d’addictologie seulement, dont moins de 100 sont avérés compétents sur la question des jeux d’argent. Pour Thomas Gaon, il y a un vrai manque de moyens : « En terme de financement des soins, en terme de recherche sur la prévention, c’est très insuffisant ».

La loi Evin date de 1991 : pourquoi pas ne pas interdire les publicités pour les jeux d’argent de la même manière que celles pour le tabac ? L’État qui, grâce à la Fédération Française Des Jeux, a détenu pendant longtemps le monopole des jeux de hasard et d’argent (72% du capital de 1976 à 2018) ne  prend pas la mesure du problème. Malgré les campagnes de prévention, les publicités sont de plus en plus nombreuses et les joueurs toujours plus endettés. La jeunesse, elle, en paye le prix.

 

Amir Boulal

 

  • APS Contact, Centre de soins, d’accompagnement et de Prévention en Addictologie en Seine et Marne : 01 64 08 99 47
  • Joueurs Info Service : 09 74 75 13 13
  • asso.fr, le site de l’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie (ANPAA)

http://www.hopital-marmottan.fr

Marc Cheb Sun