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Oct / 30

Théâtre post colonial : 3 hargnes, 3 révoltes

By / Soufyan Heutte /

Théâtre post colonial : 3 hargnes, 3 révoltes

Révoltés. Triade de révoltes. Algériens, communards et Kanaks. Un lien. Leur oppresseur commun : la France coloniale. Cette France « civilisatrice » qui a apporté le français sur cinq continents. Ces histoires. Cette Histoire, notre Histoire. « L’histoire n’est pas le passé, c’est le présent », écrivait Baldwin dans ‘I Am Not Your Negro’, son livre posthume. AbdelWahed Sefsaf n’aurait pas pu mieux incarner cela. Sa dernière création, ‘Kaldûn’, en est l’illustration. Dignité, grâce, puissance pulsent et cadencent la pièce.

 

Kaldûn, c’est le nom donné à la Nouvelle-Calédonie par les Algériens déportés en 1871. 1871, c’est le début et la fin de la Commune de Paris avec son lot de massacres et de déportations aux antipodes.

Dans l’Histoire humaine, il est singulier qu’un même oppresseur réunisse à un même endroit, trois colères, trois hargnes, trois soulèvements. Un croisement des révolutions. Au propre comme au figuré. Si l’Algérie a été la Mecque des révolutionnaires. Assurément, la Nouvelle-Calédonie a été leur Médine anachronique.

Et à Kaldûn de faire se croiser des figures illustres issues de ce trident d’insurgés. Aziz, fils du cheikh al-Haddad, un des leaders de la révolte de Mokrani en Kabylie. Louise Michel, la louve rouge, communarde sur les barricades. Ataï, le grand chef kanak qui se battit contre l’armée coloniale. À partir de l’Histoire, AbdelWahed Sefsaf s’amuse à imaginer leur rencontre, leurs discussions, le partage de leurs idéaux. Aujourd’hui, on parlerait de « convergence des luttes ».

Sur les planches, ce sont près de vingt comédien·ne·s, musicien·ne·s et chanteur·euse·s qui évoluent.

La mise en scène, le texte, la scénographie nous invitent à nous immerger dans ce passé reconstitué. Nous replongeant en enfance par moment, nous prenant aux tripes bien souvent, et nous laissant en suspens, le texte étant caisse de résonance. Un texte écrit au fusain, mêlant écrits historiques à la plume d’AbdelWahed Sefsaf.

La mise en scène oscille entre des tableaux qui donnent vie à cette troupe de révolutionnaires, des paroles plus pédagogues et des chants vibrant d’intensité. Le tout mit en valeur par des décors tout en grandeur et inventivité. Le résultat est sublimement saisissant. Les 2h50 (avec 20 minutes d’entracte) semblent trop courts. L’on demande que la pièce se prolonge. Qu’elle continue à nous compter ces récits. Récits qui sont autant de cris qui s’invitent dans notre actualité bouleversée.

Sur les planches, ce sont près de vingt comédien·ne·s, musicien·ne·s et aussi chanteur·euse·s qui évoluent. Leur générosité artistique rend palpables et crédibles les instants de vie récréés. Une dialectique théâtrale qui remet l’église au centre du village. Une pièce qui fusionne mémoire et Histoire·s. Un spectacle pour tous, connaisseurs de ces Histoires ou non, initiés au théâtre ou non.

Frantz Fanon, un autre damné de la terre, nous apprenait que « Chaque génération doit, dans une relative opacité, affronter sa mission : la remplir ou la trahir », AbdelWahed Sefsaf a rempli sa mission. Et ce, avec brio. Bas est le chapeau.

 

Soufyan Heutte

Photos répétitions : Christophe Raynaud de Lage.

Kaldûn a bénéficié d’une création au Théâtre Molière, Scène nationale de Sète Archipel de Thau

 

Après sa première au théâtre Molière le 19 octobre, voici les prochaines dates :

La Comédie de Saint-Étienne–CDN du 14 au 17 novembre 2023

Théâtre des Quartiers d’Ivry CDN du Val-de-Marne du 23 au 26 novembre 2023
Théâtre de Sartrouville et des Yvelines–CDN du 29 novembre au 2 décembre 2023.
Sémaphore de Cébazat le 7 décembre 2023

Célestins, Théâtre de Lyon du 13 au 17 février 2024

Le Carreau, Scène nationale de Forbach et de l’Est mosellan le 14 mars 2024

Soufyan Heutte