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Mar / 08

Reza : « La révolution des femmes devient mondiale »

By / Florian Dacheux /

Reza : « La révolution des femmes devient mondiale »

Il y a six mois, Mahsa Amini, une Kurde iranienne de 22 ans, est décédée en détention à Téhéran trois jours après son arrestation par la police des mœurs pour une mèche de cheveux échappée de son foulard, déclenchant un mouvement de protestation inédit dans tout le pays. Très vite, les manifestations se sont transformées en protestations contre le régime des mollahs, au pouvoir depuis 44 ans. Installé en France depuis son exil en 1981, le photojournaliste franco-iranien Reza, réputé pour son engagement pour une société plus juste et plus libre, suit avec attention ce mouvement de contestation dans son pays natal. Selon lui, il s’agit bien plus que d’une révolution des femmes pour les femmes. Entretien.

"L'envol", Etretat, France, 2008. La danseuse contemporaine soufie Sarah Deghan. © Reza

Vous êtes membre du collectif de soutien aux manifestants « Barayê », créé début octobre. Vous avez notamment pris part à une manifestation à Bruxelles le 20 février pour demander à l’Union européenne d’ajouter le Corps des gardiens de la révolution iraniens à sa liste d’organisations terroristes… Qu’en est-il ?

Partout, dans l’histoire, il y a toujours eu un décalage entre une demande d’un peuple et les volontés politiques des gouvernements. Le peuple iranien comme d’autres peuples du Moyen-Orient comme les Syriens, les Libanais, les Saoudiens, les Yéménites, une partie des Afghans, les Baloutches au Pakistan, ou encore les Kurdes, sont contre le Corps des gardiens de la révolution iraniens. Toutes ces communautés ont été victimes des terreurs commises par ce groupe, ce même groupe auteur d’au moins 500 assassinats politiques d’Iraniens à l’étranger ces 44 dernières années. Ce même groupe responsable de la mort d’un demi-million de Syriens. A l’heure actuelle, le Parlement Européen ou les Américains entre autres, ont d’autres intérêts, d’autres raisons pour lesquelles ils veulent garder les gardiens de la révolution. Il y a eu quelques sanctions dans certains cas mais elles n’ont pas eu grand effet sur ce groupe terroriste. La commission européenne nous dit qu’il n’y a pas de possibilité juridique pour les déclarer comme groupe terroriste. Or c’est ce même groupe qui fournit des drones aux Russes pour la guerre en Ukraine. Nous, les Iraniens activistes, avons malheureusement ce sentiment que les pays de l’Occident, malgré leur parole et l’apparence de condamnations, ont besoin de garder la république islamique comme elle est, sans vraiment aider l’opposition à construire un gouvernement libre et démocratique.

 

Ces images de femmes brûlant leur voile ou se coupant les cheveux en pleine rue sous le slogan « Femme, vie, liberté » ont fait le tour du monde. Des cris « Mort au dictateur » ont ensuite retenti. Cela signifie-t-il qu’il n’y a plus de retour en arrière possible pour les Iraniens ?

Il s’agit d’une vraie révolution menée par les femmes, c’est le point le plus important de ce qui se passe aujourd’hui en Iran. Certes, des hommes manifestent également, mais ce sont les femmes qui sont sur le devant de la scène. Des écolières ont déchiré des photos de dirigeants religieux dans leurs livres. Depuis, près d’un millier de jeunes filles ont été empoisonnées par voies respiratoires, victimes de substances gazeuses dans leurs établissements scolaires. Le régime a choisi la main de fer, en assassinant, en torturant, en kidnappant, en violant. Mais cette fois, les Iraniens ont perdu la peur. Six mois après, on les entend moins dans la rue. Mais il reste des braises sous les cendres. Il suffit d’une seule étincelle. L’autre symbole important dans cette révolution, c’est le renversement du turban des mollahs. Des dizaines de vidéos circulent sur les réseaux sociaux. On y voit des Iraniens, souvent jeunes, renverser ou jeter le turban des mollahs, signe qu’il n’y a plus de respect envers cette élite religieuse. Près de 80% des Iraniens ne veulent plus entendre parler ni de Dieu, ni d’Allah, ni de l’islam. Ils deviennent de plus en plus athées. On le remarque notamment dans les discussions des jeunes sur les réseaux sociaux.

Reza à Bruxelles le 20 février 2023. © Anvar Mir Satar

« Plus il y aura de femmes dans les organisations internationales, plus on avancera vers la paix »

La lutte des femmes en Iran contre le port obligatoire du voile islamique peut-elle contribuer selon vous à l’émancipation de toutes les personnes discriminées en Iran ?

Oui, car en réalité la lutte des femmes en Iran n’est pas seulement une histoire de voile ou d’hijab. C’est un symbole. A partir du moment où vous obligez quelqu’un à s’habiller comme vous le souhaitez, c’est une discrimination totale. Le port obligatoire du voile, ce n’est pas humain, c’est une prison. En Iran, les femmes sont doublement discriminées. Mais cette discrimination est aussi valable pour de nombreux peuples vivant en Iran. Je pense notamment aux Turques, Azerbaïdjanais, Baloutches, Kurdes, Arabes, Lors, Kachkaïs, Bakhtiâri qui ont leurs propres langues et propres cultures. Toutes ces communautés sont discriminées par ce régime islamique qui veut répandre le chiisme partout.

 

Vous qui vous présentez davantage comme un photographe de « paix » et non de « guerre », quel message souhaitez-vous faire passer en ce 8 mars, journée internationale des droits des femmes ?

En couvrant les guerres en tant que pacifiste pour montrer le malheur des survivants, je me suis rendu compte assez vite que l’une des solutions pour nos sociétés est d’avoir de plus en plus de femmes dans les postes de preneurs de décision, dans le monde des médias, de la culture, de l’éducation. Plus il y aura de femmes dans les gouvernements du monde entier, dans les organisations internationales, plus on avancera vers la paix. C’est pourquoi j’ai créé Aina en 2001 à Kaboul, une ONG qui forme les populations au journalisme par le développement d’outils pédagogiques. Plus de 20 ans après, on a formé un millier de femmes afghanes. Malgré le retour des talibans depuis un an et demi, on ressent que nos formations ont eu un impact, car avec les bases transmises, elles peuvent témoigner. On le ressent aujourd’hui dans les rues de Kaboul. Les productions réalisées leur ont donné confiance. La résistance continue, quoi qu’il arrive. Iran, Afghanisatan, Soudan, Tunisie, Liban… La révolution des femmes devient mondiale. Mais il faut des appuis et des soutiens. Car sans aide, tout cela peut devenir des cendres. Espérons la libération des peuples. Espérons plus de moyens et de possibilités pour les femmes du monde entier.

 

Avez prévu une action particulière prochainement ?
L’ONG Lawyers for Women, basée à Paris, diffusera mon clip sur le thème « Femme Vie Liberté » lors de leur conférence internationale sur l’universalité des droits des femmes ce jeudi 9 mars. Ce jeudi aura lieu également le vernissage de l’exposition « 1979-2023, l’Iran en révolutions » qui se tiendra jusqu’au 7 mai chez Geopolis, un centre de photojournalisme situé à Bruxelles. Je m’y rendrai le 13 avril pour une rencontre et des échanges. Je serai également présent le 17 avril au Théâtre du Chatelet à Paris pour le deuxième concert de soutien organisé par le collectif Barayé en solidarité au mouvement « Femme Vie Liberté ».

 

Recueilli par Florian Dacheux

(© portrait noir et blanc de Reza Deghati par Claude Truong)

Florian Dacheux