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Juil / 26

Quand Rébecca Chaillon s’attaque à la misogynoire

By / Florian Dacheux /

Programmée sur la scène du Gymnase Aubanel dans le cadre du Festival In d’Avignon 2023, Carte Noire Nommée Désir s’attaque à une discrimination méconnue qui touche les femmes noires : la misogynoire. Signée Rébecca Chaillon, cette performance théâtrale fait voler en éclat avec brio l’inconscient colonial français et son cortège de clichés exotisants et érotisants qui enferment les corps des femmes noires. Par son dispositif scénique, la metteuse en scène originaire de Montreuil offre des perceptions différentes, selon la place que l’on occupe, au théâtre comme dans le monde. Une manière d’interroger la construction de son propre désir quand on n’est ni homme, ni blanche… Présente à la générale (ndlr : dernière répétition avant la première représentation) du spectacle au soir du mercredi 19 juillet, Zem-Zem a pris la claque de sa vie. Celle qu’elle attendait depuis sa rencontre avec le théâtre en tant que femme noire. Elle témoigne pour D’Ailleurs & D’Ici.

Quand Rébecca Chaillon s’attaque à la misogynoire

Le mercredi 19 juillet, j’ai vu la pièce de théâtre qui a bouleversé ma vie ! J’ai vécu une véritable performance théâtrale. J’ai aimé la scénographie qui donne une photographie comme au cinéma, sublime. En tant que femme noire faisant partie du monde théâtral, j’ai longtemps attendu un spectacle comme celui-ci. Un spectacle qui ne raconterait pas simplement une histoire à laquelle je puisse m’identifier, mais mon histoire, notre histoire en tant que femme noire, racisée, dans un pays majoritairement blanc comme la France. Un spectacle qui nous raconte dans toutes nos complexités et nos différences. Cela questionne à la fois sur la vision qu’on peut avoir de la femme noire dans la société actuelle et comment se perçoivent les femmes noires entre elles. Ce mélange rend la pièce totalement universelle. C’est une expérience incroyable, peu importe ta couleur de peau.

« Elles nous regardent, nous parlent, à nous femmes noires »

En invitant, si elles le souhaitent, les femmes noires et métisses afro-descendantes, cisgenre, transgenre ou non binaires à s’asseoir dans un espace dédié afin de vivre une expérience différente des autres spectateurs (hommes et femmes blancs ainsi qu’hommes noirs installés dans les gradins de l’autre côté du plateau), tu comprends alors que s’ils nous ont proposés de nous séparer, c’est pour nous faire passer des messages à nous femmes noires. Dès le départ, sur scène, une femme noire fait de la poterie, une autre fait le ménage de plus en plus intensément. Elles nous regardent, nous femmes noires. Il y a pas mal de moments où tu te demandes si tu dois interagir avec les comédiennes ou non. Rebecca Chaillon met en lumière la considération de la femme de couleur dans la société actuelle. Elle invite tout spectateur ne rentrant pas dans cet axe à revoir sa vision de la femme noire, tout en interrogant les femmes noires sur le regard qu’elles portent sur elles-mêmes, leur négritude, leur sororité noire. J’ai vraiment vécu un moment mémorable car c’est de cette manière que j’ai toujours voulu être racontée. Cela m’a fait penser à For Colored Girls de Ntozake Shange. Avec Carte Noire Nommée Désir, on parle de rêve féminin noire. J’ai ri, j’ai pleuré. J’espère que ce spectacle inspirera d’autres autrices car j’ai constaté les questionnements que ça procure dans le public. C’est bien que ça puisse faire réfléchir, peu importe ton genre ou ta couleur de peau. Cela parle aussi et surtout de misogynie noire. Cela parle de colorisme, chose très rare en France. Mais aussi de métaphores comme mettre du lait dans ton café, pour raconter cette envie de t’adoucir, de te modeler, alors que t’as juste envie d’être une femme. Cela parle de femmes noires, grosses, lesbiennes, hétéros, nées en France, nées ailleurs, nées en France d’une relation mixte, de femmes en couples, de femmes âgées. Nous avons été ces femmes à un moment dans notre vie. Pouvoir se voir, c’est beau et rassurant.

 

Zem-Zem

© Photos Christophe Raynaud de Lage

Agressions et propos racistes contre les performeuses

 

C’est une nouvelle dont on se serait bien passé. C’est pourtant la réalité. Durant le Festival d’Avignon, les huit performeuses de Carte Noire Nommée Désir ont subi plusieurs agressions verbales et physiques, accompagnées de propos racistes, sur les planches et dans les rues. Selon France Bleu Vaucluse, des violences ont eu lieu lors de trois représentations sur cinq. Un soir, des doigts d’honneur ont été adressés de la part du public, lorsque les comédiennes ont parlé de violences policières. Une autre fois, la phrase « On est chez nous ! » a résonné dans la salle. Lors de l’avant dernière représentation, lundi 24 juillet, un spectateur a frappé l’une des interprètes pendant un jeu de mimes, à la fin du spectacle. La Compagnie précise que des membres de l’équipe du spectacle ont également été victimes d’agressions dans les rues d’Avignon, en dehors du spectacle. Face à ces agressions, le Festival d’Avignon a réagi et apporté son soutien. « Le Festival d’Avignon affirme qu’il est inacceptable de laisser sous silence ces déferlements de haine et témoigne de sa solidarité et de son soutien aux artistes », a-t-il indiqué dans un communiqué publié sur les réseaux sociaux. « Cœur battant des idées et des débats, le Festival d’Avignon reste une fête mais aussi un combat, un combat pour la démocratie ». Alors que la pièce a fait sa dernière représentation mardi 25 juillet, avant d’être à nouveau jouée à Paris, au théâtre de l’Odéon à partir du 28 novembre, ces actes racistes prouvent que le combat la décolonisation des esprits est loin d’être terminé. Il faut croire que des racistes sont prêts en 2023 à débourser 30 euros pour venir cracher leur venin dans une salle de spectacle. Certains mécanismes perdurent toujours. Mais rien n’empêchera Rébecca Chaillon de faire sororité !

 

Fl.D.

Florian Dacheux