Août / 15
Rencontre : LENNY M'BUNGA
punchlines et mémoires
Né de parents congolais-réunionnais, Lenny M’Bunga a grandi à Nice avant de débarquer à Paris. Stand-upper, il se définit lui-même comme « humoriste panafricain ». De prestations sur scène en vidéos percutantes sur les réseaux sociaux, il ne cesse d’apporter une autre vision de l’histoire. Son crédo ? La pédagogie par le rire ou l’humour conscient, c’est selon.
« J’ai toujours pensé que faire rire était un moyen de transmettre des messages bien plus puissants que de longs discours barbants. » Telle est la raison d’être de Lenny M’Bunga qui, depuis cinq ans, révolutionne le one man show. Stand-upper passé par le plateau de Clique ou encore par Montreux Festival, après ses débuts en 2010 au Paname Art Café, le Niçois n’y va pas de main morte. Qu’il soit sur scène ou à travers de courtes vidéos postées sur les réseaux sociaux, il monte des sketchs autour de l’histoire panafricaine et de sa diaspora. En s’appuyant sur des faits historiques souvent bien enfouis, il ne cesse de révéler au grand jour une autre version de l’histoire et de questionner la place des Noirs dans la société française. « Si je me suis posé des questions, d’autres se les posent en ce moment même, explique-t-il dans sa leçon 20 posté le 21 juillet dernier. J’ai la capacité et le devoir de faire ce travail de transmission. Je veux que ça aide la communauté à mieux se connaître. Quelqu’un qui ne connaît pas son histoire ne se connaît pas. »
« Parce qu’ils te parlent de racisme, moi je te parle de négrophobie »
Ici, Lenny M’Bunga vise directement les vieux dossiers tabous qu’on ne souhaite pas remuer, de l’esclavage aux tirailleurs en passant par le racisme ordinaire qui perdure. Un travail de mémoire essentiel à l’heure où la nouvelle génération métissée de France revendique sa double culture. Né d’une mère originaire de l’île de la Réunion, territoire qui a connu l’esclavage dès l’arrivée de la Compagnie Française des Indes, et d’un père de la République Démocratique du Congo, pays colonisé par la Belgique, Lenny M’Bunga n’a pas l’intention de raconter des salades. Il ne blague pas. Il ironise et informe. Pédagogue, il éveille la curiosité des Afro-descendants. Et de tous ceux qui veulent bien tendre l’oreille. « Le passé explique cela, poursuit-il. Nos arrières grands-parents, nos grands-parents, nos parents n’ont connu que des contes, des légendes, des mythes, des propagandes. Au lieu de déconstruire, l’Occident a brodé son histoire dessus. » Selon lui, il est grand temps de regarder en face chaque chapitre du colonialisme. « Parce qu’ils te parlent de racisme, moi je te parle de négrophobie. On a apporté le sauvage à l’Europe et c’est devenu un concept dès l’exposition coloniale de 1931 qui a renforcé le mythe du sauvage. Les institutions, les gouvernements, les médias, la police, l’école ont contribué à diffuser ce cliché du noir sauvage, fainéant et grand enfant qui ne peut rien faire par lui-même. Mais qui s’est comporté comme un sauvage ? Qui s’est assis sur les ossements de ses victimes ? »
« Le but n’est pas de blesser mais de nous questionner »
Semaine après semaine, c’est ainsi que le jeune trentenaire, par des références historiques et des analyses pointues de l’actualité, tente de déconstruire ce schéma faussement intellectuel qui ferait de l’Afrique, un continent à la traîne : sans cultures, ni langues, ni traditions. Capable de parler de Mansa Musa, roi de l’empire du Mali au XIVe siècle qui représentait près de la moitié des réserves d’or de l’Ancien Monde, que de dénoncer le massacre de Thiaroye en 1944, un épisode sanglant de la colonisation française en Afrique de l’Ouest. D’ailleurs, c’est récemment Charles De Gaulle qui en a pris pour son grade. « Cet homme est un meurtrier », écrit Lenny sur son profil Instagram le 27 juin dernier, en rapport aux décisions prises par le Général en Afrique. Son post suscitera la polémique. A cela, il répond : « Je n’ai jamais voulu manquer de respect aux anciens. Le but n’est pas de blesser, mais de nous questionner. Est-ce qu’il respectait mes anciens quand, dans la nuit du 30 au 31 décembre 1956, les troupes du général De Gaulle vont arroser au napalme des civils camerounais ? Est-ce qu’il respectait mes anciens quand il a décidé, le 25 décembre 1945, que le Franc CFA allait sceller le sort de millions d’Africains, et jusqu’à aujourd’hui ? On a massacré nos élites, ceux qui avaient la capacité de faire avancer les peuples africains. On nous a appris que nous étions des sous hommes, moches, punis par Dieu et que, pour nous sauver, il nous fallait nous rapprocher le plus possible de l’homme blanc. »
« Transmettre l’espoir et les rêves de nos anciens pour écrire notre histoire de France »
Ses références, il les déniche dans les livres. Adepte de la librairie Tamery située dans le quartier de Belleville à Paris, il cite régulièrement les écrits de l’historien Cheick Anta Diop ou de l’essayiste Frantz Fanon. Sans oublier de s’appuyer sur l’engagement de l’icône anticolonialiste Thomas Sankara, du chanteur Franco Luambo ou encore de l’homme d’État Patrice Lumumba. En quête de vérité, Lenny est bien conscient que le chemin est encore long avant que la France et d’autres pays d’Europe reconnaissent véritablement leur sombre passé et leur manière d’avoir imposé dans les livres scolaires un point de vue occidental. « La première chose que le colonisé doit faire est de se libérer du regard du maître, ce n’est pas de moi, c’est de Fanon », poursuit Lenny. Avant d’ajouter : « Il faut arrêter de dire Blacks, nous sommes Noirs. Il faut se décoloniser, se désaliéner, se remettre en question chaque jour. On continuera à transmettre l’espoir et les rêves de nos anciens pour écrire notre histoire de France. » Un cri du cœur pour ne pas oublier l’inoubliable. Entre punchlines et travail de mémoire.
Florian Dacheux