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Juil / 06

L’art pro des lycéens

By / akim /

L'ART

PRO

DES LYCÉENS

BEPChaudronnerie… Un acronyme
et un mot, symboles de malaise pour nombre d’élèves de l’académie de Créteil ayant approché un conseiller d’orientation dans les années 1990. La même histoire tournait alors dans tous les halls d’immeubles…
Un élève, plutôt bon, rencontre une conseillère d’orientation, elle lui dresse un portrait apocalyptique de la sélection naturelle à l’œuvre dans les filières générales. Abattu et déprimé, l’élève demande conseil. Son interlocutrice lui répond : « Fais un BEP Chaudronnerie il y a de bons débouchés ». Désespéré, l’ado s’accroche à cette bouée de sauvetage et finit sa vie à Pôle Emploi : fin de l’histoire.
Pourtant, le BEP Chaudronnerie, véritable croquemitaine des quartiers populaires, n’est pas une légende : la formation existe bel et bien. Le lycée Aristide Briand du Blanc-Mesnil (93) la propose. Et pour montrer le savoir-faire de ses élèves, l’établissement a exposé plusieurs de leurs réalisations au Palais des sports de Créteil.
Créée en 2002, ArtExpro ouvre ses portes aux réalisations artistiques et culturelles des sections d’enseignement professionnel et technique des lycées polyvalents de l’académie. Elle se veut une vitrine pour valoriser le travail des élèves qui ont choisi de continuer leurs études en lycée pro, une voie synonyme d’échec scolaire dans l’inconscient collectif français. Des élèves du Blanc-Mesnil préparent le brevet d’études professionnelles de chaudronnerie et ils se sont fait une joie de venir casser le cliché : « Moi j’adore ! On crée des trucs super intéressants. La chaudronnerie mène à tout, de l’aéronautique à la confection d’armure de chevalier », s’exclame Christopher, 17 ans. Lui et son camarade de promo expliquent fièrement les techniques de soudure aux passants qui s’arrêtent devant leur maquette, tout en métal, du sous-marin de Tintin dans Le Trésor de Rackham le Rouge.

Encadrés par leurs professeurs d’arts appliqués, les élèves d’ArtExpro proposent un impressionnant éventail de techniques et d’inventions. Ainsi, les jeunes étudiantes du Bac Pro ASSP (Accompagnement, soins et services à la personne) du lycée Marcel Cachin de Saint-Ouen ont réalisé de grands portraits photo sur le thème de la malbouffe. « C’est important que le thème de l’œuvre soit en rapport avec leurs études » affirme leur professeur, Denia Toumache. Sur les clichés exposés, les élèves se sont mises en scène dans des tenues années 50, les débuts en Europe de l’ère de la consommation. Les images transforment en accessoires beauté toute une gamme de produits emblématiques de la mal-bouffe : canettes de sodas et autres ustensiles bien connus. « Je n’aurais jamais pensé faire de l’art en Bac Pro, avoue Sonia, l’une des conceptrices. C’est la première fois que je mène un projet de ce type et c’est très stimulant. »

Pour Jacques Taffin, qui expose en compagnie de ses élèves du lycée des industries graphiques André Malraux de Montereau-Fault-Yonne en Seine-et-Marne, « l’art dans toute sa richesse n’est pas mis à la portée de tous. Ça dépend de la ville où l’on se trouve et de la politique qui est menée ». Ses jeunes artistes revisitent les panneaux de signalisation et le paysage urbain. Un élève apporte une touche de poésie à son œuvre réalisée sur du Velcro. La création représente des éoliennes sur un champ de blé, on pense tout de suite au Petit Prince.

Une grande ligne bleue traverse les salles d’exposition d’ArtExpro, c’est l’œuvre d’Anne Brochot. L’artiste officie à Voulx, un bourg entouré des champs agricoles de la Seine-et-Marne. « Je l’ai installée dans plusieurs lycées. Si on veut absolument lui trouver une explication, elle représente le lien qui unit les filières professionnelles, techniques et générales », concède-t-elle. Anne dirige également une résidence d’artistes située dans le sud du 77, pour que les habitants de cette zone rurale trouvent un accès à l’art : « On fait venir les artistes dans des endroits où il n’y a aucune structure, rien. »

« Je n’aurais jamais pensé faire de l’art en Bac Pro ! »

Comme un cirque qui débarque
Les raisons de ce désert créatif ? « Elles sont multiples, raconte Anne Brochot. L’État n’investit pas sur des installations artistiques importantes dans des régions qui sont si peu peuplées. C’est aussi lié à l’environnement culturel. Dans mon village de 1600 habitants, il y a trois associations de randonnée car la région est connue pour la beauté de ses paysages. Organiser une visite scolaire dans un musée à Paris, ça suppose d’abord de débourser 350 euros par jeune pour un aller-retour en bus. » L’artiste décrit ses interventions dans les lycées pros de la région : « C’est une bouffée d’air pour les élèves. Certains étaient vus comme des cas désespérés. Ils se sont découverts un talent et une capacité de travail qu’ils ne soupçonnaient pas avant de plancher sur un projet artistique ». Et quand Anne accompagne en tournée le Musée mobile – un gros camion aménagé en salle d’exposition –, « c’est comme un cirque qui débarque, tellement les gens et leurs enfants sont contents. »
Cette édition d’ArtExpro est particulière : cette année, la filière professionnelle fête ses trente ans de présence en France. La manifestation prouve qu’un artiste sommeille dans bien des élèves de Bac Pro. Elle rectifie également le tir sur certaines idées préconçues : une conseillère d’orientation qui incite un élève à suivre une formation en BEP Chaudronnerie ne l’envoie pas forcément vers la case chômage. Du moins aujourd’hui… Les chantiers de Saint-Nazaire sont très friands de ces profils. Après avoir décroché le contrat du siècle pour quatre gigantesques paquebots, leur carnet de commandes est si plein qu’ils embauchent à tour de bras. Un parent d’élève, venu contempler les œuvres de son fils sur le stand des BEP Chaudronnerie, reçoit l’information avec un visage radieux. À moins que ce soit la réalisation de sa progéniture, une réplique tout en acier du Bi-plan Breguet XIV, l’avion de Saint-Exupéry, qui ait comblé ce père de fierté…

RETROUVEZ CET ARTICLE DANS LA REVUE PAPIER NUMÉRO 3

Texte : Idir Hocini

Grandes images : Anaïs Dombret

 

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