Mai 2020 – Journal populaire d‘un confinement invisible

Mai / 23

Mai 2020 – Journal populaire d‘un confinement invisible

By / Marc Cheb Sun /

Nour, 16 ans habite en Seine-Saint-Denis, Olivier, 19 ans, à Bordeaux, quartier Saint-Michel, Sandra, 17 ans, à Charleville-Mézières. Avec beaucoup d’autres, tous trois se sont inscrits aux ateliers d‘écriture dirigés par Marc Cheb Sun, de D’ailleurs et d’ici, organisés sur Zoom ou Instagram. Thèmes de l’atelier: le confinement, mais aussi l’expression « parlé-écrit ».

Journal populaire d‘un confinement invisible

Le début du confinement

 

Nour, 16 ans, Stains. Au pays des cauchemars

Au début, et même après, j‘ai été choquée. Je me suis dit : Je suis pas préparée à ça. Je ne connais pas ce monde-là. Ça a été si rapide ! Choquée ! Genre Nour au pays des cauchemars. Je me suis dit En Asie, ils ont plus de chance parce qu’ils savent vivre avec ça, mais nous… On s’habitue vite à son confort, en fait. On imagine qu’il durera toute la vie.

 

Olivier, 19 ans, Bordeaux. Au foot, c’est pareil !

L’histoire des évangélistes, ça m’a fait flipper ! Parce que là c’était religieux, mais dans une fête entre potes, ou quand on joue au foot, c’est pareil, ça pouvait nous arriver. Moi j’ai plein de potes, je bouge beaucoup, et là j’ai commencé à me méfier des autres. Quand tes potes deviennent dangereux, la vie, elle change.

 

Sandra, 17 ans, Charleville Mézières. A cinq dans deux pièces.

Ma mère, elle a vécu Ebola. Et là, elle a paniqué. Au début, elle fermait tout le temps les portes à clé. Quand je lui disais que ça servait à rien, elle me répondait : Je sais mais ça me rassure, j‘y peux rien. Moi ça me stressait, et quand tout s’est arrêté, j’ai regardé chez nous et j’ai pensé : Mais comment on va tenir à cinq dans deux pièces sans sortir ? J’ai paniqué encore plus que ma mère au début, j’avais l’impression de manquer d’air, du coup je me disais que c’était la maladie.

 

Confinés-es…

 

Nour. La vie a été dure.

Les cours en ligne, c’était le fiasco total. Un seul PC, trop de bruit et de stress. J’arrivais mieux à suivre l’atelier d’écriture parce que c’était le soir, et puis c’était nouveau, je voulais écrire depuis longtemps. Je veux en faire mon métier, maintenant. Même ça, des fois je l‘ai manqué parce que j’arrivais pas à me concentrer. La vie a été dure. Mon cousin est ambulancier, il devait se protéger avec des sacs poubelles. Ça m’a vraiment choquée.

 

Olivier. Pas de PC à la maison.

Notre région n’était pas la plus touchée. Du coup, dès qu’il faisait beau, on voyait quand même beaucoup de gens dehors. Pour moi c’était de pire en pire, je me suis vraiment enfermé pendant deux mois. Je faisais beaucoup de rêves avec des histoires de ouf. Comme des mangas bizarres. Les cours… ça a été mais j’ai deux frères et on n’a pas de PC à la maison. J’avais que mon smartphone. Depuis ce confinement, j’ai réalisé qu’il y pas une France, y a deux France, ou trois, ou quatre. Et la première parle pour les autres. L’atelier est le seul endroit où j‘ai pu m’exprimer.

 

Sandra. Le monde d’après?

Mon père est tombé malade, et après ma mère. On ne nous a pas proposé d’hébergement. Du coup mes parents étaient dans une pièce, nous dans l’autre. Ce qui m’a le plus choqué, c’est tous ces gens qui racontaient leur vie de confinés à la télé. Je me disais vraiment que nous, on n’existait pas. A la limite on parlait de nous pour nous, mais jamais on nous a donné la parole. « Dans le 93 », « dans les cités », mais merde on n’est pas des cobayes. Et les gens qui vous soignent à l’hôpital, qui lavent les hôpitaux, qui sont aux caisses des supermarchés, qui vident les ordures, qui bossent dans les maisons de retraite, vous croyez qu’ils vivent où ? Et avec ça, ils nous parlent du « monde d’après » ! Je suis en colère et je veux l’écrire.

 

 

Pour l’instant ma vie s’écrit en gel hydroalcoolique.

 

 

Déconfiné-es

 

Nour. Le masque obligatoire et gratuit !

Je n’arrive pas à comprendre pourquoi le masque n’est pas obligatoire, partout. Donc gratuit. Quand je vais sur Paris, je ne vois pas plus de gens en porter…  ça me dépasse. Il faudrait aussi apprendre à bien l’utiliser. Comme on a appris à bien se laver les mains, ce n’est pas compliqué non?

 

Olivier. Reconnaître ses potes.

J’ai revu mes potes mais je trouve qu’ils ont changé, ou alors c’est moi? J’ai du  mal à les reconnaître. En fait, tout a changé. Pour moi, la vie ce n’est plus la même.

 

Sandra. L’avenir? 

Je voulais écrire sur l’avenir mais je n’y arrive pas: pour l’instant ma vie  s’écrit en gel hydroalcoolique, masque chirurgical ou grand public et distanciation sociale. Ou alors j’écrirais ça: ??????????????????????? Voilà, c’est ma conclusion et je la répète: ??????????????????

 

 

Illustration réalisée dans notre atelier à Bobigny.

Marc Cheb Sun