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Fév / 26

Déconstruire les préjugés par le dialogue

By / Florian Dacheux /

ÉDUCATION POPULAIRE

Déconstruire les préjugés par le dialogue

Voici déjà 15 ans que l’association Citoyenneté Possible impulse des actions de formation et de sensibilisation contre les diverses formes de racismes et de discriminations. Très attachés à la question du langage et de l’estime de soi, ses membres s’attaquent aux préjugés par le dialogue. Sans tabou ni déni. 

Choisir le dialogue plutôt que l’affrontement… Telle est la ligne de conduite que s’est fixée Citoyenneté Possible depuis sa création en 2006, à la suite d’une recherche-action menée pendant deux ans à Aulnay-sous-Bois en Seine-Saint-Denis.

Plusieurs personnes issues de la société civile y posent alors les bases d’un projet pédagogique commun, à contre-sens des y’a qu’à-faut qu’on. « On s’est dit arrêtons de répéter : Que fait l’Etat, que fait la police, que font les parents, mais qu’est-ce que l’on fait, nous, si on considère qu’on est une même nation, explique la fondatrice Souâd Belhaddad. Ce qui me frappait beaucoup, c’était la question du langage, le verbe étant un pouvoir. On disait que les gens des quartiers n’avaient pas les codes. J’ai alors mesuré à quel point nous étions dans cette nouvelle discrimination linguistique, ajoutée à toutes les autres. »

« PARTIR DES BESOINS ET DES RÉALITÉS DE L'AUTRE. »

Pour cette féministe et militante anti-raciste de la première heure, il ne s’agissait pas d’impulser un simple mouvement collectif en rébellion aux violences discriminatoires. Mais bien de mettre en place des actions concrètes pour déconstruire les préjugés de part et d’autre. A commencer par le marché de l’emploi. « Nous avons par exemple lancé le programme Bien Dit qui s’exerce encore dans les collèges, l’idée étant de sensibiliser les jeunes aux codes communs de communication pour faciliter l’accès au monde du travail et des stages, précise Souâd. Nous sommes très inspirés par l’éducation populaire qui consiste à partir des besoins et des réalités de l’autre et non des nôtres. » De Sevran à La Courneuve, en passant par Nice et même Manosque, l’association a mis au point année après année un panel d’outils et de programmes spécifiques pour lutter intelligemment contre la banalisation des racismes, de l’antisémitisme, du sexisme, de l’homophobie et de l’ensemble des discriminations ordinaires du quotidien. Composée de formateurs issus du monde du théâtre et de la communication ou encore spécialisés sur la haine en ligne et le droit des femmes, Citoyenneté Possible œuvre beaucoup sur la prise de conscience du poids des mots à travers des jeux de rôle, l’aisance du corps à l’aide de différents exercices interactifs.

A l’instar de la formation intitulée «Renforcer sa posture professionnelle face à la parole intolérante et violente» qui suscite beaucoup d’intérêt au sein des structures socio-éducatives pour briser les tabous. « Très vite on a réalisé que les adultes encadrants eux-mêmes manquaient d’outils face à la haine de l’autre et à la parole raciste, témoigne à son tour la directrice Imane Belamine. Tout ce que l’on fait, c’est transversal. On travaille beaucoup sur la vigilance à l’usage des réseaux sociaux, sur comment mieux se parler pour mieux s’entendre, sur l’estime de soi. On sème des graines en donnant du temps au temps. On intervient jamais en one shot, on revient systématiquement, c’est même essentiel. »

«LA FRATERNITÉ, UNE NOTION SUR LAQUELLE S'ATTARDE PEU LE PAYS»

Exigeante dans son positionnement, cette association basée à Paris sait également au combien la question de la convergence des mémoires est cruciale en termes de vivre ensemble et de cohésion sociale. Ancienne reporter en Algérie et au Rwanda, Souâd suit avec attention le travail en cours mené par la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage. Lasse des polémiques autour de la loi séparatisme, du prétendu islamo-gauchisme ou encore des études post-coloniales pointées du doigt, elle se félicite malgré tout du rapport Stora sur la Guerre d’Algérie remis en janvier à Emmanuel Macron. « Ce qui nous intéresse, c’est de travailler sur l’impact du racisme et la représentation de nos stéréotypes, insiste Souâd. Il ne faut pas avoir peur de transmettre, sans être dans la culpabilisation ou le traitement juridique. Et ce qui est intéressant dans ce gouvernement, c’est qu’il n’y a pas d’unité sur ces questions. Il y a quand même un président de la République qui a parlé de crimes contre l’humanité et qui a missionné un comité scientifique sur l’histoire et la mémoire de la France. » Pourtant, un an après le début de la crise sanitaire qui accroît toujours un peu plus les inégalités, Souâd et les siens restent « accablés par la banalisation de la parole raciste et discriminatoire ». « On ne veut absolument pas s’habituer à cela, ajoute celle qui est également membre du Conseil National des Villes. Dans les quartiers, la situation est encore plus dure qu’avant le confinement, même si on observe une énergie solidaire et une dignité. Ils ne sont pas dans l’égalité mais ils sont dans la fraternité. Une notion sur laquelle s’attarde peu le pays. » Admirative par « toute une nouvelle génération qui arrive », Souâd préfère s’attarder sur les avancées positives qui lui donnent des clés pour mieux poursuivre sa mission de médiatrice. « On peut mettre autour d’une table des gens qui ont aucune envie de se parler et arriver à trouver des points de convergence », conclut-elle. Très attachée au travail en systémie et en co-construction, l’association compte aussi développer dans les mois à venir de nouveaux modules, en renforçant les programmes autour de la double discrimination sociale et de genre. Sans oublier son soutien à la parentalité face à l’ampleur des inégalités scolaires liées à la Covid-19 et les cours en distanciel. Question d’égalité des chances.

 

Florian Dacheux


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Florian Dacheux