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Nov / 16

Cross-bitume : la réalité virtuelle pour amortir l’adrénaline

By / Florian Dacheux /

Cross-bitume : la réalité virtuelle pour amortir l’adrénaline

Bercé par le hip-hop et le cinéma depuis son adolescence du côté de La Verrière dans les Yvelines, Nadir Ioulain enchaîne les projets artistiques. Avec son dernier long métrage L’Adrénaline né pendant le confinement, le réalisateur nous livre un film immersif en réalité virtuelle qui évoque la dangereuse passion du cross-bitume dans les quartiers populaires. Avec justesse et poésie, cette adrénaline, filmée à 360 degrés par captation 3D stéréoscopique, est aussi un excellent outil de prévention routière sur les rodéos urbains. Le film fait directement écho au projet pédagogique Les Cités Fantastiques que Nadir mène en parallèle avec son association l’ACIAC. De Trappes à Marseille en passant par Saint-Denis, ses équipes initient un maximum de jeunes à la création d’œuvres immersives en réalité virtuelle et organisent des tournois d’Hado E-Sport. Rencontre avec un réalisateur qui éveille les imaginaires.

« ON A TOUJOURS VU CETTE DANGEROSITÉ ET, EN MÊME TEMPS, CETTE ADDICTION À L’ADRÉNALINE »

Racontez-nous la genèse de votre parcours cinématographique ?
Ma passion pour le cinéma est arrivée très tôt lors de mon enfance passée entre La Verrière, Elancourt et Trappes. J’étais fasciné par les films de Spike Lee, Wong Kar-Wai ou encore Spielberg. En vérité, ce qui me fascinait, c’était la magie du processus créatif. Je regardais plein de making off. J’étais très curieux. Cela me galvanisait. Alors, au début, c’était inaccessible. Puis j’ai réussi à emprunter une caméra qui appartenait à une tante. Petit à petit, en faisant, j’ai gagné le prix Défi Jeune puis réalisé un premier court métrage en 2001. A travers la musique, la culture hip-hop, l’écriture, je me suis accroché. J’ai appris, au fil du temps, avec l’observation. J’ai fait tous les métiers d’un plateau de tournage. Tu n’as pas le choix. J’étais vraiment ouvert à l’apprentissage même si cela reste un milieu où on peut vite te formater. Plus tard, je me suis d’ailleurs retrouvé à engager en tant que producteur des jeunes formés à Louis Lumière et d’autres grandes écoles. Ce sont souvent des techniciens purs et durs. Et j’ai aussi beaucoup appris à leurs côtés. Comme quoi, il faut se nourrir de tout, tout en restant soi.

Votre dernier long métrage évoque l’adrénaline que peuvent ressentir trois jeunes passionnés de courses de motos cross-bitume au sein d’un quartier populaire. Pourquoi avoir choisi cette thématique ?
Nous étions au début du confinement au printemps 2020. J’étais en famille, confinés, au 13e étage de notre immeuble du quartier du Bois de l’Etang à La Verrière. Je voyais ce qui pouvait se passer dans les quartiers, des endroits et des univers hyper cinématographiques que j’ai beaucoup fréquenté. Je voyais des cadres, du béton, des friches. Etant donné que j’étais déjà intéressé par la Tech et les effets spéciaux de manière générale, j’ai commencé à m’intéresser à la réalité virtuelle et à la réalité augmentée. Avec mon association l’ACIAC (Association pour la Création et l’Innovation Artistique et Culturelle), dont le studio de production est basé à La Verrière, on a commencé par organiser des premiers stages avec des jeunes de différents quartiers. Le but : permettre aux jeunes de s’alphabétiser sur les technologies d’avenir. On leur apprend à créer des œuvres immersives. C’est comme ça qu’est né le projet des Cités Fantastiques. Dans le même temps, je voyais ces courses de moto dans la rue et ce jeu du chat et de la souris entre des jeunes et la BAC. C’est là que je me suis dit qu’il fallait que je me lance dans un film en immersion. Les courses de motocross, je connais depuis des années. Je connais des gens qui en sont morts. On a toujours vu cette dangerosité et, en même temps, cette addiction à l’adrénaline. Alors quand il a s’agit de préparer le tournage, tout s’est vite connecté. On a réalisé un film de 50mn de façon totalement expérimentale. L’idée étant de restituer un moment avec passion avec cette dimension tragique inspirée de faits réels. On a travaillé en équipe réduite pendant plusieurs mois avant de tourner l’été 2021. On y retrouve l’acteur Azize Diabaté dans le rôle principal, Sania Halifa qui joue Hawa dans le dernier film de Maimouna Doucouré, ainsi que Seyna Kane qui joue dans Saint Omer d’Alice Diop. Notre démarche est un oasis créatif pour les talents. On a tourné en caméra 360, avec la profondeur de champ du 3D en stéréoscopie. Le tournage a eu lieu à La Verrière, avec plein de jeunes du coin. Même le maire a participé. On a utilisé une voiture de police. Des cascadeurs professionnels de Disney m’ont même confié que certains jeunes qu’ils ont vu en marge du tournage étaient vraiment doués avec leurs motos. Mais ce sont deux mondes qui ne se connaissent pas. C’est comme dans l’équitation. Alors si on peut aider pour faire la connexion. On ne sait jamais. Cela peut créer des vocations.

Sommes-nous à mi-chemin entre le documentaire et la fiction ?
Un peu. Je dirais que nous ne sommes pas là pour faire les pères la morale. Comme dans Jungle Jihad, qui traitait du radicalisme, notre film existe pour permettre aux jeunes spectateurs de remettre en question leur quête d’adrénaline qui peut parfois engendrer beaucoup de dégâts irrémédiables. Aujourd’hui, le film est diffusé dans de nombreux quartiers de France. On installe des barnums en pied d’immeuble, on se déplace dans des salles culturelles avec tout notre dispositif et nos casques de réalité virtuelle. Et les retours que l’on reçoit sont plutôt positifs. On nous encourage dans ce sens. 

« ON SE DÉPLOIE DANS LES QUARTIERS POUR FRACTURER LA FRACTURE NUMÉRIQUE »

Revenons au projet pédagogique des Cités Fantastiques. Quel est votre objectif à long terme ?
On tourne dans les quartiers pour fracturer la fracture numérique comme on dit. Depuis deux ans, on a accueilli près de 10 000 participants au total dans toute la France. On leur apprend à créer des méta mondes, à dessiner et à sculpter en 3D, à faire de la musique en réalité virtuelle. Des experts en Comics et des infographistes interviennent sur tout le territoire. Des ateliers ont notamment lieu chaque mercredi à Trappes. En parallèle, on organise le tournoi des Cités Fantastiques en Hado E-Sport. Il s’agit d’un sport du futur originaire du Japon que nous développons ici dans les quartiers. C’est une combinaison incroyable entre Street Fighter, Dragon Ball Z et la balle au prisonnier. Cette discipline combine réalité augmentée, hologrammes, capteurs de mouvement. Il s’agit d’un vrai sport d’équipe qui se joue en équipe mixte, trois contre trois. Notre tournoi inter quartier a été labellisé Olympiade Culturelle Paris 2024 et reçu le soutien de la région Ile-de-France. Cela mêle activité physique, stratégie et technologie. Toutes et tous interagissent ensemble comme dans un sport collectif. Un grand tournoi national mêlant les meilleures équipes de chaque ville nous permettra de qualifier une équipe pour les Championnats de France organisés chaque année en juillet à la Japan Expo. Cela prend de l’ampleur. Les meilleurs Français sont ensuite sélectionnés pour les Championnats du Monde à Tokyo. Mais nous n’en sommes pas encore là. Demain peut-être nous monterons notre propre sport avec nos technologies holographiques.

Les perspectives en termes de métiers voire de vocations semblent immenses…
Je dirais incommensurables ! A partir du moment où tu tombes dedans, tu t’immerges dans le truc. La réalité virtuelle et la réalité augmentée offrent de vraies perspectives. Quand tu commences à l’intégrer dans ton imaginaire, tu peux aller loin. Le feu, c’est la technologie. C’est de comprendre comment ça marche, le hardware, le software, les applications, le E-Sport, les films, etc. La problématique, c’est le jetlag lorsque l’on devient consommateurs. Il peut y avoir un esclavage de l’esprit qui peut générer de la violence. Nous souhaitons favoriser le bien-être, le développement économique, la connexion avec d’autres cultures à l’international. Tout est lié.


Recueilli par Florian Dacheux 

(Galerie 1 / Eté 2021. Sur le tournage du film L’Adrénaline à La Verrière dans les Yvelines. © Nadir Ioulain)
(Galerie 2 / Trappes, le 5 novembre 2022. Sous les conseils de Mohamed Bounazou, scénariste et coordinateur à l’ACIAC, joueuses et joueurs s’envoient des boules d’énergie virtuelles en essayant de se toucher, le tout en réalité augmentée. © Florian Dacheux)

Prochaines projections de L’Adrénaline :
à Garges le 18 novembre et à Aubervilliers le 14 décembre !

 

CONTACT / Mail : asso.aciac@gmail.com

Nadir ioulain Instagram

 

Filmographie Nadir Ioulain
Après un premier court-métrage, il co-écrit Shakespeare le défi, une pièce de théâtre où il rédige la partie sur Othello dans un univers Hip-Hop (plus de 400 représentations). En créant sa boîte de production, ses court-métrages Sportformance, mêlant sport et danse, sont repérés par la plateforme Wat.TV. Suivront le documentaire Français de souche, son premier long métrage de fiction Jungle Jihad (en référence à Jungle Fever de Spike Lee), la série Re-Belle pour France 4 et Studio4, une pièce de théâtre et arts croisés (beat box, percussions, danses…) sur la vie de Tupac Shakur ou encore un pilote de série Thug Life pour Universal. Il travaille actuellement sur la post-production de son second film de fiction Pour Quelques Grammes de Sable tourné en Algérie avec Farid Larbi et Lyna Khoudri, et sur le tournage du documentaire 24 hours before the Metaverse entre Séoul, Durban et le désert de Gobie.

Florian Dacheux