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Contre les violences sexuelles et sexistes /////// Diariata N’Diaye face au poids des mots
Engagée dans la lutte contre les violences faites aux femmes depuis plus de 10 ans, fondatrice de l’association Résonantes basée à Nantes, Diariata N’Diaye milite avec le slam mais aussi avec la création d’une appli numérique pour aider les victimes à témoigner.
Rencontre avec une trentenaire qui ne fait pas semblant d’entreprendre.
Née dans un quartier populaire de Saint-Dié des Vosges, Diariata N’Diaye a dû se battre très tôt pour sortir du chemin que l’on avait tracé pour elle. Contrainte à un mariage forcé dès l’âge de 15 ans au Sénégal, elle finit par s’extirper de cette vieille tradition familiale. Direction la banlieue parisienne. Bac L et BPJEPS en poche, elle enchaîne les missions en tant qu’animatrice jeunesse en centre de loisirs, de Clamart à Villecresnes en passant par Issy-les-Moulineaux, avant de mettre en place des ateliers d’écriture des Hauts-de-Seine jusqu’en Seine Saint-Denis. Elle, qui remplissait des carnets en cachette étant ado, a toujours trouvé refuge dans l’écriture. Comme exutoire. « Je me sens belle et libre depuis que je suis partie, je ne cache plus mon visage, ivre de vivre, je me sens vivre », slame-t-elle dans l’un de ses textes issus du spectacle Mots Pour Maux né en 2008 avec son groupe Dialem. « Je l’ai créé avec Patrick Dethorey qui m’accompagne toujours aujourd’hui, confie Diariata, inspirée par la rappeuse Bams et son côté warrior. L’idée était d’aborder la question des violences sexistes et sexuelles de façon moins conventionnelle. Le spectacle est né d’une question très simple posée par Ernestine Ronai, la responsable de l’Observatoire des violences faites aux femmes. Après avoir entendu mon premier morceau Française d’Afrique sur le mariage forcé, elle m’a demandé si j’en avais d’autres sur le thème des violences. Et j’avais des morceaux, mais sans vraiment avoir fait le lien avant. »
« IVRE DE VIVRE, JE ME SENS VIVRE »
Depuis, avec Mots pour Maux, les interventions en établissement scolaire se succèdent aux quatre coins de la France avec pour objectif de sensibiliser les 15-24 ans. « On s’est vraiment rendu compte que ce public, touché par les violences, était mal informé et démuni lorsqu’il y est confronté ou qu’on en est témoin. Je me suis retrouvée avec des jeunes qui posaient beaucoup de questions lors des débats. Pas une seule fois nous arrivions à avoir les définitions complètes des violences, les personnes ne savant pas quoi faire ni comment trouver de l’aide. » Une prise de conscience qui la conduit à fonder l’association Résonantes en 2015 à Nantes, où elle vit depuis, à la fois pour informer sur les dispositifs existants et créer des outils modernes et innovants. A commencer par le lancement de l’application solidaire App-Elles pour laquelle elle investit de sa poche. « Nous sommes partis du constat que les jeunes ou les femmes n’appellent pas la police. Soit car ils ne peuvent pas, soit car ils ne souhaitent pas. Dire à des jeunes, appelez la police si vous êtes victimes, ça ne leur parle pas. Un jeune n’a pas confiance en la police comme allié. La seule fois qu’il les croise, c’est soit en contrôle, soit en manif. »
Des moyens efficaces pour avertir et témoigner
Grâce à l’application, dès qu’une personne se sent en danger, elle peut envoyer un message d’alerte à trois contacts en appuyant sur la touche marche-arrêt de son téléphone. Ces derniers reçoivent alors les coordonnées GPS de la victime afin d’appeler les secours ou lui venir directement en aide. Un autre bouton, intitulé « Informer », donne accès aux différentes procédures possibles et aux structures spécialisées. Des moyens efficaces pour avertir et témoigner. Sans parler du bracelet d’alerte connecté. « En 2015, personne ne connaissait le 3919, la possibilité d’envoyer un SMS au 114 ou d’autres lignes d’écoute nationale. Au lieu de faire apprendre les numéros par cœur, on les trouve sur l’application sous la forme d’un annuaire. Il y a plus de 600 numéros joignables en France et à l’international. » Défendant becs et ongles son application primée au CES de Las Vegas en janvier 2018 et soutenue par la Fondation La France s’engage, elle mise énormément sur la vulgarisation de l’information. « On peut apprendre à utiliser les bons termes. Par exemple ne pas parler d’agression sexuelle quand il s’agit d’un viol. On les rassure sur le fait que c’est normal si ils se sentent mal ou si ils ont des pensées suicidaires. J’ai rencontré des jeunes qui se scarifiaient, ne faisant pas le lien entre les scarifications et les violences qui subissaient. L’idée est de se mettre à la place des victimes et de faciliter les démarches. »
« A Nantes, on est dans le futur »
C’est dans ce sens que l’association a ouvert en novembre dernier un lieu spécifique situé en face de l’île de Nantes et son célèbre éléphant. Tout jeune de 15 à 24 ans peut y réserver un rendez-vous afin d’être sensibilisé gratuitement. Outre la production de supports pédagogiques transmis aux établissements scolaires et maisons de quartier, l’association a également monté l’exposition interactive Fais Pas Genre, toujours avec cette volonté de changer les codes en matière d’éducation. Un savoir-faire et un parcours qui a valu à sa fondatrice d’être décorée du titre de Chevalière de l’Ordre Nationale du Mérite en 2019. « Cela permet d’être plus crédible dans les actions que je porte, sourit-elle. Avant, on devait me croire sur parole. D’autant plus qu’en 2015, c’était encore le moyen-âge dans le monde du numérique pour lancer une appli spécialisée sur les violences. » Passée en version 5 début avril, celle-ci compte près de 700 téléchargements par jour depuis le début du confinement. Après une semaine, les chiffres nationaux montraient déjà une augmentation des violences intrafamiliales d’environ 30% dans l’hexagone. Une tendance à la hausse confirmée par le ministère de l’Intérieur. Une sale tendance qui confirme l’importance du combat mené par Diariata qui se félicite de la communication autour des dispositifs d’alerte sans nier quelques failles. « C’est très bien de faire connaître les numéros, comme pouvoir faire des signalements en pharmacie ou dans certains centres commerciaux, même si je suis curieuse de savoir si ça fonctionne. Tout est utile. Par contre, ce que je reproche au gouvernement et en direct à Marlène Schiappa, c’est de ne pas parler d’App-Elles sous prétexte que ce n’est pas un dispositif d’État alors qu’on a été financé à hauteur de 100 000 euros. On travaille tous les jours avec les délégués départementales qui, elles, s’appuient sur App-elles et mettent en place des dispositifs locaux comme dans le Var, en Normandie ou en Bretagne. Cet outil n’est pas fait pour nous mais pour les victimes. On doit avoir un but commun. Il y a urgence, surtout en ce moment, de s’appuyer sur l’expertise des associations. » Deux ans après Me too, elle se dit déçue par le contenu du dernier Grenelle sur les violences conjugales. Comme elle se réjouit de l’ouverture de Citad’elles à Nantes, un lieu unique en France en termes de consultation post-traumatique pour les femmes victimes de violences. « A Nantes, on est dans le futur », glisse celle qui slamera le temps qu’il faudra. A la guitare, Patrick ne sera jamais loin. Car Diariata, également mère de trois enfants, est loin d’avoir dit son dernier mot.
Florian Dacheux
Photo : Catherine Cabrol