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Sep / 05

BaroDa, l’action artistique entre France et Mali

By / Florian Dacheux /

Porté par trois décennies d’action artistique entre France et Mali, Jean-Louis Sagot-Duvauroux dirige la compagnie BaroDa ainsi que le Théâtre de l’Arlequin à Morsang-sur-Orge. De créations en ateliers, ce scénariste et dramaturge mène un long combat en faveur de l’accès de tous aux arts de la scène. Rencontre en cette rentrée scolaire 2022.

BaroDa, l’action artistique entre France et Mali

L’attachement qui lie Jean-Louis Sagot-Duvauroux au Mali fête cette année ses 50 bougies. Pour celui qui souhaitait devenir prêtre, l’aventure professionnelle commence par une première expérience comme enseignant au lycée Prosper-Kamara de Bamako de 1972 à 1974. Suivront six années comme rédacteur en chef de Droit et liberté, le mensuel du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), avant le lancement en 1981 du magazine Différences. En parallèle, Jean-Louis est alors en charge pour le MRAP des actions de solidarité contre l’apartheid en Afrique du Sud. Autant de moments charnières qui conduiront cet auteur en gestation à la cocréation avec Pierre Sauvageot du spectacle Toussaint Louverture. Nous sommes en 1989 et Claude Moreau, metteur en scène, réunit pour cette œuvre des artistes africains, caribéens et français. Le spectacle, inscrit dans les commémorations du bicentenaire de la Révolution française, est créé sur la plage de Ngor, devant le sommet francophone de Dakar. « C’est vraiment cela qui m’a mis un pied dans le théâtre, raconte Jean-Louis. Quelques années plus tard, je propose au cinéaste malien Cheick Oumar Sissoko un scénario tiré de l’histoire de Jacob dans le premier livre de la Bible. » Intitulé La Genèse, ce long-métrage est retenu dans la sélection officielle Un certain regard du Festival de Cannes 1999. C’est sur ce tournage que Jean-Louis initie la création d’une compagnie de théâtre qui prend le nom de Mandéka Théâtre et à laquelle participent Habib Dembélé Guimba et Sotigui Kouyaté, plus tard rejoints par Alioune Ifra Ndiaye. Un stand up de kotéba (farces burlesques de satire social) joué par Habib Dembélé « Guimba », et une adaptation d’Antigone d’Anouilh ouvrent le bal. Habib Dembélé et Sotigui Kouyaté ne souhaitant pas poursuivre l’aventure du Mandéka, Alioune et Jean-Louis décident de créer la compagnie BlonBa. Nous sommes en 1998.

Jean-Louis Sagot-Duvauroux (photo © JM Fickinger)

Diversité des genres artistiques, des styles et des origines géographiques

Avec BlonBa, Jean-Louis Sagot-Duvauroux sera l’auteur d’une quinzaine de spectacles, principalement de théâtre, diffusés dans pas moins de 13 pays. Une première salle de spectacle, considérée comme un exemple du genre en Afrique de l’Ouest, avait été ouverte par BlonBa dans le quartier de Faladiè à Bamako. Aux prises avec les difficultés nées du coup d’État du 22 mars 2012, cette dernière a dû fermer ses portes. Après une réorganisation voulue par Alioune Ifra Ndiaye, le Complexe Culturel BlonBa développe désormais ses activités de façon autonome depuis 2017 dans le quartier de Baco Djikoroni. De ce tronc fécond est né la Compagnie BaroDa au sein du réseau malien Culture en Partage qu’anime une nouvelle génération d’acteurs culturels. Entre temps, une antenne française de la Cie BaroDa s’est développée dès 2007 au sein du Théâtre de l’Arlequin à Morsang-sur-Orge en Essonne dont elle assure la gestion. Une étape majeure. « Le fait qu’un théâtre public d’Ile-de-France ait été confié à une compagnie née au Mali est un fort symbole, explique Jean-Louis. L’Arlequin est à l’image de la société française d’aujourd’hui : relié à des cultures venues de partout. Notre programmation est placée sous le signe de la diversité : diversité des genres artistiques, des styles et des origines géographiques. Les cultures de tous les continents y trouvent place. L’Afrique bien sûr, qui est un peu notre marque de fabrique, y revient régulièrement avec chaque début d’année Le mois de BaroDa consacré à la création africaine. Les spectacles de la compagnie, créés au Mali, y trouvent une place naturelle, tant dans la programmation que dans les nombreuses propositions d’action artistique initiées par le théâtre. » 

L’Arlequin, un lieu inclusif en Essonne

Du théâtre à la musique en passant par la danse ou le théâtre de marionnettes, l’Arlequin s’est donné pour objectif de faciliter l’accès de tous aux arts de la scène. « Trop souvent, la création contemporaine est considérée comme réservée au petit nombre, poursuit Jean-Louis. Beaucoup de gens pensent : « Ce n’est pas pour moi ». Ici, notre but est de créer les conditions d’un lieu inclusif pour que chacun puisse se l’approprier et s’y sentir chez soi. » Alors que le théâtre associe chaque fois que possible les associations et différents acteurs du territoire de l’agglomération du Cœur d’Essonne, la tarification marque également cette volonté d’ouverture : 2€, 5€ ou 10 € au choix du spectateur, 1€ pour les moins de 12 ans. « Cette contribution n’est pas un prix car ce qu’on vit au théâtre est sans prix. Elle permet à tous de venir autant que possible, même quand on ne sait pas exactement si on va aimer ou non, ce qui est le cas avec toute nouvelle création. »

L’Arlequin

Au-delà de sa programmation éclectique, ce qui fait la force de l’Arlequin et BaroDa est sans aucun doute ses ateliers menés dans les établissements scolaires, et ce sur plusieurs années. A commencer par le partenariat intense noué avec le lycée professionnel André-Marie Ampère de Morsang-sur-Orge. « Le détour par l’Afrique et la rencontre des artistes africains a été particulièrement efficace pour ouvrir à l’art contemporain des jeunes qui n’y étaient pas socialement prédisposé, décrit Jean-Louis. Le fait de faire venir des artistes africains jouent un rôle très important pour captiver les jeunes. Beaucoup d’entre eux ont des liens familiaux avec l’Afrique. Lors des rencontres de pratiques artistiques que nous organisons, il se passe réellement des choses. Le fait de les autoriser à laisser parler leur imagination, c’est quelque chose de nouveau pour eux. Rencontrer ces jeunes artistes maliens très créatifs et décomplexés leur fait beaucoup de bien. Aujourd’hui, avec internet et les réseaux sociaux, il n’y a plus de périphérie, il n’y a plus de centre. Les rapports afro-européens s’en trouvent modifiés. Petit à petit, des jeunes franciliens, qui fuyaient un peu les institutions culturelles en place, se sentent respectés. Et cela peut très bien nourrir des vocations. Nous avons la chance de pouvoir compter sur une enseignante référente très impliquée dans le projet. Pour cette nouvelle année scolaire, une résidence est d’ailleurs prévue. Nous progressons étape par étape. » Conscient des enjeux, Jean-Louis se réjouit de cette effervescence qui, chaque année, prend davantage d’ampleur à l’heure où les crispations identitaires fracturent le pays. « Selon moi, nous sommes devant une génération pour laquelle la classification raciale s’évapore. La classification raciale des Asiatiques comme étant des « jaunes » a disparu et c’est en train d’arriver entre les jeunes Français qui semblent accorder de moins en moins d’importance à ces classifications raciales. Certains blaguent même avec. D’un côté, il y a les pro-Zemmour incapables d’aimer leur pays s’il ne domine pas les autres. De l’autre, il y a celles et ceux qui se débarrassent de ces vieilleries, qui se sentent légitimes dans leur pays quelle que soit leur couleur de peau ou la consonnance de leur patronyme. Au Mali, la jeunesse ne se considère plus à la périphérie d’un monde dont le centre serait l’Occident. C’est une des explications au soutien populaire aux autorités actuelles, par exemple le Conseil National de Transition dont l’un des membres, Ramsès Damarifa, est un des pionniers du mouvement hip-hop au Mali. »

Une librairie en ligne 100% made in Africa

Dans le domaine éducatif, BaroDa avance également beaucoup au Mali avec l’éditeur numérique BiBook dans l’idée d’ouvrir la conversation culturelle autour de la culture vivante et patrimoniale du pays. Sur place depuis la fin juin du côté de la Maison des Solutions à Bamako, Jean-Louis participe comme responsable éditorial à la conduite et à la création de ressources qui alternent contes, performances, livres numériques, documentaires et autres textes. BiBook, éditeur et librairie en ligne 100% made in Africa, propose en permanence une collection gratuite de 15 titres sélectionnés pour leur lien à l’Afrique ou pour leur importance dans la littérature mondiale, le tout téléchargeable sur téléphone ou tablette, les terminaux les plus répandus sur le continent. Un bon moyen de développer des lectures publiques en médiathèque ou ailleurs, ainsi que des interventions en milieu scolaire. « Cela fait un an et demi que nous travaillons dessus, affirme Jean-Louis. Cet été, c’était la deuxième phase. Il y a beaucoup de matière. On publie des textes qui intéressent beaucoup les Africains, des textes qui permettent de relégitimer l’histoire du continent, bien avant l’arrivée des Européens. Un livre éthiopien sur la Reine de Saba ou encore le premier roman de Victor Hugo à l’âge de 16 ans, dont le héros principal est un prince africain déporté à Saint-Domingue et qui devient le chef de la révolte. Derrière tout cela, l’ambition est d’autonomiser la question de l’édition en Afrique. » En parallèle, le réseau des médiathèques de la ville de Corbeil-Essonnes en a indiqué l’existence à son public, en sélectionnant trois titres autour de la thématique de l’esclavage. La plateforme a par ailleurs reçu un très bel accueil en juillet à Sikasso et Ségou où des étudiants ont pu se familiariser avec ces outils. Mais ce n’est pas tout ! Une collection de documents en réalité virtuelle sur la transmission des sociétés initiatiques du Mali est en cours de constitution. Pour ce faire, la startup We’re Solutions, l’Essonne Mali Festival, l’Arlequin, l’association Promotion des arts au Mali, Culture en partage et le collectif BKE travaillent main dans la main pour produire des modules VR destinés à populariser le patrimoine culturel de l’Afrique. Parmi les programmes en cours de réalisation, citons le Musée initiatique, une collection de témoignages en situation, et Confidanses, des portraits de danseuses et danseurs issus de la nouvelle génération. Formidable écho à la révolution culturelle africaine en cours et au rayonnement actuel de certains artistes*, ces contenus seront pensés et réalisés pour pouvoir être également mis à disposition des publics internationaux. Côté créations, Jean-Louis Sagot-Duvauroux, aperçu cet été sur le tournage de KotEsope, une série de vidéos inspirées des fables d’Esope, travaille sur Evasions, un parcours artistique euro-malien programmé pour l’Essonne Mali Festival en janvier-février 2023. Un des moments de ce parcours est une interprétation théâtrale par Jean-Paul Sermadiras du livre Bilal sur la route des clandestins du journaliste Fabrizio Gatti, auteur infiltré dans le cadre d’une enquête menée de Dakar à Lampedusa. Avant cela, BaroDa sera présent fin novembre au Festival des Solidarités, porté par le CRID (Centre de Recherche et d’Information pour le Développement), avec Je suis Frederick Douglass et une performance avec l’association Structures Sonores Baschet. Autant dire que l’automne sera dense, et tout particulièrement avec les élèves de seconde du lycée Ampère qui, le 5 septembre, ont lu une fable de La Fontaine à l’Arlequin, préfiguration d’un travail autour du fabuliste Esope, inspirateur antique du poète français. A suivre…

 

Florian Dacheux

(Crédit Photos © DR BaroDa)

*Parmi les très nombreux artistes africains en vogue aux quatre coins de la planète, citons Fatoumata Diawara repéré sur le tournage de La Genèse en 1999. Bien avant son succès dans la musique, elle s’est fait connaitre au cinéma, et ce en grande partie grâce à Jean-Louis et les siens. « Fatoumata a joué le premier rôle féminin dans le film La Genèse, à 15 ans, alors qu’elle n’avait pas été envoyée à l’école et vivait une situation familiale difficile, explique-t-il. Après La Genèse, nous avons pu la mettre à l’école et lui faire intégrer l’équipe de notre Antigone, première grande étape de l’aventure théâtrale aujourd’hui portée par BaroDa, première marche vers l’autonomisation de la jeune artiste. Depuis, elle fait le tour du monde… »

Jean-Louis Sagot-Duvauroux est notamment l’auteur de On ne naît pas Noir, on le devient (Albin Michel) qui analyse la difficile construction identitaire des jeunes Noirs de France, ou encore de L’art est un faux dieu (Jacques Flament / Alternative éditoriale) qui propose une réflexion ancrée dans trois décennies d’action artistique entre France et Mali, sur la façon dont l’impensé de la domination occidentale tord nos paradigmes et nos institutions culturelles.

 

En savoir plus ? 

BiBook – L’ÉDITEUR ET LA LIBRAIRIE NUMÉRIQUES DE L’AFRIQUE

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Florian Dacheux