Avignon, théâtre d’un nouveau racisme ?

Août / 08

Avignon, théâtre d’un nouveau racisme ?

By / Marc Cheb Sun /

Avignon, théâtre d’un nouveau racisme ordinaire?

La dernière édition des Festival In et Off d’Avignon a donné lieu à des actes racistes que nous aurions tort de négliger. Un amer goût de racisme ordinaire.

 

Premières victimes ? Les huit performeuses noires de ‘Carte Noire Nommée Désir’, une création signée Rébecca Chaillon, programmée au Gymnase Aubanel (lire notre chronique), ont dû faire face dès le 20 juillet à des agressions verbales et physiques à caractère raciste lors de trois représentations. Un soir, des doigts d’honneur ont été adressés de la part du public au moment où les comédiennes évoquent le sujet des violences policières. Une autre fois, la phrase «On est chez nous !» a résonné dans la salle. Lors de l’avant dernière représentation, lundi 24 juillet, un spectateur a littéralement frappé la comédienne Fatou Siby pendant un jeu de mimes, avant de sortir tranquillement de la salle. «L’incident a eu lieu lorsque des performeuses sont montées dans le public pour prendre des sacs au hasard et les ramener sur scène afin de mimer la colonisation et ses spoliations, raconte un témoin. C’était un jeu évidemment, c’était un spectacle et tout le monde allait récupérer son sac à la fin : chacun l’avait compris. Mais non, le mec dégoulinant de bêtise crasse, arc-bouté sur son inaliénable supériorité blanche, a fait semblant de ne pas comprendre et a utilisé la violence physique.»

Alors que la Compagnie Dans le Ventre précise que des membres de l’équipe du spectacle ont également été victimes d’agressions dans les rues d’Avignon, l’extrême droite locale a attendu que les festivaliers tirent le rideau pour, à nouveau, déverser sa haine. Dans la nuit du 2 au 3 août, pas moins de 200 affiches ont été placardées un peu partout dans l’intra-muros, visant une fois encore le spectacle de Rébecca Chaillon. A la demande de la municipalité, les agents de propreté se sont hâté d’ôter ces affiches haineuses. La condamnation est unanime et le Festival In d’Avignon comme la Ville ont déposé plainte pour incitation à la haine raciale. «Il est inacceptable de laisser sous silence ces déferlements de haine» avait affirmé le Festival d’Avignon, en témoignant « de sa solidarité et de son soutien aux artistes » dans un communiqué publié sur les réseaux sociaux en date du 25 juillet. Son nouveau directeur, Tiago Rodrigues, a exprimé son soutien à l’équipe de Rébecca Chaillon à l’occasion d’une intervention au Cloître Saint-Louis : «Nous sommes énormément fiers de ce spectacle, qui est à l’image du passé, du présent et de l’avenir du Festival. Il a marqué cette édition et nous n’aurons pas la moindre tolérance envers des comportements de ce genre.» De son côté, le Théâtre de l’Odéon à Paris, qui accueillera le spectacle à partir du 28 novembre aux Ateliers Berthier, a également affiché son «soutien total» en précisant que ses équipes mettront «tout en œuvre pour porter la parole de ces artistes engagées tout en veillant à leur sécurité.»

Membre active du collectif #MeTooThéâtre, Marie Coquille-Chambel s’interroge quant à elle via son compte Instagram sur « le début de l’impossibilité de parler de la question raciale, qu’il s’agisse de la mémoire de l’esclavage et de la colonisation ou du racisme en règle générale». Elle poursuit : «La responsabilité collective serait d’apporter du soutien à l’équipe artistique mais aussi d’apporter une contradiction claire à celles et ceux qui, de tribunes en conférences, empêchent les artistes ou militant.e.s de travailler sur l’histoire de la colonialité.»

 

« Ce racisme est une problématique malheureusement latente dans notre pays qui ressurgit dans les théâtres. »

 

Dans son joyeux désordre de 1491 spectacles, le Off n’a pas non plus été épargné. A l’affiche de ‘El Maestro’ qu’il jouait chaque soir dans la cour du Théâtre Al Andalus à 21h15, Mouss Zouheyri a subi les foudres d’un voisin ouvertement raciste (lire notre interview ci-dessous). Joint par téléphone, le directeur du théâtre confirme les faits : «Le soir du 29, Mouss a été ciblé. C’est clairement du racisme et c’est pourquoi nous sommes allés au commissariat finaliser notre plainte. Ce racisme est une problématique malheureusement latente dans notre pays qui ressurgit dans les théâtres. Nous sommes totalement solidaires avec Mouss. Les Scènes d’Avignon (ndlr : regroupement de cinq théâtres et compagnies permanentes d’Avignon) ont été informées. Des théâtres de Tours et Saint-Jean-de-Monts nous ont appelés.»

À ce jour, aucun communiqué officiel du Festival Off n’a été produit. Sur les réseaux sociaux, la critique facile du wokisme obsède celles et ceux qui ne sont pas prêts à faire l’effort de se pencher sur notre histoire commune. Certains mécanismes perdurent toujours et cela en devient irrespirable. Contacté par ‘D’ailleurs et d’ici’, le ministère de la Culture ne s’est pour l’heure pas exprimé sur l’une ou l’autre affaire…

 

Florian Dacheux

© Photos ‘Carte noire nommée désir’ : Christophe Raynaud de Lage.

Le comédien Mouss Zouheyri témoigne : «Vous aussi, vous allez l’avoir votre Nuremberg !»

Artiste exigeant, avec un solide répertoire théâtral à la clé (de Slavomir Mrozek à ‘La tragédie du roi Christophe’), des films de Costa Gavras ou Mahmoud Zemmouri. On se souvient également du pétillant comédien (aux côtés du chanteur Khaled) dans le film culte , ‘100% Arabica’.

Le 29 juillet à Avignon, dernier jour du Festival Off, Mouss Zouheyri est l’objet d’insultes racistes lors d’une représentation de ‘El Maestro’, extrait du répertoire du dramaturge algérien, Aziz Chouaki.

Le spectacle était présenté en extérieur, dans une cour ?

Oui, un lieu absolument agréable. C’est une cour qui fait partie du théâtre. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles j’ai décidé que le spectacle se donnerait là. Au-dessus de cette cour, il y a des bâtiments, et les gens qui les habitent. Donc depuis les fenêtres, les gens sont au fait du spectacle qui se joue et, pendant ces périodes, il n’y a jamais d’incident. Pour moi, avec ce texte qui parle de l’Algérie, c’était extraordinaire. On entendait de manière très discrète des petites conversations en arabe venant des intérieurs et qui ne faisaient qu’ajouter un plus à cette ambiance algéroise si bien décrite dans le texte d’Aziz Chouaki,El Maestro’.

 

Un auteur auquel vous êtes très lié…

Aziz Chouaki est un grand auteur algérien qui, malheureusement, nous a quittés il y a quatre ans maintenant. C’était aussi un très grand ami. Il a fui l’Algérie dans les années 90, au moment de la ‘décennie noire’. Aziz avait été obligé de partir très vite, il était menacé. En Algérie, il était à la fois journaliste, auteur, musicien et professeur de littérature anglaise. C’était un grand spécialiste de James Joyce. Il est arrivé en France où, le premier, Jean Pierre Vincent, directeur des Amandiers de Nanterre, l’a repéré. Après la lecture de ‘Baya’, le premier roman d’Aziz, Jean Pierre lui a dit : «En fait, vous écrivez du théâtre et vous ne le savez pas». Son premier texte fondateur, celui qui l’a vraiment révélé, c’est ‘Les Oranges’, qui a beaucoup été joué. C’est à cette époque que je l’ai rencontré. Finalement, par le biais d’une autre personne, nous sommes tombés sur ce texte, ‘El Maestro’, qui a été le ciment textuel et physique d’une forte amitié fraternelle entre Aziz et moi. Avec ce spectacle à Avigon, on était évidemment au delà de la seule présentation théâtrale.

 

On peut bien imaginer l’intensité émotionnelle…

Très forte. Je le savais déjà, mais là j’ai eu la preuve absolue qu’Aziz était un très grand auteur. Michel Bouquet, que j’ai eu comme prof au Conservatoire, me disait souvent : «Tu verras, côtoyer les grands auteurs, au fil des années, avec le temps qui passe, avec l’âge, le fait de reprendre leurs textes te fait y découvrir à chaque nouvelle lecture de plus en plus de choses.» C’est exactement ce qui s’est passé avec ‘El Maestro’. Aziz n’a jamais cédé au ‘loukoumisme ». Il n’a jamais cédé aux sirènes du côté folklorisant, orientalisant. Dans ‘El Maestro’, il règle aussi ses comptes avec l’Algérie, avec ce qu’elle est devenue.

 

Qu’est-ce qui s’est passé ce soir du 29 juillet ?

Ce soir-là, c’est la pièce dans la pièce. Après trente minutes de représentation, des vociférations se font entendre. Le public et moi même avons pensé que c’était un règlement de compte, qu’une personne en engueulait une autre. Mais on a compris très vite que cela s’adressait à moi. Les cris venaient probablement d’une fenêtre d’un appartement au dessus de la cour. On a entendu des «Y en a marre». Ça a commencé comme ça. Puis : «Ta gueule, tais-toi». Je me suis dit «Bon, les habitants ne supportent peut-être plus le festival …» Ensuite, on est passé à la menace : «Je vais descendre te régler ton compte». Et puis, à un moment donné, c’est devenu beaucoup plus précis : «Cloportes, parasites !  Vous vivez à nos crochets.» Évidemment, j’étais obligé de m’arrêter de jouer. Alors il a hurlé : «Vous aussi, vous allez l’avoir, votre Nuremberg». Et ça, c’était très violent. J’ai arrêté. On a écouté. Évidemment, c’était une attaque terrifiante contre ‘El Maestro’, contre ce pays, contre Aziz Chouaki et contre moi-même, acteur français d’origine marocaine. J’ai déjà vécu des broncas au Festival d’Avignon quand une direction artistique était contestée par une partie du public. Mais là, c’était autre chose, c’était de la haine. Les gens du théâtre assurent qu’une plainte a été déposée. On se dit que, non, dans le climat actuel, tellement insupportable, on ne peut pas se taire. Moi, je n’ai jamais vraiment connu ce genre d’incident. Le théâtre a de multiples fonctions. Parmi elles, le devoir de combattre tous les racismes. Quelle que soit la communauté ou la population attaquée, on doit refuser ça!

 

Recueilli par Marc Cheb Sun

Marc Cheb Sun