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Déc / 02

ADN, biophysique et racisme : nous sommes en devenir

By / akim /

ADN, biophysique et racisme

Nous sommes

en devenir

par Réjane Éreau

Imaginez : vous êtes le héros d’un jeu vidéo. START ! Vous sortez d’un long coma sans savoir qui vous êtes. Seul indice, votre peau est noire. Votre mission : retrouver votre propre trace. Le pixel de votre épiderme et l’hélice de vos chromosomes peuvent-ils vous éclairer ? PLAY ! Vous foncez.
Premier tableau. Les recherches génétiques sont devenues extrêmement précises, avec pour objectif de vaincre définitivement certaines maladies. Au point de postuler que la plupart des traits humains sont inscrits dans l’ADN… « En 2010, des douzaines de publications scientifiques ont fait état de l’existence de gènes spécifiques associés […] à chaque caractéristique imaginable – l’intelligence, la personnalité, la religiosité, la sexualité, la longévité, l’esprit d’entreprise, l’inclination politique, les goûts en matière de loisirs ou de consommation », développe le psychologue Geoffrey Miller dans The Economist.
Alors quoi, nous serions préprogrammés ? Un fragment d’ADN pourrait permettre de tracer non seulement nos origines familiales, mais aussi nos destinées biologiques, psychologiques, sociales et comportementales ? PAUSE. À la réflexion, l’hypothèse fait froid dans le dos. Aux États-Unis, les avancées en génétique alimentent, malgré elles, de nouveaux élans racistes. « Malmenée, la science peut servir de caisse de résonance à la croyance selon laquelle la couleur de peau et l’origine ethnique prédisposent chacun de nous à accomplir plus ou moins bien telle ou telle tâche », confirme Nina Jablonski, professeur d’anthropologie à l’université de Penn State, dans une dépêche AFP du 15 février 2014. D’inquiétantes études proposent que les enfants soient classés selon les capacités désignées par leur patrimoine génétique, puis placés dans des écoles spécialisées dans tel ou tel domaine d’apprentissage…

Et si nous étions un faisceau de potentiels,
une somme de possibles, influencée par le regard de l’autre ? Pas besoin d’avoir Bac+12 pour le ressentir.

L’empreinte environnementale

STOP. REPLAY. Changement de tableau. « Non ! » dit Joseph Graves, responsable de recherche à l’université de Caroline du Nord. « Si le patrimoine génétique influe sur la prédisposition à telle ou telle maladie, la couleur de peau n’est pas en soi un déterminant biologique. » Pour lui comme pour d’autres, la réalité est bien plus complexe.
Notre environnement joue un rôle prépondérant. « Les gènes peuvent être activés ou modifiés par les circonstances de notre vie et le milieu dans lequel nous nous trouvons, explique la journaliste scientifique Lynne McTaggart. Tout peut avoir une influence : ce que nous mangeons, le lieu où nous avons grandi, le climat familial où nous nous sommes (ou pas) épanouis, les personnes que nous fréquentons, la façon dont nous nous conduisons… » Exemple rigolo : les souris agoutis sont jaunes ; leur espérance de vie est plus faible que la moyenne. En 2003, des chercheurs ont donné de la vitamine B à une maman agouti. Ses petits sont nés bruns ; ils ont vécu aussi longtemps que des souris classiques. « La modification de l’alimentation de la mère a éteint le gène agouti sur plusieurs générations », décrypte Lynne McTaggart.
Chez l’homme aussi, certaines capacités évoluent au gré de facteurs extérieurs. Prenez le cas des enfants Moken, qui vivent dans des îles au large de la Thaïlande et de la Birmanie. Leur acuité visuelle, deux fois supérieure à celle des Européens, est une réponse adaptée au manque de transparence de l’eau. Très tôt, ils apprennent à nager, et le diamètre de leurs pupilles se réduit afin d’améliorer leurs perceptions subaquatiques.
SCORE. Le héros percute. Si aux États-Unis, la santé des Noirs est statistiquement moins bonne que celle des Blancs, ce n’est pas une question génétique, mais sociale – liée aux revenus et aux conditions de vie. Exit aussi l’idée que l’origine ethnique soit un marqueur biologique de la violence. Car si un climat brutal s’imprime dans les gènes et se transfère aux générations suivantes, cette empreinte risque de s’effacer au gré d’un contexte plus clément. « La violence peut avoir une part génétique, mais l’environnement joue un rôle largement prédominant, par le biais de facteurs classiques comme le contexte familial pendant l’enfance et les contacts sociaux à l’adolescence », confirme Pierre Tambourin, directeur général du Génopole.

La science du lien

LOADING. Téléchargement de nouveaux horizons. Au début du xxe siècle, des chercheurs ont démontré que la matière n’était pas, comme on le croyait, un assemblage de particules séparées qui se bousculent dans un espace vide. Un champ subtil les relie. Lorsqu’on éloigne de plusieurs kilomètres deux particules qui ont été en contact, toute action menée sur l’une se répercute systématiquement sur l’autre, malgré la distance… Autre découverte étonnante : une particule ne suit pas un mouvement déterminé ; elle est un nuage de probabilités. Son état ne se fige que sous le regard de quelqu’un qui l’observe.
Et si, comme les atomes, nous étions un système dynamique, en résonance avec notre environnement ? « Nous sommes en permanence entraînés, constate le chercheur en biophysique Denis Bédat. Après trois mois de cohabitation, deux femmes finissent par avoir leurs règles en même temps. » Et si nous étions, nous aussi, un faisceau de potentiels, une somme de possibles, influencée par le regard de l’autre ? Pas besoin d’avoir bac+12 pour le ressentir. Souvenez-vous combien certaines remarques blessantes ont pu vous inhiber, ou au contraire comment certaines rencontres ont éclairé votre parcours… Dans Le Lien quantique*, Lynne McTaggart cite l’exemple d’un jeune socialement inadapté, dépressif, dont la vie a changé lorsqu’un soignant lui a témoigné de la gentillesse. Inspiré par cette sollicitude, il a trouvé sa voie : il est devenu psychiatre. Se relier est une impulsion vitale. Se sentir appartenir, en accord, reconnu, à sa place… Des études montrent que les orphelins qui ont grandi au sein d’une institution impersonnelle, sans contact ni tendresse, souffrent de troubles psychiques et physiologiques importants.

Devenir qui nous sommes

Alors quelle société voulons-nous ? GAME OVER. La couleur de peau continuera sûrement un bon moment à stigmatiser l’Autre. Mais la recherche montre, a contrario du repli ambiant, que nous sommes intrinsèquement multiples, perméables, façonnés tant par là d’où nous venons que par là où nous allons. Nos origines font partie de nous, de même que les bonheurs et les douleurs qu’elles ont engendrés, mais elles ne nous assignent pas à résidence.
« La meilleure façon de rétablir le lien dans nos sociétés est peut-être d’élargir la définition de ce que nous sommes », estime Lynne McTaggart. Élargir n’est pas se perdre ; c’est se donner les moyens de mieux se trouver. « Deviens qui tu es », disait Nietzche. Oui, devenons qui nous sommes, dans cette profondeur d’âme qui se trame au-delà des cloisonnements de principe. Oui, société française, deviens qui tu es. Ouverte, en devenir, capable d’unir les tiens dans un champ commun et de permettre à chacun, quel qu’il soit, d’activer ses potentiels.
PLAY AGAIN.

 

* Le Lien quantique, Lynne McTaggart, Macro Éditions.

Gènes et identité : quel lien ?

Septembre 2013. Au centre hospitalier de Thuir, dans le sud de la France, l’heure est au soulagement. Grâce aux appels à témoin passés dans les journaux, la mère d’une patiente amnésique, retrouvée errante dans les rues de Perpignan, sans aucun papier, s’est enfin manifestée. Victime d’une agression en juillet 2012, celle qui disait s’appeler Sarah Mastouri et être née le 4 juillet 1984 dans un village algérien, avait été hospitalisée en janvier 2013, après avoir été hébergée dans divers foyers.
Pendant huit mois, les démarches pour vérifier son état civil restaient infructueuses. Consulat d’Algérie, ministère des Affaires étrangères, Pôle emploi, Assurance-maladie… Nulle trace de la jeune femme. Et pour cause : en cette fin d’été, la mère révèle aux enquêteurs que la patiente en question s’appelle Michèle, qu’elle est née dans la Marne en 1980 et qu’elle a des origines réunionnaises.
Quelle personnalité Michèle se serait-elle construite si sa mère ne l’avait pas retrouvée ? Quels éléments d’identité sa peau, ses yeux et sa chevelure auraient-ils pu lui dicter ? Et où est-elle allée pêcher ses prétendues ascendances maghrébines ? Dans un pli de sa vie, un lien à cette communauté l’a-t-il particulièrement nourrie ? L’histoire est troublante. Notre identité serait-elle moins immuable qu’on le croit ? Nous avons tous appris un jour, en cours de biologie, que nos gènes nous déterminent. Est-ce vraiment le cas ?

 Grande illustration: Alexis Peskine

akim