<span class=Démos, l’orchestre des possibles">

Juin / 26

Démos, l’orchestre des possibles

By / Florian Dacheux /

Initié en 2010, Démos, dispositif national d’éducation musicale et orchestrale, continue à faire naître des vocations dans les quartiers populaires. Dédié en priorité aux enfants des écoles classées en réseau d’éducation prioritaire, Démos, dont la pédagogie est basée sur la pratique, l’écoute et la mémoire, a le mérite de dépoussiérer les codes. Les codes d’une musique classique qui serait réservée à une élite. Reportage à Avignon où un cycle de trois ans vient de s’achever.

Démos, l’orchestre des possibles

Samedi 15 juin, il est 20h15 quand pas moins de 80 enfants de l’orchestre Démos Avignon-Provence trépignent d’impatience dans les loges de la Cour d’honneur du Palais des Papes. Dans moins d’une heure, ils feront leur entrée sur scène aux côtés de 150 enfants de la Maîtrise Populaire de l’Opéra Grand Avignon. Au même moment, sur la place du plus grand palais gothique du monde, leurs familles n’ont qu’une hâte : pénétrer dans ce lieu majestueux, antre majeur du Festival d’Avignon, pour assister à l’ultime prestation collective de leurs protégés. Un dernier concert qui vient clore un cycle de trois années de pratique instrumentale et vocale.

Les salles d’envergure, ces jeunes apprentis musiciens, tous issus des quartiers dits populaires de la ville, commencent à en avoir l’habitude. L’an passé, à la même période, le groupe s’était produit en concert deux soirs de suite : l’un à l’Opéra d’Avignon, le second sur la scène du grand plateau de la Philharmonie de Paris. C’est là-bas, à la Cité de la musique, que le dispositif Démos est né dès 2010, avant de prendre son envol vers d’autres territoires (ndlr : une cinquantaine). Présente au tout début de l’aventure, la cheffe d’orchestre Debora Waldman est nommée dix ans plus tard, en 2020, directrice musicale de l’Orchestre National Avignon Provence. Elle y rencontre alors Isabelle Ronzier, fondatrice du service d’actions culturelles de l’orchestre, et fait le vœu de voir Démos s’ancrer en Cité des Papes. Alors qu’Isabelle Ronzier produit depuis près de 20 ans des dispositifs de création musicale en milieu scolaire, elle prend naturellement la coordination territoriale du dispositif. Un programme spécifique pour celles et ceux qui, pour des raisons économiques, sociales, ou géographiques, pourraient être exclus de la pratique musicale. « Voir la première cohorte terminer son cycle au Palais des Papes, c’est merveilleux, surtout devant leurs parents qui n’ont pas l’habitude nécessairement de venir dans ce type d’endroit, témoigne Isabelle Ronzier. Ce sont des lieux, au même titre que l’opéra, qui leur appartiennent aussi. »

« Beaucoup de jeunes se sont sentis valorisés »

Bouchra Harchaoui, référente du projet pour l’Espace Social Culturel Croix-des-Oiseaux © Thomas Bohl

Convaincus que c’est par l’expérience sensible que l’on accède à l’œuvre artistique, Isabelle Ronzier et les siens ont mis tout en œuvre pour que chacun soit au rendez-vous à l’arrivée. A raison de deux ateliers par semaine et un tutti un samedi par mois, violonistes et autres clarinettistes ont répété pendant trois ans au sein des écoles et différents centres sociaux de la ville. Un apprentissage collectif favorisé par l’implication cruciale des travailleurs sociaux. « On a aussi pu compter sur les parents dans l’accompagnement et l’engagement, c’est super important, explique Bouchra Harchaoui, référente du projet pour le centre socioculturel du quartier de la Croix-des-Oiseaux. Beaucoup de jeunes se sont sentis valorisés par la pratique du classique. Alors que ça peut être difficile à l’école, la musique les a valorisés autrement. Ils ont pu briller autrement. Beaucoup ont développé des compétences comme la concentration, l’écoute, la reproduction d’un enseignement. Cela fait effet sur le reste. » Outre la pratique musicale, chacun a pu recevoir des cours d’expression corporelle, notamment pour apprendre à gérer sa posture et/ou sa respiration. Des techniques transposables à l’école. « Cela a apporté beaucoup de choses à ma fille, de la concentration et du calme dans tout ce qu’elle fait, ainsi que plein de copains et copines, témoigne Rajah Anijani, une maman qui a rempli le rôle de référente pour assurer le lien entre les familles et les enfants liés aux collèges Gérard Philippe et Jean Brunet. Il faut continuer à défendre l’accès de tous à la musique, à lever les freins. Il y avait toutes les cultures, toutes les religions, et tout s’est bien passé. » 

« Dans le contexte politique actuel (…), l’accès pour tous à la musique, à l’expression de soi, c’est vital »

Isabelle Ronzier, coordinatrice territoriale de Demos Avignon © Thomas Bohl

En ces temps troublés où l’extrême droite est aux portes du pouvoir, il faut bien dire que s’immerger au cœur d’une telle initiative, soutenue à la fois par des fonds publics et privés, rassure sur l’état de la France. « La culture, l’école et la solidarité sont des valeurs de la ville d’Avignon, a clamé la maire Cécile Helle, peu avant l’arrivée sur scène des jeunes Avignonnais qui ont conclu l’expérience par l’Ode à la joie (ndlr : dernier mouvement de la 9ᵉ Symphonie de Beethoven devenu l’hymne officiel de l’Union européenne). Merci de montrer que c’est encore possible à Avignon et bien-sûr en France ». « Dans le contexte politique actuel, on se rend compte pourquoi on défend ce genre de projet, ajoute Isabelle Ronzier. On y voit des valeurs, de l’épanouissement. Il y a aussi nos rencontres avec les familles. On apprend tous des uns et des autres. L’accès pour tous à la musique, à l’expression de soi, c’est vital. Ça fait sens. » Surtout quand près de la moitié d’entre eux continue l’aventure au Conservatoire. Ces derniers peuvent alors conservés leurs instruments de musique initialement prêtés. « Ça fait bouger les codes et interroge sur la transmission, la pédagogie, l’enseignement, poursuit-elle. Ça fait bouger sur le fond et ça permet à des enfants, qui n’avaient pas pour projet de faire le conservatoire, de se dire que c’est un lieu aussi qui leur appartient. Ce n’est pas de la com. C’est une réalité de terrain qui nous donne la force de continuer. Samedi soir, on a encore vécu un moment de grâce, un moment suspendu. » Également très émue par ces trois années, Bouchra Harchaoui sent que « la musique fait désormais partie de leur vie ». « Ça crée une envie chez leurs frères et sœurs, dans le quartier, quand on les voit marcher avec leurs instruments », confie-t-elle.

A la rentrée, une seconde cohorte repartira à nouveau pour trois ans. Seul ombre au tableau remarquée par quelques observateurs avertis ? L’absence d’un pont artistique via des ateliers qui favoriseraient la fusion de musiques du répertoire classique avec le patrimoine multiculturel qui résonne dans nos quartiers. Extra-muros, de la Reine Jeanne à Monclar en passant par La Barbière, il suffirait parfois de réunir en pied d’immeubles quelques anciens comme des plus jeunes pour faire jaillir le son chaleureux de la darbouka, autres ouds et koras. Et pourquoi pas mixer de la musique gnawa à du Prokoviev ? A la manière du groupe Zebda, qui en juin 2012, déjà, avait mêlé ses compositions au Boléro de Ravel interprété par un quatuor à cordes dans le quartier des Izards à Toulouse. « L’an passé, à l’occasion de leur concert à la Philharmonie, nos jeunes ont notamment joué une pièce issue de la musique traditionnelle grecque d’Ourania Lampropoulou (virtuose de santouri), défend Isabelle Ronzier. Le directeur national du dispositif travaille beaucoup sur la mixité des musiques. Du classique au contemporain, il y a énormément d’œuvres qui accueillent les musiques du monde. » Une ouverture à saisir pour les enfants d’Avignon et d’ailleurs. Le futur leur appartient. Salam.

 

 

Florian Dacheux

(crédit galerie photos © Thomas Bohl)

Florian Dacheux