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Avr / 21

Visite guidée à Saint-Denis, bastion du hip-hop

By / Marc Cheb Sun /

Je me suis rendu à Saint-Denis, bastion du hip-hop, avec l’association Baština, pour retracer la naissance du genre en France. Baština est une agence de voyage qui a mis en place le programme Les Hôtes urbains (anciennement appelé MigranTour) : des balades (à Marseille ou Saint-Denis par exemple) valorisant les parcours individuels des immigrés, exilés, réfugiés, migrants : tous les « Passeurs de cultures » qui viennent raconter leurs histoires dans un lieu emblématique, un faubourg populaire, un quartier ou un musée.

Visite guidée à Saint-Denis, bastion du hip-hop

Le rap s’est aujourd’hui propulsé parmi les genres musicaux les plus écoutés au monde. Comme beaucoup de jeunes de la génération Z (années 2000), j’ai grandi avec du rap dans les oreilles. Rares sont les jours où mes écouteurs se reposent. Amateur de textes engagés, de rimes acérées et de performances qui sortent des tripes, je ne compte plus le nombre d’heures passées à écouter attentivement les morceaux de mes rappeurs préférés. Parmi eux : Dinos, Médine, Georgio, Hugo TSR, Kery James, Isha, Nekfeu, Bekar, Zamdane, Népal…

Cependant, le rap n’est pas arrivé sur le devant de la scène par hasard. Un long et éprouvant combat a été mené dans les années 80 par les adeptes de la culture hip-hop qui, elle, se perd de plus en plus. Moi-même curieux de cette culture qui me passionne, j’avoue ne pas être incollable quant à son histoire.

Ainsi, je me suis rendu à Saint-Denis, bastion du hip-hop, avec l’association Baština, pour retracer la naissance du genre en France. Baština est une agence de voyage qui a mis en place le programme Les Hôtes urbains (anciennement appelé MigranTour) : des balades (à Marseille ou Saint-Denis par exemple) valorisant les parcours individuels des immigrés, exilés, réfugiés, migrants : tous les « Passeurs de cultures » qui viennent raconter leurs histoires dans un lieu emblématique, un faubourg populaire, un quartier ou un musée.

Arrivé au point de rendez-vous, devant l’entrée de la station Saint-Denis Université, je rejoins le groupe et rencontre Salah Khemissi, fondateur de la mythique salle de concerts Ligne 13. C’est lui qui animera cette balade. Je suis impatient de découvrir les anecdotes qui se cachent derrière cette apparence décontractée et ces lunettes de soleil. Je profite de l’attente des retardataires pour discuter avec Stefan Buljat, coordinateur de Baština. Il m’explique que l’association forme des habitants à la médiation culturelle en plus des balades qu’elle propose. Nous sommes un peu moins de 10 à assister à la balade. Il y a tous les âges, de la vingtaine à des septuagénaires. Certains s’intéressent au hip-hop, tandis que d’autres n’y connaissent rien et viennent découvrir son histoire.

«Dans les années 80, j’étais prof de karaté et j’entraînais Joey et Kool Shen»

14h47, le soleil brille et la balade commence. « Il y a 40 ans, ici, il y avait des plantations tout autour », nous dit Salah. « Je confirme ! » s’exclame Myriam, expliquant qu’elle s’est installée à Saint-Denis – il y a justement 40 ans – pour travailler à la bibliothèque de l’université.

Salah nous emmène à la cité Allende. On s’arrête un instant : « Voilà où vivait JoeyStarr », raconte Salah en pointant le bâtiment 4. Il nous explique sa rencontre avec cette icône du hip-hop : « Dans les années 80 j’étais prof de karaté et j’entraînais Joey et Kool Shen ». À la fin des mêmes années, Salah était également animateur sur le quartier du Franc-Moisin. A cette époque-là, le groupe NTM était déjà plongé dans la culture hip-hop née 15 ans auparavant dans les quartiers de New-York. Parmi les membres du groupe, on trouve des danseurs : le groupe Psykopat, des rappeurs : JoeyStarr et Kool Shen, des DJ : DJ S et DJ Oliver, et des graffeurs. Salah décide de laisser leur chance à ces jeunes et leur organise une scène à Saint-Denis, faisant de lui un précurseur : une des rares personnes à avoir soutenu le hip-hop à cette époque. Plus nous avançons, plus je me fais un film : j’arrive à m’imaginer le Saint-Denis d’il y a 40 ans. « Ils bougeaient dans toute la ville avec leur possé (groupe) ; on voyait souvent des bandes de 30 jeunes se déplacer en même temps ». « Pour aller dans le centre il n’y avait quasiment pas de bus. Tu les voyais faire des courses, de Allende jusqu’au marché Saint-Denis, avec des sacs remplis, c’était le parcours du combattant ».  « Ici, ils se retrouvaient pour graffer ». « A l’époque on disait Saint-Denis c’est le béton, aujourd’hui je trouve que c’est une ville verte ».

Nous avançons vers la cité d’à côté. « Kool Shen vivait ici, c’est pour ça que JoeyStarr disait que c’était un bobo ». Tout le monde rigole. C’est vrai que le bâtiment semble un peu mieux entretenu que celui de JoeyStarr. Nous poursuivons notre balade. « Ici, ils se retrouvaient et ils traînaient sur ces bancs… ils écoutaient de la musique ».

C’est seulement à partir des années 90 que des rappeuses se font connaître.

Nous traversons un parc lorsque Salah aborde la question de la femme dans le hip-hop dans les années 80-90. « Dans les débuts du rap, tu prends IAM y’a pas de femme, tu prends Psykopat, c’est que des mecs. Chez NTM, il y a une danseuse, mais on ne lui propose pas de prendre le micro ou d’écrire ». Myriam répond « Oui, j’ai l’impression qu’on possédait une femme comme on possédait une voiture ». Les premières femmes à se faire un nom dans le hip-hop le feront dans des disciplines non-musicales comme la production audiovisuelle et la photographie. Laurence Touitou et Marie-France Brière ont créé en 1984 H.I.P H.O.P, la première émission consacrée en France, diffusée sur TF1. C’est seulement à partir des années 90 que des rappeuses se font connaître. Les rappeuses Saliha, B-Love, ou encore Destinée, lancent la danse. De plus grands succès arriveront quelques années plus tard entre la fin des années 90 et le début des années 2000 avec des artistes comme Diam’s, Bams, Sté, ou Casey.…

Nous passons par un tunnel et nous nous retrouvons de l’autre côté de la route. Le calme et les chants d’oiseaux laissent place aux bruits de moteurs et de klaxons. Les graffitis recouvrent les murs.

La balade continue, nous passons, en quelques rues, de quartiers populaires à d’autres plus aisés, et Salah multiplie les anecdotes. Il revient sur le « coup de com’ » de JoeyStarr à Canal+ lorsque Michel Denisot demande ce que signifie le sigle NTM. Signifiant à l’origine « le Nord Transmet le Message », JoeyStarr répond « Nique Ta Mère » et l’expression fait du bruit dans la France entière.

La balade se termine à la maison de la jeunesse, espace culturel que Salah Khemissi souhaiterait voir dans toutes les villes. « C’est ici que venait répéter NTM… C’était un parking, on s’est battus avec des potes pour offrir un espace dédié aux jeunes ».

Quel narrateur ! Merci à l’association Baština de mettre en place ces enrichissantes promenades qui mettent en lumière des parcours singuliers et des lieux historiques.

 

Gabriel Dubreuil

Photos: Stefan Buljat, Gabriel Dubreuil.

 

Baština propose des balades dans de nombreuses villes d’Ile-de-France et à Marseille. Retrouvez leur site ici : http://www.leshotesurbains.org/

Marc Cheb Sun