<span class=Sameer Ahmad, rappeur en devenir">

Oct / 07

Sameer Ahmad, rappeur en devenir

By / Soufyan Heutte /

Basé à Montpellier sans le revendiquer, Sameer Ahmad est l’un des rappeurs les plus intéressants et les plus méconnus de sa génération. A contre-courant depuis bientôt 20 ans de micro, cet enseignant s’est pourtant construit une solide réputation dans l’ombre des « bankable ». Perle rare, il s’apparente à un secret bien gardé, reconnu pour son sens de la formule. Avec Effendi, son cinquième album, il poursuit son œuvre avec humilité. En faisant la promesse qu’un jour, il sera rappeur.

Sameer Ahmad, rappeur en devenir

Lumière tamisée. Au loin, terrasse ensoleillée. Notorious en Big Poppa comme fond sonore. Au fond, un gars, en solo, sirote sa chicha. Sameer bavarde en amont de la première question. Balançant ses bras dans un flow gestuel qui donne de l’ampleur à ses mots. La discussion s’enclenche ainsi que l’avalanche de phrases et d’idées, de phases dédiées. Son regard sur le rap version 2022 ? « C’est une vieille musique en France maintenant donc il subit, exactement comme toutes les autres musiques, les altérations. En France, il n’y a pas de pop music, il y a de la variété et la variété s’infiltre dans chaque courant qui explose, tu vois, elle s’est infiltrée dans le rock. Le rap est en train de devenir variété. Après, y’a toujours des artistes qui sont intéressants. » Le nouvel album de Sameer Ahmad, Effendi, est une sorte de roman initiatique par endroit. Un roman où le narrateur se regarde être rappeur sans se considérer comme tel. Par le passé, il a pu se définir comme un paradoxe dans le milieu du rap. À ce jour, son propos est constant : « Mon truc s’approche de c’qu’ils appellent « le rap » » (extrait de Bleu Delta, Effendi). « Pour moi, je suis rappeur, mais vraiment ! Le rappeur, il ne chante pas. Mais je peux comprendre que maintenant, par rapport à ce qu’on dit du rap, c’est quelque chose de chantonné, où y a de moins en moins de rap. Le rap, maintenant, c’est presque une musique où y’a pas de rap. C’est pour ça que je me dis que quand tu rappes, t’es presque un ovni de ta musique. « C’est marrant il saccade, il n’est pas dans ce que peuvent faire Ninho, Aya Nakamura ou PNL ». Être puriste, c’est presque être à part maintenant, tellement le rap a évolué. En étant puriste et en voulant incarner parfaitement un style, tu peux être vu, ce qui n’est rien, comme quelqu’un d’un peu d’à côté, qui a fait un pas de côté, tu vois. »

« Le rap, c’est de la percussion rythmique, de la percussion linguistique »

Être à côté, presque marginalisé, c’est le parcours de Sameer. Toutefois, sa musique n’est en rien élitiste. Il rappe ses états d’âme et s’évertue de le faire avec son bagou à lui. Un bagou des bayous où le Sud a son mot à dire. Et c’est par la plume qu’il se déploie, aussi légère qu’ayant du poids. Ayant du poids, certainement, car légère. « La plume est musculaire, checke le surplus d’texte » (extrait de Siddhartha, Effendi). « Moi, je considère le rap comme un exercice qui n’est pas du tout de l’écriture, il n’y a aucune écriture, il n’y a aucun art de l’écriture dans le rap. C’est de l’oralité pure. Tu es dans l’oralité et tu l’écris pour ne pas l’oublier, c’est tout. Mais y’a aucun effort d’écriture. Je ne pense jamais écriture. C’est pas j’écoute la musique, j’écris. C’est pas ça. Quand j’vais écrire, c’est pour pas oublier l’oralité qui a été faite. Mais la base, c’est l’oralité, le bagou. Pas du tout l’écriture, pas du tout la grammaire, pas du tout le vocabulaire, c’est pas ça. C’est purement oral. Des sons, des couleurs de sons, des agencements d’idées, des images que ça peut projeter oralement. C’est pas un exercice littéraire, du tout, c’est un exercice oral. C’est-à-dire que les idées doivent être courtes comme pendant une discussion, tu vois, le mec, il peut pas retourner la page et faire « ah oui, c’est lui John » tu vois, tu peux pas faire ça donc c’est vraiment un travail purement oral. D’ailleurs, Jay-Z n’écrivait même pas parce qu’il avait une mémoire de dingue. Si j’avais une très bonne mémoire au niveau des textes, je n’écrirais même pas. Le rap est un art de l’oralité, c’est en France avec Jack Lang, on a fait croire aux banlieues que c’étaient des poètes, qu’il fallait écrire. Le rap, c’est pas ça du tout, le rap c’est de la percussion rythmique, c’est de la percussion linguistique. La forme est beaucoup plus importante que le fond parce que c’est ça qui fait le truc. C’est l’assonance, la rythmique, qui va donner du sens à la phrase, plus que l’aspect littéraire.  Il n’y a aucun aspect littéraire, c’est du bagou pur, c’est de la tchatche. »

Sameer y tient à sa tchatche. Il le clame en tchatchant. Un pupitre, une église et on l’imagine bien prêché sur des rythmes gospels en Louisiane. Son dernier clip Vera Cruz a d’ailleurs été tourné sur les terres de l’oncle Sam (ou plutôt Tom). Mais qu’on ne s’y trompe pas, sa tchatche n’a rien de superficiel. Ce n’est pas que stylistique. Sameer, comme déjà dit, a des choses à dire. Bien qu’il nuance, « J’suis pas un parvenu, loin d’être un porte-voix » (extrait de Matriochka, Effendi). Prenant ses distances avec ce qu’on peut appeler le rap conscient. « Pour moi, le rap n’a jamais été conscient. En fait, le rap conscient c’était quoi ? C’étaient des gens qui prêchent des convertis, tu vois, c’était ça. Qui balancent des banalités, qui ouvrent des grosses portes ouvertes et qui n’a rien changé, on le voit bien, qui n’a absolument rien changé, qui n’a aucun pouvoir de conscientisation. Donc pour moi, le rap, c’est un excellent divertissement. Et il n’a jamais été conscient, voire quand il est conscient, il est très ennuyeux. Il n’est pas conscient. C’est presque ridicule parfois. Mais par contre, il peut être un excellent divertissement, tu vois, dans le sens qu’il peut être intelligent. Conscient politique, non, il n’a jamais été, pour ma part, politique. Le rap n’est pas du tout politique, mais ça a été une récupération politique totale. Et on a fait croire aux rappeurs qu’ils pouvaient être poètes. C’est vraiment un art politiquement inoffensif totalement, quoi. Qui n’a aucune portée, qui n’est pas faite pour ça, du tout. Aux États-Unis comme en France. » La messe est dite, l’hostie consommée, le micro lâché. Sameer a un esprit aiguisé, un discours tranché. Un mantra qu’il affectionne « rien pour les compromis, tout pour les sacrifices ». Sameer trace sa route à travers ses projets. Salués par les critiques, il ne dévie pas de sa ligne de route. Peu accoutumé aux feats pour signer un hit, Sameer cultive les mots de Plutarque « tu as un trésor sans nombre, si d’un ami, tu n’as ne serait-ce que l’ombre ». « Faire peu de featurings ? Non, ce n’est pas un choix. C’est plus simple. J’en ai déjà fait, avec Nakk, avec Sako, avec Dani Dan, avec Sidi Sid … Là, je fais un album avec beaucoup de featurings. Mais quand je fais un album, tu vois y’a que dix titres ? Les featurings, j’aime bien le faire sur les albums des autres. Mais sur mes albums, j’en fais toujours un ou deux pas plus parce que ce sont des trucs concentrés. Je fais des albums à la illmatic, c’est un dix titres. C’est le genre d’albums que j’aime faire. »

« Je représente un certain état d’esprit, pas un code postal »

Sameer roule sa bosse, marche à l’ombre comme chantait l’autre et trace sa route. Une route qui n’a nul port d’attache, nulle ville et encore moins de code postal qui résonne dans la bouche de Sameer comme un numéro d’écrou. « Pas d’code postal sur nos cordes vocales » (extrait de Sikaru, Effendi) « J’ai complètement dépassé ce truc « représente Montpellier, représente Paris, représente Marseille, représente la banlieue ». Le mec quand il fait « c’est le rap de rue, c’est le rap… », j’écoute même plus, je me sens même plus concerné, tu sais. Faut que le rap, vraiment, grandisse. Tu vois, il a presque cinquante ans, c’est un truc de gamin, code postal, 9-3, tu vois, Rohff à 45 ans qui parle encore de rap de rue, rap de banlieue. On doit passer à autre chose. Y’a pas de « je représente ». Rien, pas d’endroit géographique, personne. Et pas de milieux sociaux. Je représente un certain état d’esprit, pas un code postal. » D’ailleurs, Montpellier ne répond pas à l’appel au micro de Sameer. « Non, pourquoi faire ? Je n’ai jamais dit « Montpellier » dans mes textes. Ni la Paillade. Jamais, surtout pas. C’est ce que je combats, faut jamais faire ça.  Ça, tu peux le faire quand t’as 15, 16 ans, je peux le comprendre, tu vois, mais, non, c’est d’un ridicule absolu. » Une chance de plus est donnée au célèbre gosse de Brooklyn. Les instrus lancinantes bercent le petit monde assis sur cidaris. Sameer ne se voit pas comme un ado en recherche de street cred. Mais, indubitablement, une certaine nostalgie traverse ses textes. Il se décrit comme grandissant au ralenti, une sorte de « Peter-Pan en Timberland » (exrait de Diogène, Effendi). « C’est un problème que j’ai. C’est de la mélancolie, je dirais, plus que de la nostalgie. Nostalgie, pas tant que ça. Mais, j’aime bien réanalyser des périodes passées et voir aussi comment j’ai évolué. J’étais plus naïf, tu vois, et j’aime bien voir les erreurs que je faisais quand j’étais plus jeune ou les idées que j’avais. J’aime bien voir le temps passer sur des choses. Le temps passé sur des idées. J’aime beaucoup ça. » Le temps qui passe, qui laisse ses traces, mais qui ouvre ses portes dans le même élan. « Mon passé, une arme ultime pour futur à choix multiples » (extrait de Prodige, Effendi) « Mes expériences passées, mes erreurs, le fait que je sois tombé pour me relever sera un gros atout pour la suite où j’aurai à faire face, avec les différentes expériences que j’ai vécues, aux différents choix que m’offrira la vie. Je pourrai plus facilement, je pense, de part tout ce que j’ai vécu, par toutes mes expériences, choisir ma voie plus facilement et trouver, si j’ai plusieurs portes, je pense savoir de par mes expériences, savoir laquelle me conviendrait le mieux. C’est assez simple. »

Ses rimes sont comme un sachet de thé, il faut du temps pour que ça infuse.

Basique même, dirait un autre. Mais être simple n’équivaut pas, automatiquement, à être simpliste. Et c’est d’autant plus vrai avec Sameer. Ses rimes sont comme un sachet de thé, il faut du temps pour que ça infuse. Que ses effluves se diffusent. Le rappeur aborde, fréquemment, sa spiritualité et tout ce qui la borde. Dieu, le paradis, l’enfer ou le Diable sont invoqués sur le dancefloor. Il y a peu, Sameer rappait « Dieu est grande » (extrait de Mèche courte II, Un amour suprême – Ezékiel), laissant transpirer une spiritualité toute personnelle ? « La spiritualité est forcément personnelle. Ça n’existe pas une spiritualité commune, tu peux avoir un dogme commun, mais une spiritualité est forcément personnelle. C’est la base du truc, c’est ce que te disent tous les trucs sacrés, c’est entre toi et un divin, quel que soit son nom. Cette ligne fondatrice que t’as, elle est purement personnelle. Tu es unique et lui, on l’appelle l’Unique. C’est vraiment entre l’Unique et ton être qui est unique. C’est vraiment ça. Y’a des dogmes communs, mais la spiritualité est forcément personnelle. » Si Sameer sifflote sa spiritualité, faut-il y lire quelque chose de plus profond ? Un évangile urbain ? « En fait, j’essaie de pousser des réflexions que je me fais. Des fois, je trouve que la formule est belle, la Parnasse quoi. La formule est belle et elle me fait réfléchir, moi. C’est un pense-bête pour moi. Quand je dis Dieu est grande, je me dis que c’est du pur vocabulaire et donc c’est une création humaine. Parce que Dieu n’est ni féminin ni masculin. Mais en France, on a décidé que quand on dit Dieu, c’était un nom masculin. Mais Dieu n’est pas « il », il n’est pas « elle » donc en fait, tu te trompes quand tu dis « il », tu trompes quand tu dis « elle », ou alors tu ne te trompes pas quand tu dis « il ». En fait, tu peux choisir qui tu veux, il n’y a pas de règle. Il n’y a aucune erreur là-dessus. Tu peux dire elle est grande, si tu réfléchis. Et le mec qui s’insurge là-dessus, c’est qu’il n’a pas été très loin. On peut même dire Dieu, il est grande. » Et comme pour extraire le pétrole dans son Irak lointain, c’est en creusant qu’on accède à la sève qui irrigue cet artiste qui se défend de l’être. Finalement, Sameer serait-il un rôle pour Samir « Et j’reste moi-même, moi, j’suis drôle dans c’rôle » (extrait de Diogène, Effendi) ? « C’est dans le sens, le rap c’est vraiment mon terrain de jeu, donc je me trouve drôle à jouer, quand je regarde les clips, je me trouve drôle dans le rôle de rappeur, je me dis « c’est marrant », je me trouve marrant. Je me moque un peu de moi-même, mais je kiffe, c’est mon aire de jeu. Des fois, je me trouve un peu bizarre, je me dis que les gens doivent percevoir ça chelou, tu vois. »

« C’est au-dessus de l’artiste, être un rappeur. »

Un nouveau morceau juteux du regretté B.I.G ambiance Sameer qui termine son jus. La playlist est rythmée par la nostalgie. Drago de Sameer Ahmad revient à l’esprit. Relique du rappeur où il clamait « l’une des 6 millions de façons de voir l’ami Biggie Smalls ». Et le fil se perd. D’un rien, fil d’Ariane, les wagons se rapprochent et raccrochent. Ainsi, Sameer se décrit en bouffon. « Ouais, un peu en mode bouffon, saltimbanque, ménestrel. Je dis « je suis un ménestrel du MS13 », genre, des ménestrels de rue quoi. Oui, on est des ménestrels. Moi, un rappeur, je le vois comme ça plus que comme un éveilleur de conscience, mais après tu peux, insinuer des choses, mais ça reste personnel, ce n’est que ton avis, tu ne balances pas la Vérité, ça faut vraiment qu’ils arrêtent, personne balance la Vérité, y’a pas de Vérité, tu peux ouvrir des portes ouvertes pour te faire flatter, etc., comme ça s’est beaucoup fait dans les années 90, mais moi, personnellement, je n’ai jamais été conscientisé par un texte de rap, jamais ça n’est arrivé, jamais ! C’est personnel, ça n’engage que moi. C’est ma vision du truc, mon album, c’est pas la Vérité. » Cette rentrée 2022 signe un tournant dans la carrière de Sameer. Il vient de quitter son métier d’enseignant pour se lancer à plein temps dans le rap. Corps et âme. De fait, devient-il, enfin, un rappeur ? « Non, toujours un peu un paradoxe, après je considère que je fais du rap. Mais être un rappeur, je ne sais pas encore, là je suis en train d’écrire un truc où je dis « promis, un jour, je serai rappeur ». Je me promets que je serai rappeur, un jour. Mais je ne sais pas si je le suis encore. Mais un jour, je serai rappeur. C’est au-dessus de l’artiste, être un rappeur. » Un dernier mot ? « Je t’aime. » Clap de fin. Sameer Ahmad, le sourire sincère, se laisse hypnotiser par la dernière track de Christopher Wallace. Le flow lourd, saccadé tout en étant fluide, est sûrement la meilleure illustration du bagou « rapistique ». Un petit gars de Brooklyn, qui rappe sur son coin de rue. Tchachant et clashant les gars du quartier. Improvisant et hypnotisant par son flow sans fin tout en étant fin. Un rap dont sa vertu première est de faire danser. Un rap dont Sameer se fait le légataire. Promis, un jour, il sera rappeur. 

 

Soufyan Heutte

© photos LK de l’Hotel Moscou

L’album Effendi est disponible sur toutes les plateformes :

Sameer Ahmad – Effendi (2021) (smarturl.it)

Soufyan Heutte