Août / 16
LE
GEEK-ART
EST
ARRIVÉ
DE NOUVELLES INITIATIVES NÉES DU WEB OU D’UN LIEN SOCIAL PROUVENT QUE L’ON PEUT MARIER ART ET BUSINESS PLAN. RENCONTRES AVEC DES ENTREPRENEURS CULTURELLEMENT COMPATIBLES.
Partager son amour de l’art en partageant… sa voiture. C’est l’idée qui a germé dans la tête de Thibault Denis du Péage, étudiant en fin d’études de droit. Son constat : d’un côté, des lieux culturels parfois très isolés ; de l’autre, des amateurs d’art freinés par un souci de mobilité et de moyens. Sa réponse : Covoiture-Art, le voyage partagé pour une même destination culturelle. « Notre monde condamne beaucoup de gens à l’isolement. Nous proposons un lien qui permette de s’approprier toutes les formes de culture. » Pour la petite histoire, c’est lors d’un covoiturage que Thibault rencontre Adalaïs Choy, étudiante à l’École du Louvre. Très vite, elle devient son bras droit. L’idée est là. S’ensuit la tournée des organismes bancaires pour financer la plateforme Web. « Notre projet a convaincu par sa dimension de partage culturel et social ; nous avons obtenu un prêt d’honneur », explique Thibault. La solidarité familiale a fait le reste et la SARL, basée à Lille, est créée en 2014. « Nous sommes partis sur les routes de France écumer les musées, les châteaux, avec l’idée d’ouvrir le champ aux événements et conférences. » Aujourd’hui, plus de cent partenaires ont signé avec, à la clé, des réductions pour les covoitureurs. Allemagne, Italie, Espagne… La petite entreprise pousse les frontières. Un concept étendu aux concerts, festivals, et même aux galeries d’art.
Du Web à la salle de cinéma
L’entrepreneuriat culturel grâce au Web, c’est aussi la démarche de Vincent Choukroun, qui a lancé la plateforme Shoco pour mieux faire connaître le court métrage. Son cursus : master en entrepreneuriat, stage en production, distribution et financement, expérience au festival du court métrage de Grenoble. Là, Vincent réalise la difficulté d’avoir accès à des courts de qualité, en marge des manifestations dédiées. D’où l’idée d’un site partiellement en accès libre, et payant pour des films à la demande. Vincent gagne un prix de 1 500 euros, et se lance fin 2015 avec Benoît Nguyen, rencontré à l’école de commerce de Grenoble. Commence un gros travail d’identification : Vincent visionne de 50 à 100 films par semaine, certains dénichés à l’étranger.
« Nous avons évolué suite à la demande d’un cinéma pour l’organisation d’une soirée consacrée aux courts métrages », explique Vincent. De là à imaginer une offre personnalisée, il n’y a qu’un pas… que Vincent franchit. Depuis mars 2016, les exploitants ont la possibilité de visionner des films sur le site, de les acquérir. La moitié de la somme est reversée à l’auteur. L’entreprise est le seul acteur privé sur le créneau. Les réalisateurs sont de plus en plus nombreux à envoyer leurs films.
Laurence Lascary, fondatrice de la société de production audiovisuelle De l’Autre Côté du Périph, a choisi, elle, de donner la parole à des populations souvent oubliées des diffuseurs. Le documentaire Nos mères, nos daronnes, qui met en lumière des femmes maghrébines de Bobigny, a été diffusé sur France 2. Partie de rien, sans réseau, sans moyen, Laurence Lascary a monté son entreprise en 2008 avec ses économies, un apport de son associée et un prêt d’honneur du réseau Entreprendre.
Aujourd’hui, elle rassemble une équipe de quatre personnes et affiche un résultat positif. Très active, elle préside la Fédération des jeunes producteurs indépendants. Son carburant : « La passion ! Il en faut pour entreprendre dans la culture ».
Incubateurs, résidences, labs
De nombreuses initiatives fleurissent sous forme de labs, pépinières… Comme le Mila, réseau d’entreprises musicales indépendantes dans le xviiie à Paris, soutenu par la récente délégation de la mairie de l’arrondissement, consacrée aux entreprises culturelles et à l’économie de ce secteur. « Le principe est d’ouvrir à une meilleure connaissance de tous ces métiers, explique Loic Lorenzini, conseiller délégué de la mairie. Dans notre arrondissement, 53 % des habitants ont moins de 18 ans, nous souhaitons impulser une dynamique entrepreneuriale. »
Comme celle de NoMadMusic, une plateforme innovante de partage et découverte de musique classique, jazz et world, hébergée par le Mila. Cofondatrices de la start-up, Clothilde Chalot, administratrice du spectacle, et Hannelore Guittet, ingénieure du son, ont marié leurs profils avec l’idée de décloisonner les répertoires. « Dans le numérique, on trouve très peu d’offres attractives en musique classique, explique Clothilde Chalot. Or la créativité digitale permet d’approcher des publics plus jeunes et plus variés. » La plateforme propose l’accès en téléchargement aux références du label et aux premiers livrets d’albums multimédia. Une résidence numérique développe des liens inédits avec les internautes. Exemple : une appli permet de créer sa propre œuvre pendant un festival. Celle qui recueillera le plus de votes sera jouée par l’Opéra de Rouen. Deux ans après le lancement, le label affiche 35 références, de nombreuses initiatives de partenariat avec les salles de spectacle et une réputation qui ne cesse de grandir.
« À ceux qui parlent rentabilité à court terme, je réponds que nous construisons un nouveau monde à long terme », sourit Thibault Denis du Péage. Et ce nouveau monde apporte son lot de solidarité. Sur la commission prélevée par Covoiture-Art, une part est dédiée aux personnes qui n’ont pas accès aux lieux culturels, faute de moyens pour voyager. Shoco, quant à lui, est sollicité « par des petites salles en territoire rural, qui ont un budget limité, et cherchent une alternative intéressante à la diffusion de publicité, explique Vincent Choukroun. Nous travaillons aussi avec les cinémas itinérants qui réalisent un travail d’éducation à l’image et cherchent à faire découvrir des formats différents ».
Dans son rapport remis en juin 2014 aux ministères concernés, Steven Hearn, cofondateur de Créatis, un incubateur hébergé à la Gaîté Lyrique, qui accueille les jeunes pousses dans le champ des industries créatives, estime le nombre d’entreprises culturelles à environ 160 000, principalement des TPE (moins de dix salariés, de un à trois collaborateurs pour 60 % d’entre elles), quelques grands acteurs et quasiment aucune entreprise de taille intermédiaire. En 2014, la plupart avaient moins de trois ans d’existence…
RETROUVEZ CET ARTICLE DANS LA REVUE PAPIER NUMÉRO 3
Texte : Pascale Colisson
Grandes images : El Diablo