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Fév / 27

La mémoire des corps avec Bintou Dembélé et Michel Onomo

By / Florian Dacheux /

La mémoire des corps avec Bintou Dembélé et Michel Onomo

Dans Rite de Passage – Solo II, programmé ce samedi 2 mars pour la 46e édition du Festival Les Hivernales à Avignon avant deux dates au Centre Pompidou à Paris, Bintou Dembélé tisse des liens entre l’esprit mémoriel de danses africaines et la polyvalence du danseur Michel Onomo, dit Meech. Dans ce solo, Meech, référence de la danse hip-hop et de la house, déploie une gestuelle libératrice sur la musique envoûtante du compositeur et musicien Charles Amblard. Entretien.

Voici près de 40 ans que vous baignez dans la danse hip-hop. Qu’est-ce qui vous anime ?
La danse est venue à moi dès l’âge de 3 ans dans la culture traditionnelle camerounaise de ma famille. Puis j’étais fan de l’émission H.I.P H.O.P présenté par Sidney en 1984. En parallèle, fin des années 1980, j’étais très happé par la culture afro-américaine, avec le basket, le rap, le graffiti, le b-boying. Le basket prenait beaucoup de place. Puis la danse a fini par prendre le dessus, comme un exutoire. C’est l’endroit où j’arrive à partager mes pensées. En 1995-1996, je rencontre Joseph N’Guessan qui me fait entrer dans le groupe d’élite SanRancune fondé par Thony Maskot que je rencontre par la suite. J’étais très heureux de le rencontrer car nous avons grandi dans le même quartier, Saint-Blaise, dans le 20e arrondissement de Paris. Je me suis spécialisé dans les courants hip-hop nouvelle génération et house dance, puis suis venu plus tard dans l’univers du battle. J’ai pu participer à de nombreuses tournées internationales et travaillé entre autres avec Franck II Louise, Iffra Dia, Mastoc Production, Rabah Mahfoufi, etc.

 

Depuis 2004, vous développez vos projets de création en tant que chorégraphe. Vous développez notamment votre propre gestuelle intitulée le Ghôst flow ainsi qu’une écriture scénique en lien avec le monde du Clubbin… Pouvez-vous nous en parler ?
J’ai évolué en Essonne. C’est là-bas, à Athis-Mons, que j’ai créé en 2004 l’association Too Hi Spirit afin de partager tout mon patrimoine artistique. Etant un danseur inspiré par l’histoire afro-américaine, je me suis souvent posé la question : comment se fait-il qu’on digère toujours ce qui est fait en Amérique ? Or, nous avons un réel potentiel en France. Il y a moyen d’exister et de coexister. A travers ce que j’ai appris, j’ai remis tout à zéro. Le geste est en rapport avec la musique. J’ai d’abord cherché musicalement, puis participé à de nombreux stages pour créer ma musique. Le challenge fait partie de mon processus de création. Le live music me passionne, c’est pourquoi je suis également producteur aujourd’hui, depuis ma première soirée au Djoon à Paris en tant qu’artiste résident.

« La fuite libératrice des esclaves »

Dans Rite de Passage Solo II, Bintou Dembélé questionne la façon dont le corps se libère. Cette création aurait été pensée pour votre polyvalence afin de vous inviter à quitter le connu… C’est-à-dire ?
Avec Bintou, on a évolué tous les deux en Essonne et nous avions très envie de bosser ensemble. Nous avons un grand respect l’un envers l’autre. Elle s’intéresse comme moi à l’histoire Noire. Naturellement, on a fini par se connecter en 2016-2017. Le solo I, elle l’avait fait pour elle. Mais après les Indes Galantes (2017), elle ne se sentait pas remonter sur scène. C’est pourquoi elle a fait appel à moi pour ce solo II. Elle a totalement réécrit le spectacle. J’ai complètement adopté son écriture chorégraphique, comment elle arrive à transformer les habitudes que nous avons en chorégraphie. On s’exprime. On est sur la fuite libératrice des esclaves, la puissance de la danse africaine, proche du rite traditionnel. Je suis au service de ce rite, dans une expression répétitive, percussive, dans du lâcher prise, à partir de gestes hip-hop, house et krump.

 

Vous avez très justement rappelé que Bintou Dembélé, connue pour ses recherches autour de la danse maronne, s’inspire de la fuite libératrice des esclaves. En quoi c’est essentiel, en 2024, d’œuvrer sous différentes formes pour la mémoire de l’esclavage et la traite négrière ?

Ce spectacle entre dans l’histoire de l’art. C’est complètement innovant. J’ai le sentiment de réinventer mon geste sur le plateau, avec des mouvements de Guinée-Bissau, du krump, etc. C’est la mémoire du corps. J’appelle ça la mémoire soulignée. On est témoin, on réinvente, à travers un rituel de passage. Ce n’est pas pour rien que Rualité, créé par Bintou, ne se définit pas comme une compagnie mais comme une structure. Le gros message, selon moi, c’est l’ancestralité. Une danse enracinée dans son africanité. L’histoire de l’esclavage, la danse marronne, oui. Mais ça parle aussi de féminité, de vulnérabilité, de masculinité, de l’histoire des genres, des questions posées en 2024.

 

Depuis Les Indes Galantes en 2017, l’opéra-ballet créé par le réalisateur Clément Cogitore avec Bintou Dembélé et ses danseurs de Krump, estimez-vous que la culture hip-hop est enfin reconnue à sa juste valeur ? Autrement dit, le rêve d’un autre monde à l’opéra est-il toujours d’actualité ? 

L’important est de pouvoir continuer le chemin et d’investir encore plus ce public afin de continuer à lui partager notre histoire, nous qui surgissons du bitume. On avance et on n’est plus à se demander si ils nous appellent danse urbaine ou autrement. Ces termes finiront par passer à la trappe. On est sur du mouvement, du corps, dans le geste. On réinvente l’espace du plateau.

 

Comprenez-vous les inquiétudes du milieu hip-hop quant au potentiel discriminatoire du projet de loi qui vise à instaurer un diplôme d’État obligatoire pour les enseignants de hip-hop ?

Personnellement, je suis assez allergique à tout ça. D’un côté, je suis content que l’Etat se rapproche de la culture hip-hop, ça signifie bien que c’est la culture du moment. De l’autre, je suis contre une forme diplômante. Chaque école doit rester indépendante, comme c’est déjà le cas. Je n’ai pas appris le hip-hop de l’Etat. Par contre, j’ai appris l’histoire de l’art, les fondamentaux, la protection de l’usager, ces parties-là, oui, peuvent être transmises sous la forme d’un diplôme. Mais il faut laisser le hip-hop au hip-hop.

 

Enfin, quels sont vos projets en cours avec votre propre compagnie ?

Depuis septembre, je suis sur la création d’un opéra bouffe avec la Seine Musicale et un chœur d’enfants de l’Opéra National de Paris autour de La Belle Hélène d’Offenbach. Cette création va réunir 100 choristes et 28 musiciens. On se produira les 15 et 16 juin à Suresnes, les 18 et 19 juin au Théâtre d’Asnières et le 30 juin à Puteaux. Puis en septembre, je reprends le travail autour du solo Immersive Mouvement avec trois musiciens en live.

 

Recueilli par Florian Dacheux

© Christophe Raynaud de Lage

 

Florian Dacheux