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Mar / 22

Féfé de retour pour nous rassembler

By / Florian Dacheux /

Féfé de retour pour nous rassembler

Figure de proue du Saïan Supa Crew, l’imprévisible Féfé n’a jamais lâché son combat contre le racisme et pour une société apaisée. De retour à l’aube de ses 50 ans avec son nouvel album solo Hélicoptère, cet artiste hétéroclite originaire de Noisy-le-Sec n’élude aucun sujet. Entre soul, rap et chanson, il vient de faire décoller sa tournée depuis Bordeaux, avant de nouvelles escales fin mars dans le Sud de la France, du côté de Toulouse, Aix-en-Provence et Avignon. Entretien explosif.

Pourquoi avoir intitulé votre nouvel album Hélicoptère pour revenir « dans le game », comme vous le dites dans votre intro ?

Oui, « si le game est une course, j’arrive en hélicoptère ». C’est parti d’un freestyle. Cette phrase, c’est un peu mon mantra depuis le début, car j’ai toujours été à gauche. C’était déjà le cas avec le premier crew, le Saïan Supa, dont j’ai fait partie. On dénotait. On dénotait du rap game, on était dans autre chose. Donc l’hélicoptère, c’est un peu pour décrire un mec qui est ailleurs.

 

Que ce soit dans Je pars de loin ou Africain de France, on ressent votre envie de rappeler que votre double culture ne vous empêche pas d’être Français, comme un ras-le-bol face aux préjugés renvoyés depuis le landau…

Oui, c’est important d’assumer sa double culture. Je suis aussi Français que Nigérian. Je retrace d’où je viens, l’histoire de mes parents. Ce n’est même pas une dénonciation. C’est une réalité. Je chante : « j’entends dire qu’on est victimaire, tous ceux qu’ont pas eu notre story ». Mais comment ils peuvent nous dire ça quand ils n’ont pas vécu ce que l’on a vécu. On nous pointe souvent du doigt. C’est la réalité. Je ne me plains pas. Je dis juste.

 

Chez D’Ailleurs & D’Ici, nous travaillons beaucoup sur notre histoire commune (esclavage, traite négrière, guerre d’Algérie, Shoah, etc.) pour lutter contre les discriminations qui perdurent aujourd’hui. Est-ce un levier pédagogique qui vous parle ?

Oui, j’ai quasiment fait tout l’album Roots là-dessus avec Vicelow. C’est un sujet qui m’a beaucoup hanté. Aujourd’hui, je suis un peu plus en paix. Il y a beaucoup de choses à faire, beaucoup à enseigner, mais je me torture moins. C’est politique. Des gens se sentent attaqués alors que c’est juste l’histoire. Mes parents m’ont élevé comme un guerrier. Je déteste passer pour une victime. J’essaie simplement d’en parler autrement. Je me bats. La vie est difficile pour tout le monde quel que soit son statut. Cela n’empêche pas d’avoir un regard critique sur comment la France traite ces sujets-là. Face à notre histoire, il y a une sorte d’hypocrisie bizarre. Pourtant, être vraiment Français selon moi, c’est être critique, c’est la liberté de pouvoir donner son opinion.

"J’AIME L'UTOPIE DE LA FRANCE. MAIS DANS LES FAITS, CE N'EST PAS ÇA !"

Dans le morceau Baladeur, on retrouve un featuring avec Akhenaton, figure du groupe IAM formé au début des années 1990. Est-ce pour rappeler une époque où on se prenait moins la tête malgré les tensions sous-jacentes ?
J’ai une fille qui va avoir 20 ans. De mon côté, je commence à regarder un peu dans le rétro. C’est ma réalité, c’est dû à mon âge où on commence à faire un peu le bilan de sa vie. Je regarde toutes les étapes. La fin de Saïan Supa Crew en 2008 a été très douloureuse à vivre pour moi. Je ne voulais pas faire de carrière solo. Je l’ai fait par dépit et aujourd’hui, j’ai fait le deuil de ça. Alors le baladeur, oui, fait partie de ces souvenirs-là. Entre temps, avec Leeroy, on a vu nos enfants grandir. J’aime toujours autant l’art du rap et ses prouesses.

 

Avec le Saïan, pour la sortie de l’album Chanter contre le racisme en 2002, le morceau La Preuve par 3* fait mouche. Plus de 20 ans plus tard, celui-ci est malheureusement toujours d’actualité. Que s’est-il passé selon vous ?
Le problème, c’est la politique et non les gens. J’ai voyagé. Je connais mieux la France que certains politiciens. J’ai chanté dans des villages, devant des gens qui avaient vu 3 Noirs dans leur vie. Les gens ont juste peur. Ils sont abreuvés par les médias. On enchaîne les crises. Les gens se replient sur eux-mêmes. Dans le même temps, il y a une très mauvaise politique d’intégration et d’assimilation. J’aime l’utopie de la France. Mais dans les faits, ce n’est pas ça. La dernière polémique autour d’Aya Nakamura est ridicule. C’est un écran de fumée tellement débile et triste. Cela prouve que l’on va mal en ce moment en France.

 

C’est pourquoi votre Majeur en l’air à tous ceux qui n’ont pas compris que le monde a changé ?
La liberté s’arrête là où commence celle d’autrui. Dans la vie, il faut s’assumer et être entier. Je suis pour la liberté d’être soi, tant que ça n’empiète pas sur la liberté du voisin. Quand je chante Majeur en l’air, c’est pour assumer qui nous sommes. Que tu mettes un voile ou non, et que les autres pleurent, ce n’est pas grave. Soyez vous-mêmes ! 

 

Quelle est votre ambition dans le cadre de cette tournée ?
J’ai envie de fédérer. Ce qui m’intéresse, quand je vois mon public, c’est de constater qu’ils sont tous différents. Personne ne se ressemble, de 7 à 77 ans. Pour le moment, je suis assez surpris de l’énergie de la foule. Je ne m’attendais pas à ça ! J’ai déjà reçu de très bons retours. Des spectateurs sont venus me voir pour me dire merci d’exister. Ils m’ont dit que je rassemble, que je fais kiffer. C’est sans doute vrai. Je prends. Ce sont vraiment des moments précieux. En tout cas, je ne sais pas faire autrement. On le vit intensément. J’ai envie que les gens se lâchent dans mes live. Arrêtons les convenances. Lâchons-nous !

 

Recueilli par Florian Dacheux

*Extrait La Preuve par trois (2002)

Plus de 400 ans d’esclavage, ca ne leur suffit pas et le résultat
A l’aube du nouveau millénaire règne encore le même climat
La violence n’est plus physique, elle est morale et de surcroît
De jours en jours elle accroît, le peuple noir en est la proie
Vous n’êtes supérieurs en quoi que ce soit
Si oui en quoi, je crois vos esprits sont trop étroits
Car nous sommes quasiment tous similaires
Mais en perpétuelle guerre cela à cause d’une différence d’épiderme

[REFRAIN] Il y a de quoi se faire du soucis
Quant au devenir de l’homme
sur la Planète, à commencer par ce pays dans
Lequel je vis, où l’on cultive la
Différence, laissant l’unité dans l’oubli.

Florian Dacheux