Enquête : l’art de la censure

Oct / 13

Enquête : l’art de la censure

By / akim /

Interdictions de films, destructions d’œuvres, agressions… Du cinéma au théâtre ou à l’art contemporain, les artistes sont pris à partie depuis plusieurs années. Qui sont les nouveaux censeurs ? Enquête.

L'ART

DE LA

CENSURE

Elle a encore frappé en janvier 2016 et forcément depuis encore.

Après Love ou La vie d’Adèle, l’association Promouvoir a attaqué en justice Bang Gang après sa sortie en salle. Son objectif : faire interdire le film aux moins de 18 ans. Et, plus largement, assurer « la promotion et la défense des valeurs judéo-chrétiennes dans tous les domaines de la société », précisent ses statuts. À l’origine de cette association ? L’avocat André Bonnet. Proche des milieux catholiques traditionalistes, cet ancien militant d’extrême droite – passé chez Philippe de Villiers, Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret – est aussi un fidèle de la Manif pour tous. Depuis vingt ans, l’exmagistrat s’est donné pour mission de protéger l’innocente jeunesse de « la décadence morale certaine des sociétés occidentales ». En ligne de mire, « la prolifération de la violence et du sexe dans la culture ».

À l’écouter, le « microcosme du cinéma parisien » chercherait à pervertir les jeunes et, à travers eux, toute la société. Les morts vivants de Pirates des Caraïbes ? Une catastrophe pour les enfants. La scène de sexe entre les deux héroïnes de La vie d’Adèle ? Une séquence digne d’un film X. L’homme va même plus loin : pour lui, la pornographie « conduit tout droit à l’homosexualité (…), dont elle est l’un des agents déclencheurs ». Le problème, c’est que le Monsieur confond volontiers sexualité et porno. Et qu’on le retrouve derrière toutes les demandes de censures cinématographiques déposées depuis une quinzaine d’années… Souvent avec succès.

Novembre 2011, Villeneuve d’Ascq. 300 intégristes chrétiens manifestent,
à l’appel de Civitas, contre la représentation de la pièce de Romeo Castellucci, sur le concept du visage du fils de Dieu.

La longue croisade de Promouvoir

Son premier coup d’éclat ? C’était en 2001, avec Baise-moi, de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi. « Le film a été classé X et il a été retiré des salles après seulement deux jours, ça a entraîné sa mort immédiate. On ne s’attendait pas à ce qu’une personne isolée puisse obtenir aussi rapidement son retrait », témoigne Virginie Despentes 1. Une victoire de taille. Pour la première fois depuis vingt-huit ans, un film est interdit en France. L’affaire fait tellement de bruit que le ministère de la Culture s’en mêle et décide de revoir le régime de classification des films. « La ministre a décidé d’instaurer une catégorie moins de 18 ans pour les oeuvres qui contiennent des scènes de sexe « non simulé» ou de « très grande violence, et qui ne sont pas des films pornographiques », explique Christophe Triollet, auteur du Contrôle cinématographique en France 2. Il est donc désormais possible d’interdire un film aux mineurs sans pour autant le classer X. Une réforme qui, paradoxalement, va donner un coup de boost à l’association Promouvoir.

 

Trois ans après Baise-moi, Ken Park, un film « à tendance pédophile » selon Bonnet 3, se retrouve à son tour dans  le viseur de Promouvoir. Initialement interdit aux moins de 16 ans, ce long métrage raconte le quotidien d’ados américains qui trompent leur ennui entre sexe, violence et perversion. Traîné devant les tribunaux par l’association, il sera finalement interdit aux mineurs. Le début d’une longue série : Saw 3D, Love, Nymphomaniac (Volumes 1 et 2)… Devant la justice, André Bonnet multiplie les victoires. En 2015, après sept ans de bataille, Antéchrist, le film de Lars von Trier, a définitivement perdu son visa d’exploitation. Autrement dit, plus de diffusion possible, que ce soit en DVD , à la télévision ou dans les salles obscures. Un coup dur, un de plus, pour les professionnels du 7e art. 

 

« Aujourd’hui le système de financement est très lié aux chaînes de télévision, qui coproduisent ou préachètent les films. Elles ne veulent plus prendre le risque d’investir dans une oeuvre qui pourrait se retrouver interdite aux moins de 16 ou 18 ans, ou perdre son visa d’exploitation. On sait très bien qu’on aura moins de soutien qu’avant. Des films réalisés il y a quinze ans ne pourraient plus se faire aujourd’hui. L’inquiétude est globale et le terrain d’expression est de plus en plus réduit », constatent la productrice Carine Leblanc et Marianne Slot, productrice de Lars Von Trier.

 

Mais pourquoi André Bonnet gagne-t-il (presque) à tous les coups ? Déjà, parce que le cinéma est, en France, le seul mode d’expression encore soumis à une autorisation préalable du pouvoir politique. Ensuite, grâce à la création de cette catégorie interdit aux moins de 18 ans, la seule à inscrire dans la loi des critères précis (scènes de sexe non simulé ou de très grande violence). « C’est bien souvent en démontrant la contradiction entre le niveau de classification d’un film et le contenu des scènes litigieuses, c’est-à-dire le non-respect des critères prévus par le code du cinéma, que Maître Bonnet gagne devant le Conseil d’État. Il est fin juriste et a le droit avec lui », décrypte Christophe Triollet. Du moins pour le moment… Face aux succès répétés de Promouvoir, le ministère de la Culture a commandé un rapport, rendu en février 2016, en vue d’une éventuelle réforme de cette loi. « Ces actions pourraient laisser penser, à tort, qu’on assiste à un retour du puritanisme et de la censure au cinéma. Mais ce n’est pas la cas. En réalité, lorsqu’il est saisi, le juge ne fait que rappeler la règle de droit au ministre et à la Commission.

Par ailleurs, le contentieux devant la justice concerne moins de 0,5% des films classés chaque année en France. Alors doit-on changer un dispositif qui, finalement, fonctionne assez bien ? », interroge Triollet.

Palestine : motus et bouches cousues

En matière de censure, il n’y a pas que les religieux qui veillent au grain ! En mai 2016, le Conseil représentatif des associations juives de France (Crif) est monté au créneau contre le film Munich, A palestinian storydu réalisateur Nasri Hajjaj. Le long métrage, qui revient sur la prise d’otages aux JO de Munich en 1976, doit être présenté en marge de la sélection officielle du Festival de Cannes. « Une provocation », a estimé le Crif, qui tente de faire interdire sa projection. En vain. Depuis le début des années 2000, l’association, devenue experte en appels à la censure, fait des pieds et des mains pour museler les voix arabo-palestiniennes. L’année précédente déjà, la structure demandait à la Mairie de Paris le retrait de l’expo photos In Between Wars, initiée par Médecins sans frontières. Un événement dont « la nature ne peut qu’attiser la violence antisémite et augmenter la menace terroriste à Paris », s’insurgeait Roger Cukierman, alors président du Conseil.
Un prétexte régulièrement avancé, qui vise à museler toute critique de la politique israélienne. En 2013, le musée du Jeu de Paume s’est ainsi retrouvé dans le viseur du Crif et de groupes extrémistes pro-israéliens, qui réclamaient la déprogrammation de l’artiste palestinienne Ahlam Shibli. Même topo un an plus tôt à Angoulême, où le photojournaliste Frédéric Sautereau a failli voir son exposition Hamas annulée, suite aux pressions du Crif. Une « apologie du terrorisme » estimait l’association, qui s’est également attaquée au groupe Zebda pour Une vie en moins, chanson hommage aux habitants de la bande de Gaza. Liberté d’expression, dites-vous ?
a.b. et m.a.

Palestine : motus et bouches cousues

En matière de censure, il n’y a pas que les religieux qui veillent au grain ! Notamment en mai 2016, le Conseil représentatif des associations juives de France (Crif) est monté au créneau contre le film Munich, A palestinian storydu réalisateur Nasri Hajjaj. Le long métrage, qui revient sur la prise d’otages aux JO de Munich en 1976, doit être présenté en marge de la sélection officielle du Festival de Cannes. « Une provocation », a estimé le Crif, qui tente de faire interdire sa projection. En vain. Depuis les années 2000, cette association communautaire devenue experte en appels à la censure, fait des pieds et des mains pour museler les voix arabo-palestiniennes. L’année précédente déjà, la structure demandait à la Mairie de Paris le retrait de l’expo photos In Between Wars, initiée par Médecins sans frontières. Un événement dont « la nature ne peut qu’attiser la violence antisémite et augmenter la menace terroriste à Paris », s’insurgeait Roger Cukierman, alors président du Conseil.

Un prétexte politique régulièrement avancé, qui vise à museler toute critique de la politique israélienne. En 2013, le musée du Jeu de Paume s’est ainsi retrouvé dans le viseur du Crif et de groupes extrémistes pro-israéliens, qui réclamaient la déprogrammation de l’artiste palestinienne Ahlam Shibli. Même topo un an plus tôt à Angoulême, où le photojournaliste Frédéric Sautereau a failli voir son exposition Hamas annulée, suite aux pressions du Crif. Une « apologie du terrorisme » estimait l’association, qui s’est également attaquée au groupe Zebda pour Une vie en moins, chanson hommage aux habitants de la bande de Gaza. Liberté d’expression, dites-vous ?
a.b. et m.a.

Marianne Slot et Carine Leblanc, productrices.

Les productrices Carine Leblanc et Marianne Slot sont, elles, nettement plus inquiètes : « Si ce n’était pas Bonnet, ça serait un autre. Son association existe parce qu’on lui laisse une place. Pour nous, il y a clairement un lien entre les débats sur le mariage pour tous et ce qui se passe depuis quelques années dans le cinéma. » Voilà un sujet qui ne monopolise visiblement pas l’attention de la classe politique, trop occupée à répertorier le nombre de voiles et de cantines halal.

 

Mariage pour tous, culture pour personne ?

Hasard ou pas, les appels à la censure se sont multipliés depuis la légalisation du mariage homosexuel. En avril dernier, Georges Mothron (Les Républicains), maire d’Argenteuil et farouche opposant à la loi Taubira, ordonnait au cinéma municipal de déprogrammer deux films. Parmi eux, le documentaire Le sociologue et l’ourson, qui revient sur les neuf mois de débats autour du mariage pour tous. Trois ans plus tôt, l’affiche de L’inconnu du lac, deux hommes en train de s’embrasser, avait déjà été retirée des panneaux publicitaires de Saint-Cloud (92) et de Versailles (78). Les deux municipalités auraient été « harcelées » par les plaintes de riverains. Une décision qui n’aurait, bien sûr, rien à voir avec l’engagement de leurs maires, François de Mazières et Eric Berdoati (LR), contre le mariage homosexuel.

Le petit écran n’échappe pas non plus aux demandes de censure. En 2014, Arte s’est retrouvée dans le collimateur de Civitas : les catholiques intégristes ont appelé « les familles françaises » à faire pression sur la chaîne pour qu’elle renonce à diffuser Tomboy, de Céline Sciamma. Plusieurs fois récompensé, le long métrage raconte avec pudeur l’histoire d’une petite fille qui se fait passer pour un garçon. « Un film de propagande pour l’idéologie du genre », dénonce l’association, qui s’immisce jusque dans les écoles primaires et réclame – en vain – que Tomboy soit retiré du dispositif national École et cinéma. Une affaire qui vient nourrir la psychose autour de la prétendue théorie du genre : pour bon nombre d’opposants au mariage pour tous, cette « doctrine », qui nierait les différences entre filles et garçons, serait enseignée dès la maternelle en vue de détruire le modèle traditionnel familial et d’encourager l’homosexualité.

Une rumeur persistante, devenue LE prétexte pour censurer livres, expositions, films… Tout ce qui ne colle pas avec leur vision conservatrice de la société. Mehdi met du rouge à lèvres, Jean a deux mamans, Mademoiselle Zazie a-t-elle un zizi ? Accusés de semer « la confusion » chez les enfants, ces livres jeunesse se voient attaqués avec virulence par plusieurs groupuscules extrémistes. Même Jean-François Copé s’y met ! Le député-maire fait le tour des télés pour fustiger Tous à poil, un album illustré qui n’avait, jusque-là, suscité aucune controverse.

Haro sur les biblios

Au même moment, plusieurs dizaines de bibliothèques sont interpellées par des militants du Printemps français, qui rassemble partisans d’extrême droite et des militants catholiques ultra-conservateurs. Ce qu’ils réclament ? Le retrait des livres évoquant l’égalité hommes-femmes ou l’homosexualité des rayons Jeunesse. Dans la même veine, on retrouve la fronde contre l’ABCD de l’Égalité : destiné à lutter contre les stéréotypes sexistes, le dispositif – depuis retiré – est accusé par les anti-gender « d’enseigner la masturbation aux enfants ». De la pure désinformation qui sème la panique dans les esprits. Résultat, lorsque Zizi sexuel l’expo fait son retour en 2014, elle se retrouve face à une mobilisation inattendue. Ce parcours ludo-éducatif qui parle amour et sexualité aux 9-14 ans, avait déjà été programmé en 2007. Trois cent quarante mille spectateurs et zéro polémique à l’horizon.

Une tournée en Europe et, sept années plus tard, la donne a changé. Inquiète de voir ses enfants pervertis lors de sorties scolaires (pourtant soumises à l’autorisation préalable des parents), SOS Éducation lance une pétition  on au zizi sexuel ! Trente cinq mille signatures en quelques jours, des médias qui s’emballent… Pourquoi un tel vacarme ? Galvanisés par les débats sur le genre et le mariage pour tous, les pères-la-morale se sentent pousser des ailes. Et comptent visiblement mettre le monde de la culture au pas. Quitte à user de la force.

Les censeurs montrent les crocs

Octobre 2014. Alors que la France se déchire encore sur le mariage homo, Paul McCarthy érige son oeuvre Tree sur la très chic place Vendôme (Paris). Sapin en plastique pour les uns, sextoy géant pour les autres, cette structure verte de vingt-quatre mètres de haut joue la carte de l’ambiguïté, comme souvent chez l’artiste. Mais cette fois, ça ne passe pas. Pendant l’installation, un homme le frappe à plusieurs reprises au visage. En quelques heures, la Toile et la classe politique s’enflamment. Moins de quarante-huit heures après sa mise en

place, l’oeuvre, vandalisée, est anéantie. Le message est clair.

Diane Ducruet en sait quelque chose. La photographe en a fait les frais en 2014, lors du Mois de la photo. Car quelques jours avant l’inauguration parisienne de l’exposition, surprise : l’un de ses clichés a été retiré. On y voit une mère allongée sur sa fille, rien de choquant. Mais il a valu aux programmateurs plusieurs lettres anonymes criant à « l’inceste » et à « la pédophilie ». Suffisant pour leur filer la pétoche ! Du côté de l’artiste, c’est la stupéfaction. « On voit une montée à la fois de la peur et du contrôle de tous côtés. Il y a aujourd’hui une difficulté à représenter la famille, or ma série de photos découle simplement de mon expérience de maman, la provocation n’était pas à l’ordre du jour, confie Diane Ducruet au Monde. Il me semble qu’il y a aujourd’hui une confusion entre espace public et espace privé : les gens parlent des œuvres comme si elles étaient dans leur salon, chacun se croit chez soi face aux espaces de création. » Résultat, lorsque le sculpteur indo-britannique Anish Kapoor investit le château de Versailles, au printemps 2015, son exposition est attaquée avec une rare violence. Demandes d’interdiction, manif de l’Action française (un groupuscule historique royaliste d’extrême droite), vandalisme. Après des mois de mobilisation, la sculpture est recouverte de tags immondes : La reine sacrifiée, deux fois outragée ; le deuxième VIOL de la Nation par l’activisme JUIF DÉVIANT ; Le Christ est roi à Versailles ; Trahison sataniste… Non revendiquée, l’action porte clairement l’empreinte de royalistes. Ambiance.

« Galvanisés par les débats sur le mariage pour tous, les pères-la-morale se sentent pousser des ailes. »

À Marseille, l’extrême droite manifeste contre une exposition jugée « pédopornographique »,
à l’appel de Stéphane Ravier, maire et sénateur FN.

Le FN sort l’artillerie lourde

« Après une période libérale, de la fin des années 70 à celle des années 90, on assiste depuis début 2000 à un retour de la censure, constate Agnès Tricoire, avocate et déléguée de l’Observatoire de la liberté de création.

Les réactionnaires de tous poils, à nouveau très en forme, considèrent que les œuvres ne peuvent pas dire tout et n’importe quoi. Ils croient savoir ce que l’art a le droit de montrer. » Devant les multiplications de restrictions imposées aux artistes, cet organisme a vu le jour en 2002, sous la houlette de la Ligue des droits de l’Homme. Pétitions, tribunes, débats, actions en justice… L’Observatoire, qui fédère de nombreux acteurs culturels, intervient auprès des censeurs pour les faire reculer. Et tire régulièrement la sonnette d’alarme quant aux pressions exercées sur les créateurs, y compris par la classe politique. « Cette question traverse tous les partis mais l’extrême droite est particulièrement active en la matière », poursuit Agnès Tricoire. On se souvient de la destruction de la fontaine de René Guiffrey, en 1996 à Toulon, par la nouvelle municipalité FN. Même époque, à Carpentras (84), la mairie (centredroit) censure une expo de Jean-Marc Bustamante. Et qui retrouve-t-on, notamment, derrière l’annulation ? André Bonnet !

Vous savez, celui qui fait trembler le cinéma français. À Marseille, le FN s’est même mobilisé contre une exposition qu’il n’avait pas vue. Présentée durant l’été 2015 à la Friche la Belle de Mai, Vomir des yeux mettait à l’honneur les dessins «éroticofantastiques » de deux artistes allemands. Une affaire en or pour Stéphane Ravier, sénateur-maire du vie arrondissement de la cité phocéenne, qui dénonce une « exposition d’ “art” pédophile [organisée] avec l’argent du contribuable ». Coups de fils, menaces, intimidations. Tandis que les organisateurs se retrouvent harcelés par la facho-sphère, l’élu frontiste appelle à descendre dans la rue. Devant une poignée de militants, il prépare le terrain pour les prochaines élections régionales. Son programme ? Suspendre les subventions à la Friche la Belle de Mai et, plus globalement, contrôler le contenu des programmations des associations culturelles. C’est simple : à l’extrême-droite, quand on n’aime pas une oeuvre, on tente de la faire interdire. Et quand on n’y arrive pas, on cherche à la détruire. « Les vandales voient un motif de gloire dans le saccage des oeuvres. Pour les arrêter il faut une volonté politique et des sanctions efficaces, que ça soit contre le vandalisme ou les interruptions de spectacles », remarque Agnès Tricoire.

 

Maral Amiri, Aurélia Blanc

« Christianophobie, ça suffit ! »

Ces dernières années, des groupuscules extrémistes catholiques se sont invités, à plusieurs reprises, sur les planches. Comme en octobre 2011, lorsque la pièce de Roméo Castellucci, Sur le concept du visage du fils de Dieu, est programmée à Paris. « Blasphématoire », estiment les fachos de l’Agrif (Alliance générale contre le racisme et pour la défense de l’identité française et chrétienne), qui portent plainte pour « provocation à la haine ». De leur côté, des militants de l’Action française (encore eux!) et du Renouveau français (catholiquesnationalistes) manifestent devant le théâtre.

Certains s’enchaînent aux portes ; d’autres occupent la salle en chantant des cantiques. « Face aux 400 bobos venus se délecter de pseudo “art” scatologique, les militants du Renouveau français sont montés sur la scène aux cris de Christianophobie, ça suffit ! » se félicitent-ils dans un communiqué. À Rennes, le Théâtre national de Bretagne est, lui aussi, pris pour cible, à coup de processions et de prières. Qu’en pense l’Église ? Contactée à plusieurs reprises, elle n’a pas donné suite. Une chose est sûre, c’est bien du côté des intégristes catholiques que se font entendre la majorité des appels à la censure. Bon nombre de chrétiens condamnent ces mouvements. L’hebdomadaire La Vie, par exemple, leur consacrait, dès 2009, tout un dossier : La croisade intégriste, enquête sur l’extrême droite de Dieu.

 

1. Les Inrocks, 10/08/15.
2. Éditions L’Harmattan.
3. Premiere.fr, 09/07/15.
4. Sa tête est mise à prix en Iran depuis 1989
par un décret religieux, suite à la publication du livre
Les versets sataniques.
5. Lefigaro.fr 03/10/12.
6. Tribune de l’artiste, Mediapart.fr, 03/02/2015.

Trouille de l’islam ?

Et l’islam, dans tout ça ? Un sujet sensible, et les institutions préfèrent bien souvent prévenir que guérir. Début 2015, la plasticienne franco-algérienne Zoulikha Bouabdellah participe à une exposition collective à Clichy-la-arenne (92). Elle doit y présenter Silence, un patchwork de tapis de prières jonché d’escarpins dorés… avant de renoncer. Pourquoi l’artiste, déjà exposée en France en 2008, a-t-elle fait marche arrière ? Selon la presse, la Fédération des associations musulmanes de la ville aurait alerté la mairie, craignant d’« éventuels incidents

irresponsables ». Y a-t-il eu des pressions, des menaces ? « Je ne cautionne pas cette lecture des médias quant à cet épisode. Dans mon cas, ce n’est pas une attaque de la part d’extrémistes religieux. C’est plus insidieux. Il s’agit d’une manipulation nauséabonde à but électoraliste de la part d’un maire qui s’est servi d’une certaine catégorie d’électeurs musulmans pour arriver à ses fins », explique l’artiste. Zoulikha Bouabdellah a retiré son oeuvre pour éviter toute « manipulation ».


akim