<span class=A Avignon, des jeunes sur scène pour un nouveau départ">

Juil / 07

A Avignon, des jeunes sur scène pour un nouveau départ

By / Florian Dacheux /

Renouer avec soi à travers la pratique artistique. Tel est le sens du dispositif « Classe Départ » qui porte la parole de cette jeunesse en situation d’exclusion et d’isolement. Pendant sept mois, ils ont participé à la création d’un spectacle tout en travaillant sur leurs projets personnels et professionnels. Un nouveau départ à découvrir sur scène au Festival d’Avignon jusqu’au 11 juillet.

A Avignon, des jeunes sur scène pour un nouveau départ

Mercredi 5 juillet, il est 21h lorsque nous retrouvons l’équipe de « Classe Départ » au Château de Saint-Chamand. Quelques heures plus tôt, intra-muros, au pied du Palais des Papes, la chorégraphe Bintou Dembélé ouvrait le Festival In avec G.R.O.O.V.E, une traversée des mondes, du hip-hop aux Indes galantes de Jean-Philippe Rameau. L’introduction est alors bouleversée par l’actualité avec un plaidoyer contre les violences policières, suite à la mort de Nahel à Nanterre. A l’autre bout de la ville, à Saint-Chamand donc, où plusieurs « Justice pour Nahel » jonchent les façades des immeubles de cette cité née dans les années 1960, un groupe de jeunes de 18 à 24 ans peaufinent leurs derniers réglages sur la scène de la salle communale voisine, investie depuis plusieurs années par le Collectif de La Manufacture au moment du Festival Off d’Avignon. Des discriminations, ces jeunes invisibles en situation d’exclusion en connaissent un rayon. Eclatement de la famille, déscolarisation, addictions, phobies, racisme… Et puis la haine qui monte. Ensemble, dans le cadre de « Classe Départ », ils se sont engagés dans un voyage de 7 mois à la recherche de soi et des champs des possibles. Un programme de réemployabilité sociale unique en son genre, lancé par l’Envol en 2015 à Béthune avant de se déployer à Guyancourt puis Avignon, qui a donné naissance au spectacle Plus loin que vos yeux nous pourrons galoper. Après deux dates à la Salle Benoit XII cet hiver, ils jouent cette fois cinq soirs d’affilée jusqu’au 11 juillet sur un superbe plateau de plain-pied. « Cela parle de la jeunesse, de la cité, de leur colère, explique Julie Charrier, la responsable pédagogique et artistique qui coordonne le projet avec Frédéric Poty. Depuis qu’ils sont nés, on leur dit qu’ils ne valent rien, qu’ils n’y arriveront jamais. Pourquoi tu me regardes ? Pourquoi tu me regardes mal ? C’est quoi être normal ? Ça ne veut rien dire normal. C’est très direct et franc. Et finalement très relié à l’actualité. »

« Malgré nos différences, nous avons plein de points communs »

Ecrite par la dramaturge et aiguilleuse Prune Cadier à partir de leurs propres textes, la pièce est excellente. Avec justesse et complicité, les jeunes nous embarquent avec eux dans leurs joies et leurs colères. Une pièce remarquable sur les préjugés que nous pouvons avoir les uns envers les autres. « Certains d’entre nous portent des textes qui n’ont pas été écrit par eux, témoigne Gaëtan. On porte la parole de l’autre. Nous avions chacun un cahier dans lequel on écrivait ce que l’on voulait. » « C’est une aventure de fou, renchérit Alpha. On s’est vu évoluer, se reconstruire. C’était intense car malgré nos différences, nous avons plein de points communs. » Ces points communs, cette envie de refaire société, ces derniers l’ont travaillé en collectif chaque matin de juin 2022 à février dernier. « Tout s’est fait en lien avec la Mission Locale d’Avignon, le centre social La Fenêtre, ainsi que la PJJ sur des ateliers dédiés à la justice restaurative, décrit Julie Charrier. Théâtre, danse, chant, écriture, développement personnel, philosophie, bien-être… Ils ont touché à tout pendant sept mois à raison de 25h par semaine. L’idée étant qu’ils reprennent confiance en eux en posant le sac à dos de leurs vies. Le but étant le retour à l’emploi et de se présenter aux entrepreneurs d’une autre manière qu’en tremblant avec un CV. A la sortie, ils en sortent métamorphosés. Cela les remet dans une légitimité d’être. »

« On a le droit d’être là »

Au-delà du théâtre, le groupe a eu pour mission de mener des actions de médiation culturelle à destination des habitants éloignés des équipements culturels, tout en travaillant à définir leur propre projet personnel et professionnel. Du cinéma art et essai Utopia au Cloître Saint-Louis en passant par la Maison Jean Vilar, ils se sont immergés dans ces lieux du centre-ville qu’ils croyaient inaccessibles, après tant d’années mis à l’écart de ces remparts qui symbolisent à eux seuls les maux de cette vieille cité des Papes. Deux villes sous le même toit. « Cela nous a permis de nous ouvrir au monde, de prendre conscience de nos points forts, de nos points faibles, témoigne à son tour Zakaria, aujourd’hui promu médiateur au sein de « Classe Départ ». Nous avons rencontré beaucoup de personnes, en se rendant compte que tout le monde n’est pas méchant, qu’on a le droit d’être là. On a tous, ici, un passé compliqué. On avait pour habitude de se couper du monde. Et si on a pu faire ce travail sur nous-mêmes, c’est grâce au groupe, à sa force. » « Franchement, au début je n’y croyais pas trop, puis ça m’a plu et je me suis pris au jeu », rebondit son partenaire Riad, qui a trouvé un job dans une station-service. Au tour de Stéphanie de réagir : « un an en arrière, je n’aurais jamais pu me produire devant des gens. Désormais, je sais que je peux me présenter dans une entreprise sans avoir peur. » A sa gauche, Jade confie qu’elle pense s’inscrire au Conservatoire. « J’ai le sentiment d’enfin assumer ma place », dit-elle. De leurs côtés, Alpha a été embauché à la Mission Locale et Gaëtan s’est décidé à reprendre ses études à l’Université. Alors qu’une nouvelle promotion suit le même processus depuis le mois d’avril avant de jouer à leur tour sur la scène de Benoît XII à Avignon en novembre prochain, Julie et les siens sont en quête de nouveaux partenaires et financements pour pérenniser le dispositif en 2024. L’équipe de La Manufacture est notamment démunie face au problème de la laïcité dans les institutions, un phénomène au coeur de beaucoup de paradoxes de désintégration pour des jeunes filles qui souhaitent porter le voile en lien avec leur foi, tout en ayant la même chance que les autres d’accéder à des formations et/ou emplois. Vivre et faire ensemble avec nos différences disions-nous ? Le chemin est encore long.

 

Florian Dacheux

 

(Photos Une © A. Delaminne / Galerie © F. Dacheux)

 

Florian Dacheux