50 ans du hip-hop : les passeurs d’histoire

Juin / 01

50 ans du hip-hop : les passeurs d’histoire

By / Oguz Aziz /

Ce sont deux passionnés de l’histoire du mouvement hip-hop qui fête, cette année, ses 50 ans. Somy King, de son vrai nom Pierre Mendy, a toujours été fan de rap et de danse. Depuis une dizaine d’années, ce cinquantenaire donne des conférences et des cours sur l’histoire du mouvement hip-hop. De quelques années son benjamin, Junkaz Lou, Louis Gomis dans la vie, est DJ et producteur de musique. Les deux compères animent ensemble depuis plusieurs années des conférences musicales. Somy King raconte l’histoire, avec des images d’époques, tandis que Junkaz Lou l’accompagne musicalement, avec des morceaux choisis pour illustrer le propos.

50 ans du hip-hop : les passeurs d’histoire

«A chaque fois qu’on discute, on échange des infos, il m’apprend des nouvelles choses, et vice-versa », raconte Pierre Mendy. « Cela se fait naturellement, sans forcer », ajoute le DJ, qui décrit son complice comme un « hiphopologue », un expert autodidacte de la discipline. Pendant longtemps, Somy a eu du mal à se définir comme conférencier et professeur. « Un jour, un pote m’a dit d’arrêter de me prendre la tête. Dans le hip-hop, on n’attend pas d’être validé par les institutions », raconte celui qui donne des cours pour une formation professionnelle en danse hip-hop à Cergy. Ils sont partis d’un constat : les gens, même du milieu, connaissent mal l’histoire du mouvement. « Notre but, c’est de toucher un maximum de personnes, à l’intérieur de la culture hip-hop et à l’extérieur où il y a parfois une vision très réductrice d’un mouvement considéré comme une sous-culture », précise Somy. Car le hip-hop ne s’arrête pas au rap. Il comprend aussi la danse, le graffiti, le DJing ou encore le beat box, l’art de reproduire une boîte à rythmes avec la bouche.

« Personne n'aurait imaginé que cette culture née dans le Bronx allait devenir internationale. »
Junkaz Lou et Somy King, le 13 mai 2023, Paris 18e. © Aziz Oguz

Née dans le Bronx, la culture hip-hop conquiert le monde

Somy retrace la naissance du hip-hop dans le contexte du début des années 1970 dans le quartier du Bronx – marqué par la pauvreté et l’insalubrité – au nord de New-York. « C’est une période où le moral est au plus bas aux Etats-Unis, avec du chômage, la guerre du Vietnam, la relégation pour les Afro-Américains », raconte-t-il. Les jeunes Noirs du Bronx n’ont ni l’argent ni le faciès pour aller dans les boîtes de nuit du sud de Manhattan. En 1973, Cindy Campbell organise alors avec son frère, le DJ Kool Herc, dans l’ouest du Bronx, une fête de quartier dans la rue – une block party – considérée comme la première du mouvement hip-hop. D’autres block party suivront, avec des mix de musique soul, funk ou disco. « Le DJ Kool Herc met une impulsion majeure. C’est l’un des leaders de cette nouvelle culture », dit Junkaz Lou. Le mouvement fait ensuite tache d’huile dans tout New-York, dans les Etats limitrophes, le reste des Etats-Unis, puis partout dans le monde. « Personne n’aurait imaginé que cette culture née dans le Bronx – où c’était la misère – allait devenir internationale », dit Somy. Dans leur conférence, les deux complices rendent aussi hommage à des artistes clés, mais généralement oubliés, parce qu’il n’existe peu ou pas d’enregistrements de cette époque, à l’instar du MC – maitre de cérémonie – Coke La Rock, qui improvisait les premières sessions rap lors de ses soirées. « Ce sont des générations sacrifiées qui ont inspiré d’autres artistes. Il y a un chemin, une histoire », rappelle Junkaz Lou.

La révolution Run-DMC

Suivront ensuite les premiers morceaux, les premiers disques et les premiers succès. Le duo cite les groupes Sugar Hill Gang, Funky Four Plus One et Grandmaster Flash and the Furious Five, avec leur classique The Message qui, sorti en 1982, cartonne. Pour eux, le tournant, c’est le groupe Run-DMC, formé en 1983, représentant de la nouvelle école du rap américain, qui révolutionne tout. « Des autres groupes, on ne retient généralement qu’un morceau, alors que pour Run-DMC, on retient des albums entiers. Ils se sont aussi imposés sur scène. Ils ont enfoncé beaucoup de portes », raconte Junkaz Lou. « C’étaient les premiers à venir habiller sur scène comme ils étaient dans la rue, avec basket, pantalon en jean, casquette ou chapeau. Un bouleversement à l’époque », ajoute Somy King. La nouvelle école éclot, avec par exemple les Fat Boys, le groupe féminin Salt’N’Pepa, le rappeur Rakim, la rappeuse Queen Latifah ou le groupe Public Enemy, qui marque son époque par son engagement et ses textes politisés. Le rap influence son époque et des artistes comme le jazzman Miles Davis ou le chanteur Prince. Run-DMC réalise un morceau avec le groupe rock Aerosmith, Public Enemy avec le groupe de métal Anthrax.

«Pour la première fois, on voyait des Noirs, des Arabes qui nous ressemblaient à la télé.»

L’arrivée du hip-hop en France

En France, l’arrivée du hip-hop se fait au tournant des années 1980 par l’intermédiaire de personnes qui peuvent alors voyager aux Etats-Unis. Animé par Sidney en 1984 sur TF1, l’émission H.I.P H.O.P. donne un coup d’accélérateur au mouvement. « A l’époque, il n’y avait que trois chaînes à la télévision. Pour la première fois, on voyait des Noirs, des Arabes qui nous ressemblaient à la télé. L’émission n’a pas duré longtemps, mais les passionnés ont continué à se voir, à s’organiser. Cela a créé une communauté », explique Somy. Pour Junkaz Lou, le DJ français Dee Nasty joue un rôle primordial à la diffusion du rap. A la fin des années 1980, il invite des rappeurs lors de son émission diffusée sur Radio Nova, comme NTM ou MC Solaar. « Les artistes rappaient en live. On ne savait même pas à quoi ils ressemblaient, se souvient Pierre Mendy, qui a grandi en grande couronne francilienne. Tout le monde a voulu ensuite écrire. La culture hip-hop nous a permis d’exister ». Le hip-hop et le rap n’ont cessé de se développer jusqu’à devenir aujourd’hui la musique la plus écoutée en France. Les deux passionnés sont critiques de l’évolution d’un rap français mainstream. « Des rappeurs deviennent de plus en plus des produits, comme si on était dans la grande distribution », regrette Junkaz Lou. « Il y a un rap à plusieurs vitesses, avec plein de ramifications, avec des branches qui poussent bien, d’autres qui sont pourries », ajoute son complice, qui a comme projet d’écrire un livre sur les origines du hip-hop. Pour eux, il est important de connaître l’histoire du mouvement et surtout de la transmettre : « Quand on sait d’où on vient, cela permet de savoir où l’on va. » 

 

Aziz Oguz

 

 

Prochaine conférence ? 

Le 26 juin à la librairie Les Volcans à Clermont-Ferrand.

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Oguz Aziz