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Août / 18

DOUBLE COMBAT POUR LES MUSULMAN-E-S FÉMINISTES

By / akim /

DOUBLE COMBAT POUR LES MUSULMAN-E-S FÉMINISTES

Porter le voile et être féministe ? Être lesbienne ou gay et s’affirmer fervent musulman ? L’idée paraît souvent inconcevable, tant l’islam est associé, dans bien des imaginaires, à l’oppression des femmes et des minorités sexuelles.

Porte-parole des Musulmans inclusifs de France, Nasredine Errami affronte une islamophobie potentiellement présente dans sa minorité sexuelle, et une possible homophobie dans sa communauté religieuse. Courte barbe soignée, regard serein. Pourtant, à vingt-neuf ans, Nasredine avoue être passé par

« beaucoup de souffrance » pour réussir à faire le lien entre sa foi et sa sexualité.  

« Jeune, c’était très difficile de s’affranchir de la tutelle théologique dominante qui exclut les homosexuels », raconte le jeune homme originaire du Maroc, installé en France depuis plusieurs années. Spirituellement, il s’est immergé dans différents courants islamiques avant de trouver son équilibre dans le chiisme. Aujourd’hui, l’activiste s’oppose fermement aux lectures rigoristes du Coran. « Je n’ai rien en commun avec ceux qui justifient le racisme, le sexisme ou l’homophobie par les Textes. Mon Prophète n’est pas intolérant, misogyne ou homophobe. » Installé à Strasbourg, Nasredine Errami se veut le chantre du dialogue interreligieux dans la communauté gay et lesbienne. Un message difficile à faire entendre dans un milieu qui peut vite glisser « laïcard, religiophobe et islamophobe ».

 

Lire le Coran pour l’égalité des sexes

Cette double lutte se retrouve chez les « féministes islamiques ». Dans un ouvrage qui a popularisé cette expression1, la sociologue Zahra Ali expose les combats de femmes musulmanes, voilées ou non, pour une nouvelle interprétation des textes religieux. Elles défendent l’égalité des sexes et dénoncent le patriarcat. De l’Indonésie à l’Égypte, en passant par les États-Unis ou l’Iran, des militantes mènent ce combat. En Occident, et plus particulièrement en France, elles font face à ceux qui leur refusent l’étiquette « féministe », au prétexte que « l’islam – plus que toute autre religion – serait inégalitaire et oppressif à l’égard des femmes ». L’auteure dénonce le contrôle, au nom de la laïcité, des femmes voilées dans l’espace public.

C’est en mars 2004 que la loi contre les signes ostentatoires dans les écoles publiques, visant le foulard avant tout, est votée. Depuis, les polémiques n’ont cessé de se multiplier : mamans lors des sorties scolaires, crèches, nounous, université… Dans ce climat, la gent féminine devient une vraie cible. En 2014, sur les sept cent soixante-quatre actes antimusulmans recensés par le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), 80 % concernaient des femmes.

Un turban rouge recouvrant ses cheveux, Hanane Karimi vit cette double confrontation. En décembre 2013, la chercheuse en sociologie fait irruption à la grande mosquée de Paris pour dénoncer l’interdiction faite aux fem­mes de prier dans la salle principale réservée, depuis cette fin d’année, aux hommes. Celles-ci doivent aller se recueillir dans le sous-sol ! La direction évoque un manque de place, le bavardage des femmes (sic)… Hanane Karimi fustige une « décision misogyne ». « Partout, les femmes sont “ségréguées” dans les lieux de culte. C’est humiliant », dénonce la porte-parole de Femmes dans la mosquée.

Un féminisme populaire

Dans le même temps, cette féministe « décoloniale » pourfend la loi de 2004. « En France, on reste dans un rapport de supériorité, hérité du temps des colonies. Avec l’idée d’aider la femme musulmane à s’émanciper de la domination masculine », argumente la militante qui, plus jeune, a dû stopper ses études, à cause de son foulard. Hanane oppose son combat à un féminisme « mainstream, blanc, bourgeois, qui a laissé de côté nos mères, les femmes immigrées ».

L’activiste Bouchera Azzouz, elle, se refuse à segmenter ces luttes.

Même si « les femmes immigrées dans les banlieues ont vécu leur combat en marge, à l’ombre de Simone de Beauvoir

Hanane Karimi

80 % des actes antimusulmans concernent des femmes.

ou de Gisèle Halimi, engagées pour que toute femme puisse accéder à la contraception et à l’avortement. Ces féministes ont œuvré pour l’égalité et l’émancipation de toutes les femmes », constate Bouchera, elle-même fruit de ce double héritage. La jeune femme a écrit et coréalisé, avec Marion Stalens, le documentaire Nos mères, nos daronnes. Tourné à Bobigny où elle a grandi, ce film est un hommage aux femmes des quartiers populaires. « C’est important de connaître leur histoire et leurs luttes pour que nous, générations nouvelles, soyons pleinement les héritières de ce féminisme populaire. » Dans le film, sa mère, Rahma, confie – pour la première fois – avoir avorté. Cette femme, qui a donné naissance à huit enfants, n’a pas voulu en avoir un neuvième. « On a obtenu ce droit grâce à Simone Veil [qui a défendu la loi de 1974 sur l’avortement] », raconte la mère de Bouchera, voilée et pratiquante. « Il faut démystifier le poids de la religion dans les choix de vie de chacun », ajoute, en écho, sa fille.

La réalisatrice a, elle aussi, porté le foulard pendant dix ans dans sa jeunesse. Parce qu’elle avait des « interrogations ». Puis a décidé de l’enlever, après mûre réflexion. « Je me suis demandé pourquoi je le portais. Est-ce que cela avait encore un sens dans ma spiritualité ? Je n’en ai plus ressenti le besoin. » Sa foi n’a pas faibli. Loin de là.

Mais d’autres femmes décident de le porter. Et doivent faire face au regard sévère d’une grande partie de l’opinion publique. Selon l’enquête 2014 de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), 79 % des Français jugent négativement le port du voile. Le rejet est massif. Un parcours du combattant s’impose à ces femmes pour concilier leur foi avec leur vie en société. Porter ou non le foulard, un choix… cornélien

1. Féminismes islamiques, Éditions La Fabrique.

RETROUVEZ CET ARTICLE DANS LA REVUE PAPIER NUMÉRO 2

Texte : Aziz Oguz

Photos : Darnel Lindor, Théo Birambeau

 

 

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