Aller au bout de ses rêves…

Avr / 07

Aller au bout de ses rêves…

By / akim /

Aller au bout de ses rêves...

«Ne crains pas que ta vie prenne fin un jour, mais plutôt qu’elle n’ait jamais commencé.» La citation est issue du roman Loss and Gain du philosophe et théologien anglais John Henry Newman.

Laurence Luyé-Tanet en a fait le titre d’un de ses ouvrages. Coach et thérapeute depuis plus de trente ans, elle estime que donner corps à ses rêves n’est pas un luxe de privilégiés mais une absolue nécessité. Qui que l’on soit, d’où que l’on vienne, «les rêves ne sont pas à côté de notre vie, mais le moteur de notre vie».

Suivre ses rêves, pour vous, ça a toujours été évident ?

 

Dans mon parcours, j’ai d’abord connu une série d’échecs. Je portais des désirs profonds, mais au lieu de les écouter, je me conformais à ce que je pensais être bien, ou à ce que j’imaginais que les autres attendaient de moi. J’ai suivi une thérapie, puis je me suis formée pour faire évoluer mon métier de professeur de yoga vers la psychothérapie. Là, je me suis rendu compte que nous étions tous à la merci de jugements, intérieurs ou extérieurs, qui nous empêchent de suivre nos rêves. On se dit que ce n’est pas possible, qu’on ne vient pas du bon milieu, qu’on n’a pas les bons diplômes… Suivre une thérapie est une première étape ; cela permet de prendre conscience qu’il existe un lien entre qui l’on est et le contexte dans lequel on a grandi. Mais après, on peut passer sa vie à rejeter la faute sur les autres. Si un enfant est tributaire de son environnement, un adulte peut, à un moment, faire un choix : soit celui de s’inscrire dans un processus de victime perpétuelle – des circonstances, des autres, etc. – et continuer à vivre dans le ressentiment et la colère ; soit celui de se dire : «Ok, ça, c’était le passé. Maintenant qu’est-ce que je veux, quels sont mes désirs ?»

 

A force de pragmatisme ou de désenchantement, certains disent ne pas avoir de rêve. Que leur répondez-vous ?

 

On a tous des rêves et des désirs, sauf que parfois, on les a enfouis très tôt. La vie m’a appris que notre histoire et nos circonstances ne déterminent pas la personne que nous souhaitons être. C’est capital. Nous avons tous des ressources en nous. En tant qu’êtres humains, il nous appartient d’apprendre à nous y connecter et à les projeter dans notre vie.

 

Atteindre son but sera plus facile et plus rapide pour ceux qui ont l’argent, l’éducation, les réseaux… Quand on vient d’un milieu défavorisé ou qu’on subit des discriminations, c’est plus compliqué !

 

C’est exact, mais ce n’est pas parce qu’on n’est pas aidé par l’environnement qu’on ne peut pas avancer. Un homme venu d’Asie du Sud-Est m’a dit un jour : «Je n’ai pas fait ce changement de vie et parcouru tous ces kilomètres pour avoir moins que ce que j’avais.» Quand je l’ai rencontré, il était serveur. Son exemple m’a marqué. Quand on reste dans un schéma de victime, on abandonne son pouvoir – aux autres, aux circonstances. En sortir, c’est reprendre ce pouvoir intérieur. C’est une question de positionnement personnel.

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A un moment, il faut aussi quelqu’un pour dire : «Je te soutiens». Que pensez-vous de la capacité d’un employeur, d’un enseignant ou d’une institution à percevoir la valeur d’un individu au-delà de ses résultats scolaires, de son passé ou de sa provenance ?

 

Je vais vous raconter une histoire. A Paris, il y a plusieurs années, j’ai travaillé avec une association de réinsertion auprès d’anciens drogués. Tous avaient fait de la prison. Certains étaient encore sous Méthadone ou Subutex. Mon travail était de les accompagner durant leurs neuf mois de réinsertion par un travail corporel. J’avais une consigne : je ne devais rien savoir d’eux. Bête et disciplinée, j’ai d’abord suivi la consigne. Très vite, il y a eu des frictions : d’un côté, il y avait moi et mon projet ; de l’autre, il y avait eux, leur état et leurs innombrables soucis. Ils arrivaient en retard, trouvaient toujours une excuse… Jusqu’à ce qu’un jour, à la pause, je discute avec une femme. Elle portait le même prénom que moi. Elle m’a demandé ce que je faisais ; je lui ai expliqué. Du coup, je lui ai dit : «Et toi ? » Elle m’a appris que son rêve était de devenir informaticienne, qu’elle voulait suivre cette formation une fois la réinsertion terminée. Tout à coup, quelque chose s’est éclairé en moi ; parce qu’au-delà de la fille qui avait touché à la drogue et qui était allée en prison, j’ai vu un être, avec un rêve. Après la pause, j’ai délaissé le travail qu’on était en train de faire, je leur ai demandé de s’asseoir et je leur dit : «J’ai parlé avec Laurence. Je vais vous dire qui je suis, mais je voudrais aussi savoir qui vous êtes. Qu’est-ce que vous faisiez avant ça ? Et qu’est-ce que vous voulez faire ?» J’ai eu quelques surprises : certains avaient été responsables de service, d’autres avaient travaillé en Ressources Humaines… A ce moment, toutes les croyances, tous les préjugés que je pouvais avoir sont tombés. Je leur ai demandé d’amener les musiques qui les touchaient, on a travaillé à partir de là. C’était extraordinaire. A la fin, je leur ai dit : «N’oubliez jamais que votre vie ne se résume pas à votre histoire avec la drogue. Vous avez des projets, vous avez une vie.» C’était la première fois qu’on leur disait ça ! Le problème, c’est les jugements définitifs que nous avons, à titre personnel et collectif, sur les personnes ; on les enferme là-dedans. Notre système évalue les gens à partir de leurs manques, de leurs mauvaises notes, au lieu de valider leurs ressources, leurs potentiels et leurs talents particuliers.

 

Vous dites que les rêves nous relient à notre âme, à notre force de vie, à ce qui est au plus profond de nous. Encore faut-il arriver à l’identifier. Comment faire ?

 

Si certaines personnes ont une vision très claire de leur rêve, ce n’est effectivement pas le cas pour tout le monde. Le point de départ, c’est de regarder son insatisfaction. Qu’est-ce qui, dans ma vie, me fait dire : «j’en ai marre de ça» ? Je me dis par exemple : «J’en ai marre de mon boulot.» Ok, mais encore ? Qu’est-ce que je voudrais en moins, dans mon travail ? Et qu’est-ce que je voudrais en plus ? Cela donne déjà deux pistes pour se reconnecter à ses désirs. Les sensations physiques sont des indices, aussi. Qu’est-ce qui me plombe ? Qu’est-ce qui me donne des ailes ?

Il y a aussi tout un panel de «faux désirs», issus d’une représentation sociale, ou d’un besoin de reconnaissance. Comment ne pas se perdre dans des chimères ?

 

Si je touche le Smic et que je souhaite gagner davantage, me dire : «Je veux être millionnaire» ne m’aidera pas, car mon cerveau n’est pas capable d’appréhender ce que cela peut être. Cela ne créera pas en moi une énergie directrice. Commencer par me dire : «Je veux gagner 3000 euros» est plus cohérent. A partir de là, je peux me demander : que vais-je faire pour y arriver ? De quoi ai-je envie : garder le même job ou gagner en compétences ? Ainsi, en tirant le fil, question par question, je peux dresser l’inventaire de là où j’en suis et de ce qui me convient, ou pas, dans ma réalité du moment. Si je ne suis pas capable d’énoncer cela, je vais continuer à tourner en rond et rester dans mon insatisfaction. Le but est d’arriver à une vision suffisamment claire et porteuse pour me mettre en mouvement.

 

Passer de l’idée à l’action : c’est souvent là que ça bloque !

 

Nos désirs viennent par des idées, des pensées et des images. Puis soit ils restent dans nos têtes, vaincus par les «c’est pas possible, j’ai pas l’argent, je le ferai plus tard, quand les enfants seront grands ou quand je serai à la retraite», soit on commence à les faire advenir dans la réalité en se mettant en action. L’ordinateur avec lequel vous travaillez, le film que vous regardez : tout a d’abord été dans la pensée de quelqu’un. S’ils en étaient restés à ce stade, vous n’auriez pas pu en bénéficier ! Cette pensée, quelqu’un en fait un projet, l’a transformée en actions. C’est le propre du processus de création. Bien sûr, il y aura des obstacles, mais aussi des avancées. Thomas Edison, l’inventeur de l’ampoule électrique, a connu des centaines d’échecs, mais il a continué, estimant que c’étaient des «retours d’expérience» ! Si votre rêve est de grimper au sommet de l’Himalaya, vous allez avoir besoin de matériel, d’une préparation physique… Chaque jour, une action : chercher des renseignements sur Internet, passer un coup de fil, écouter des histoires inspirantes… Il faut se concentrer sur le chemin, pas sur le sommet. Un pas après l’autre.

 

La France est moins ouverte que d’autres pays à l’imagination et à l’innovation…

  

C’est vrai qu’aux Etats-Unis, par exemple, les idées neuves sont mieux accueillies, et des systèmes existent pour suivre des formations universitaires en ligne, où que l’on soit dans le monde, en fonction de ses disponibilités… Mais d’un autre côté, si je me dis : «La société n’est pas porteuse», je me réfère encore à l’extérieur. Je ne dois pas le prendre pour excuse pour ne rien tenter. 80% des métiers de demain ne sont pas encore inventés ; il faut oser aller au-delà de l’existant ! Quand John F. Kennedy a demandé à son conseiller ce que ça prendrait pour envoyer des hommes sur la Lune et les ramener sains et saufs, celui-ci lui a répondu : «La volonté de le faire.»

 

Quand on évolue dans un contexte plombant, qui voit tout en négatif, comment faire pour entretenir la flamme de la confiance et de l’enthousiasme ?

 

Une fois le rêve identifié, je conseille de l’écrire noir sur blanc et de s’imaginer dans trois ans avec son rêve : «Où est-ce que je suis ? Qu’est-ce que je fais ? Qui suis-je ? Qu’est-ce que j’ai construit  » Et puis le lire, tous les matins et tous les soirs, et percevant déjà en soi la joie qu’il procure. Et chaque jour, se lever avec cette seule et unique pensée : «Quel pas, quelle action vais-je pouvoir mettre en place pour aller vers ça ? »

 

Propos recueillis par Réjane Éreau

 

ALLER PLUS LOIN

Ne crains pas que ta vie prenne fin un jour, mais plutôt qu’elle n’ait jamais commencé, éd. Dunot, 2017, 256 pages, 14,90 euros

www.laurenceluye-tanet.com

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