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Juin / 24

Un secteur culturel sous perfusion

By / Florian Dacheux /

Les baisses drastiques de subventions dans le secteur culturel posent de nouveau la question de l’instrumentalisation de cette même culture. Visible sur tout le territoire, l’offensive générale d’une certaine droite réactionnaire conduise de plus en plus de structures à se serrer la ceinture. L’expression de nos pluralités est clairement en danger. Décryptage d’un massacre à la tronçonneuse d’un secteur considéré comme de moins en moins essentielle.

Un secteur culturel sous perfusion

Comment ignorer ou faire semblant de ne pas voir qu’une forme de guerre culturelle se joue sous nos yeux. À l’approche des festivals d’été (de moins en moins nombreux et de plus en plus courts), le secteur de la culture n’échappe pas aux coupes budgétaires que subissent les services publics depuis plusieurs mois. Lancée fin mars à l’initiative du chercheur Vincent Guillon et de l’Observatoire des Politiques Culturelles (OPC), une cartographie contributive en ligne, baptisée Cartocrise, permet d’identifier plus précisément les organisations impactées par des diminutions de soutien public en 2025. Le constat est édifiant : pas moins de 642 structures culturelles, artistiques, socioculturelles et patrimoniales sont concernées, révélant des baisses déclarées supérieures à 21 millions d’euros. Le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac) estime à 1500 le nombre d’emplois menacés par ces coupes budgétaires. 

 

Brutal

Bon nombre de collectivités ont décidé de raboter le budget de la culture.  À l’image de la Région Auvergne-Rhône-Alpes où la situation est alarmante. Depuis les commissions culture de février et mars, les couperets tombent. La part consacrée au fonctionnement relatif à la culture, à la création et à l’enseignement artistique a en effet perdu 12% par rapport à 2024, soit 5,2 millions d’euros. Citons notamment la Manufacture des arts d’Aurillac, le Footsbarn de Hérisson, le Stud et Le Prunier sauvage de Grenoble qui ont tous perdu leur subvention régionale. Selon Sceneweb, le CDCN de Grenoble, Le Pacifique, a quant lui perdu 15 000 euros, et ne touchera plus que 30 000 euros de la part de la Région en 2025, contre 67 000 en 2021. Sans oublier les Scènes Découvertes Lyonnaises consacrées à l’émergence qui perdent la totalité de leurs dotations régionales, ou encore l’école de cirque de Lyon, portée par la MJC de Ménival, qui n’a pas reçu sa subvention de 60 000 euros.

Plus au sud, en région Occitanie, le département de l’Hérault a tout bonnement supprimé 100 % du budget consacré à la part culturelle non obligatoire. Dans Libération, Sandrine Mini, directrice de la scène nationale archipel de Thau, à Sète, déplore « une attaque brutale contre les artistes, les techniciens et le service public, aux dépens de tous ».

En Pays de la Loire, la Région a raboté 73 % du budget du secteur culturel. « 50 % des compagnies de théâtre, de danse et de groupes de musique vont disparaître », s’est ému à France 3 Pierre Roba, membre du syndicat national des arts vivants. De son côté, le Centre national de danse contemporaine d’Angers affirme avoir perdu 130 000 euros de la région.

 

Du blues aux campagnes de dons

Les coupes peuvent aussi mener jusqu’à l’annulation d’une manifestation, comme celle de l’édition 2025 du Festival du film du Croisic (Loire-Atlantique). Dans le podcast C’est la France sur France Inter, Cyril Petit, du journal Ouest France, rapporte que des dizaines d’événements ne tiendront pas leur festival en 2025. Tout le pays est touché. Rien qu’en Ille-et-Vilaine, on compte au moins cinq défections cet été selon Cyril Petit. « Les festivals ont le blues », titrait vendredi dernier Le Républicain Lorrain, citant notamment les annulations des éditions 2025 du Palmarosa à Montpellier dans l’Hérault, du Vrai Repaire Festival à Varaire dans le Lot, ou encore du Porto Latino à Bastia en Haute-Corse. Et l’hécatombe continue. Alors que le Vercors Music Festival (Isère) a fait ses adieux définitifs, le Revival Music Festival à Hauteville- sur-Mer (Manche) vient à son tour d’annoncer son annulation.

Résultat, des scènes labellisées par l’État se retrouvent à lancer des campagnes de dons, comme en Charente-Maritime au Théâtre de la Coupe d’or à Rochefort (Charente) et à la Scène nationale La Coursive à La Rochelle (Charente). En parallèle, les frais fixes augmentent : assurances, matériels, etc. « En trois ans, on a subi 30 % d’inflation rien que sur la partie prestation », indique à Ouest-France le patron des Vieilles Charrues.

Sur le plan de l’éducation populaire, les acteurs sont également à bout de souffle. Le gel de la partie collective du Pass Culture, un dispositif qui permet de financer des projets et sorties culturels de collégiens et lycéens, contraint de nombreux établissements scolaires et centres sociaux à annuler des dizaines de projets. Les syndicats enseignants dénoncent un « hold-up ».

À l’inverse, de gros projets patrimoniaux sont en cours de réalisation et financés, tels que la cité de la civilisation gauloise Gergovia dans le Puy-de-Dôme ou bien le vaste chantier de transformation du Louvre.

« Les grandes vagues réactionnaires n'ont fait que s'amplifier, et aujourd'hui s'assument au grand jour »

La culture de l’exclusion

Face à ce terrible constat, nous sommes en droit de nous demander si certain·es président·es de collectivités territoriales s’autorisent désormais à couper des subventions pour des raisons idéologiques. Citons par exemple le retrait d’une subvention au Festival Bien l’Bourgeon en Isère après l’annonce de la programmation du rappeur havrais Médine. Censure réactionnaire ? Pour Laurent Eyraud-Chaume, il n’en fait aucun doute. « La baisse des subventions à la culture par les régions va entraîner le recul de l’ « esprit public », la mort de projets institutionnels ou alternatifs et la disparition de formes nouvelles de diffusion et de création avec les habitants », souligne, dans une tribune au Monde, le comédien et animateur d’un projet culturel en milieu rural. « Un théâtre qui perd 10 % ou 20 % de budget ne peut défendre ni une baisse du nombre de levers de rideau avec une équipe identique, ni des équipes réduites avec un projet artistique maintenu, poursuit-il. Ce qui sera attaqué en premier, à travers les suppressions d’emplois et la baisse du budget artistique, c’est une certaine idée de la mission de service public portée par ces conventionnements croisés : travail avec les habitants, tarifs adaptés, programmation en proximité, logique de coopérations territoriales… » C’est le cas à Marseille où l’école Kourtrajmé (école de cinéma gratuite, ouverte à tous, sans condition de diplôme ni de nationalité) a reçu le 24 avril un email de la région SUD l’informant de la suppression de sa subvention pour les années 2025 et 2026. La raison ? L’usage de l’écriture inclusive dans les documents de communication de l’école, nous append le syndicat Sud Culture : « la majorité LR présidée par M. Renaud Muselier, applaudie des deux mains par les conseillers régionaux du RN, vient de retirer de manière pure et simple la subvention déjà allouée à l’école. Cette suppression fait suite à l’adoption par le Conseil régional de la « trajectoire valeurs » visant, entre autres, les associations et structures qui travaillent à l’égalité d’accès de tous·tes à la culture. » Une culture de l’exclusion dans laquelle Laurent Wauquiez, à la tête de la région Auvergne-Rhône-Alpes pendant près de dix ans, est passé maître. « Le très droitier LR a mené une politique punitive, ciblant les acteurs culturels jugés trop à gauche et privilégiant des industries payantes en termes d’image et de profit », rapporte Libération. Entre 2022 et 2024, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes a en effet supprimé 4 millions d’euros à 140 structures culturelles, selon des chiffres rapportés par France Info.

 

En guerre

« Le retrait total des subventions de la Région n’a été que l’illustration de ce que je dénonçais, a réagi Joris Mathieu, qui quittera la direction du TNG CDN de Lyon cet été, dans les colonnes du Petit Bulletin. J’ai voulu dénoncer la brutalisation du rapport du politique avec les institutions culturelles, la manière pernicieuse avec laquelle la subvention est utilisée comme une épée de Damoclès (…), plaçant ces dernières dans une culture de l’allégeance et du silence. » Il poursuit : « Quand nous sommes arrivés, les grandes vagues réactionnaires commençaient, mais à bruits sourds. Elles n’ont fait que s’amplifier, et aujourd’hui s’assument au grand jour. Le discours — à l’époque consensuel — sur le rôle des artistes, de l’art et de la culture comme étant essentiel est maintenant remis en cause. Notre travail n’a pourtant pas changé : l’idée est toujours de contribuer à l’émancipation, à l’autodétermination des publics. La droite extrême — car il est nécessaire de penser le spectre élargi de cette mouvance — a commencé à questionner la pertinence des propositions artistiques, notamment celles qui interrogent les notions de genre, d’identité, de mœurs, d’immigration, d’exil. »

Pendant ce temps-là, le budget de la Défense ne cesse d’augmenter (en hausse de 3 milliards d’euros, loi de programmation militaire 2024-2030), Bruno Retailleau fait la promo de son opération de contrôle de migrants à Gare du Nord à Paris, et l’hôpital, qui emploie bon nombre de travailleurs immigrés, tire la langue. Que faire ? Continuer à produire de nouveaux imaginaires avec le peu de moyens qui restent, certes. À moyen terme, les baisses d’activité dans la création, la programmation et la médiation peuvent surtout avoir des effets dévastateurs, et ce, comme toujours, chez les publics les plus fragiles. L’ensemble des syndicats d’employeurs et de salariés du spectacle vivant ont tiré la sonnette d’alarme dès la mi-janvier dans une pétition intitulée « Debout pour la culture ! Debout pour le service public ! », signée par près de 70 000 personnes, dont François Morel, Marina Foïs, Vincent Dedienne ou encore Camille Cottin. En vain. Où va-t-on ? Si ce n’est en guerre.

 

 

Florian Dacheux

© Photos Christophe Raynaud de Lage / Carte Noire Nommée Désir – Rebecca Chaillon – Festival d’Avignon 2023


Nous précisons que notre média associatif n’est pas non plus épargné par les baisses de subvention. A titre d’exemple, nous avons notamment perdu le financement annuel de l’ANCT.


Ce samedi 28 juin, un grand débat national sur la censure qui s’étend actuellement dans notre pays aura lieu au Théâtre des Ilets CDN de Montluçon de 11h à 13h. Intitulée « De la censure à l’autocensure : les difficultés du secteur culturel révélatrices du climat politique », cette table ronde, organisée par le Syndeac (Syndicat National des Entreprises Artistiques & Culturelles) & le Collectif NSP (Nos Services Publics), réunira Carole Thibaut, directrice du Théâtre des Îlets, Juliette Mant, haute fonctionnaire à la liberté de création, Claire Dupont, directrice du Théâtre de la Bastille, Agnès Tricoire, présidente de l’Observatoire de la liberté de création, ainsi que Nora Hamadi, productrice à France Culture.

L’édition au cœur d’une guerre culturelle

 

Dans un contexte de profondes évolutions sociétales et culturelles, l’édition occupe une place stratégique pour favoriser la diversité des voix et des récits. En tribune pour le Groupe de recherche ACHAC, Marc Chebsun et Catherine Argand, cofondateurs de Multikulti Editions, interrogent le rôle des éditeurs dans la représentation de la pluralité des imaginaires littéraires.

 

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Florian Dacheux