Un documentaire qui nous éveille face au repli

Actuellement en salles, Le Repli interroge avec lucidité cette lente sortie de l’état de droit, observée au lendemain des attentats de novembre 2015. Le documentaire analyse surtout comment la banalisation des idées d’extrême droite a restreint nos libertés et légitimé le racisme. Organisée dans le cadre du cycle de projections « On lâche rien », la séance du 4 novembre à Utopia Avignon a eu lieu en présence de Yasser Louati, protagoniste principal du film et défenseur des droits humains, et Christèle Lagier, maîtresse de conférence en sciences politiques, spécialisée en sociologie électorale.

Par une mise en scène soignée et rythmée qui rend hommage par séquence à l’esprit rebelle de Paname, Joseph Paris nous plonge avec lucidité dans l’extrême-droitisation de notre pays. À travers les yeux du militant des droits de l’homme Yasser Louati, le cinéaste interroge, des années 1980 à aujourd’hui, le phénomène du repli identitaire en France et cette islamophobie galopante, comme si tout serait la faute des musulmans, ce bon vieux fantasme de l’ennemi intérieur. Remarquable synthèse de l’union des droites, le documentaire ne fait pas de cadeau à la gauche. Instrumentalisation de l’islam dès les années Mitterrand, lutte des ouvriers immigrés de l’automobile au début des années 1980, loi sur le voile, violences policières, invocation de la laïcité, montée du racisme, restriction des libertés, déchéance de nationalité… Le documentaire décortique avec brio le discours médiatique et politique en place depuis plusieurs années, et comment le Macronisme n’est que le résultat des années Chirac-Sarkozy-Hollande. Tour à tour, la juriste Mireille Delmas-Marty, la chercheuse en sciences politiques au CNRS Vanessa Codaccioni ou encore l’historien Thomas Deltombe analysent la montée en puissance d’un état sécuritaire, des amalgames et autres contresens. « Le RN n’a plus qu’à se baisser, admet Christèle Lagier, maîtresse de conférences en sciences politiques, spécialisée en sociologie électorale. Aujourd’hui, le RN, c’est 125 députés à l’Assemblée Nationale, sans compter les dizaines de Ciottistes. » En effet, après l’élection de 16 députés issus de LR ayant fait le choix de s’allier au RN, Eric Ciotti a passé de justesse la barre des 15 élus permettant de former un groupe. Le 11 septembre dernier, ce groupe, initialement baptisé A droite ! a changé de nom pour adopter la dénomination Union des droites (UDR). Autant assumer jusqu’au bout.

Trafic de mots et d’images

Outre la banalisation des idées d’extrême droite, le documentaire dépeint parfaitement bien comment le pouvoir médiatico-politique a réussi à faire entrer dans la tête des gens des termes comme séparatisme, islamo-gauchisme ou écoterrorisme. Une manière de stigmatiser pour mieux renforcer le repli et la division de la société française. « Nos libertés ne cessent de reculer, affirme Yasser Louati. On l’a vu aussi avec les mouvements écolos, les gilets jaunes, etc. Nous sommes dans un trafic de mots et d’images, tout comme dans une droitisation des élites. » A l’issue de la projection, le public entre en débat, se posant notamment la question du « Nous », de « comment faire ensemble dans ce contexte-là ». « Il faut déjà s’interroger sur les responsabilités de la gauche, estime Yasser Louati. La France, c’est ce roman national avec un seul récit, celui de cet homme de pouvoir, blanc, au centre. Pourquoi on ne s’interroge pas sur la non-représentativité des minorités dans les médias, au cinéma ? » On l’interroge alors sur une possible convergence des luttes. Il répond du tac au tac : « la convergence des luttes, c’est au quotidien sur le terrain. » « Il s’agit aussi de rediaboliser le RN », rebondit Christèle Lagier. Et si Le Repli nous invitait à nous regarder nous-mêmes dans la glace ? A comprendre enfin qu’il est urgent de faire société en assumant tout d’abord notre histoire commune, diverse et coloniale. Qu’on ne peut nier l’intersectionnalité des sujets qui composent notre pluralité. Sans pour autant rester naïfs et muets face au national-populisme qui gangrène ces cerveaux considérant le multiculturalisme comme une menace. Nous, c’est notre meilleur atout.  

Florian Dacheux