Déc / 12
TRIBUNE
RACISME et santé mentale
Fatma Bouvet de la Maisonneuve , psychiatre, écrivaine.
Debout, tête haute, Ed du Croquant.
Si les conséquences du racisme sur la santé mentale est un sujet étudié et enseigné au sein de chaires académiques dédiées, aux Etats-Unis et au Canada, il n’en est pas de même en France. En 2024, nous n’en sommes qu’aux balbutiements de l’évocation de ce sujet majeur, à travers quelques enquêtes et essentiellement des témoignages. En effet s’attaquer à ce tabou signifie remettre en cause la devise républicaine, socle du pays, pourtant régulièrement ébranlé.
Pourtant la grande Histoire est là qui nous rappelle les traumatismes physiques et psychiques vécus depuis des générations par les citoyens issus des anciennes colonies françaises et de leurs descendants.
En matière de santé mentale, qui dit traumatisme, dit syndrome post-traumatique. Comment ne pas s’en être préoccupé plus tôt si ce n’est à cause d’un déni politique majeur entretenu depuis des décennies, mais désormais levé, pour le bien-être de tous.
Depuis de nombreuses années maintenant, des patients me consultent pour un mal être profond dont ils suspectent qu’il pourrait être dû à un passé de maltraitances sans véritablement savoir les nommer. Tout est confus, ils ont été interdits de ressentir, d’avoir mal, alors qu’ils sont bousculés dans le plus profond de leur être. Le traumatisme comme on le sait maintenant provoque une réaction de stress majeur avec son cortège physique et psychique : accélération du rythme cardiaque, allant jusqu’aux complications cardio-vasculaires ,douleurs multiples, essentiellement céphalées, insomnies, dépression, anticipations anxieuses, sentiment d’insécurité, hypervigilance, faible confiance en soi, épuisement, risques suicidaires, addictions et passages à l’actes violents, culpabilité, détestation de soi, désamour des siens, honte, ébullition émotionnelle et intellectuelle, décrochage scolaire ou universitaire, besoin de quitter le pays, de fuir pour trouver la paix, crainte pour ses enfants traités de terroristes dans les établissements scolaires ou contrôlés de façon récurrente ; les mères ne dorment jamais, leur enfant pourrait être violenté ou tué : « Regardez Naël… »
« Puis la colère , enfin ! Plus envie de perdre autant de temps avant d’extérioriser, avant de reprendre sa destinée en main. »
En tant que clinicienne, je remarque que le retour de la mémoire traumatique a commencé avec le mandat de Nicolas Sarkozy et son ministère de l’identité nationale qui a voulu nous diviser. De quelle identité s’agissait-il alors que 30% des Français ont un lien direct avec l’immigration . Beaucoup se sont sentis rejetés . Puis les politiques se sont succédées aggravant le mouvement. Les plaies se rouvrent alors avec une profondeur et une acuité à la mesure de la désinvolture de certains face à la montée de la xénophobie et de l’engagement d’autres dans le racisme décomplexé. J’observe, les larmes, et l’écroulement d’abord puis des excuses de s’être laissé aller, des excuses , toujours…. Puis la colère , enfin ! Plus envie de perdre autant de temps avant d’extérioriser, avant de reprendre sa destinée en main. Rage contre le piège des anti racistes paternalistes et infantilisants qui les ont neutralisés en parlant à leur place. Sentiment profond de trahison venant des amis « blancs » qui défendaient mordicus la mixité sociale jusqu’à l’étape du collège. Là, on ne sait par quel phénomène chacun finit par retrouver la place attribuée par un imaginaire colonial persistant. C’est grâce à l’école publique qu’ils sont devenus avocats, médecins ou chercheurs. Même aisés y restent attachés, lorsque les autres les abandonnent pour le privé de peur que les anciens petits camarades de leurs enfants, noirs et arabes, du primaire n’entrainent un nivellement vers le bas, au collège. Alors, l’hypocrisie des adultes sépare violemment des amitiés d’enfance, fondatrices, par-delà les couleurs de peau.
La rhétorique républicaine n’est plus qu’un mirage quand un courant rétrograde et xénophobe monopolise la parole publique. Les Français d’origine Maghrébine, principale cible, considèrent avec leurs proches , aujourd’hui les médias comme un ennemi, voire un agent pathogène. Ils ressentent « un média trauma récurrent. » Ils sont lassés de ces documentaires et fictions où Noirs et Arabes jouent des rôles peu glorieux et qui participent aux identifications péjoratives et à la mauvaise estime de soi accueillie dès la plus tendre enfance ?
Les Franco-Français de tradition républicaine et démocratiques ne se reconnaissent plus dans la transformation du pays qui leur fait craindre pour leurs amis, leurs proches.
Aujourd’hui, les Maghrébins du monde et de France n’ont plus peur. Ils sont déterminés à lutter de toutes leurs forces contre le racisme en sensibilisant les personnes aux stéréotypes et aux préjugés négatifs qui les ont humiliés jusqu’à la détresse psychique.
Une trame se tisse dans « la France d’en bas », consciente et responsable, guidée par de grands esprits, aux élans invincibles, d’une vivacité et d’une puissance qui vont étonner bien des barons de la politique traditionnelle. La manipulation a atteint ses limites, il ne faut jamais mépriser l’intelligence d’un peuple. Lassés ces citoyens, soutenus par leurs compagnons de combats, et sans ressentiment, ont décidé de prendre enfin la parole. Dopés par le besoin de proposer un autre narratif national, ils puisent leur force dans la prise de conscience de leur richesse, de la contribution qu’eux, leurs parents et leurs grands-parents ont apporté à la France. La peur doit changer de camp et le bien être est un droit fondamental. Clairvoyants, subtils, francs, critiques, ils imposent le débat, sans détours, fiers d’être de ce qu’ils sont, face à la France, Debout, tête, haute
Debout Tête haute !, manifeste pour répondre au racisme, Éditions du Croquant (Carton rouge).