Tribune : autopsie d’un universaliste

Mar / 30

Tribune : autopsie d’un universaliste

By / Marc Cheb Sun /

Tribune

…à Slimane Tirera, auteur de La Fin des Potes, Autopsie d’un universaliste, publié aux Editions Mindset.

 

Responsable national pour SOS Racisme et la fédération nationale des Maisons des Potes (MDP) pendant 10 ans, qu’en reste-t-il ? Quels sont nos échecs ? Nos réussites ? Finalement, ces organismes ne portaient-ils pas dès leur création les germes de leur propre perte ?

Autant de questions qui m’ont mené vers l’écriture de ce livre La fin des Potes : Autopsie d’un universaliste qui scelle la fin d’une ère au cours de laquelle nous pensions que nous avions de l’influence sur les institutions publiques et les responsables politiques en utilisant la communication et le festif. Le réel n’était pas nié, les actions en justice portaient parfois leurs fruits. Néanmoins, les moyens n’étaient pas et ne sont toujours pas à la hauteur de la « grande » mission d’intérêt général qu’est la lutte contre les discriminations et le racisme.

Dix ans à manger, dormir, penser, vivre la cause antiraciste en croyant dur comme fer à l’existence d’une troisième voie, celle de l’équilibre, de la complexité et de la raison, celle du « pour » et non du « contre » ou de l’« anti » qui sonne comme une exclusion. Je voyais en l’esprit des « Potes » la Maison commune de l’Egalité et de la Fraternité pour toutes les organisations et pour toutes les citoyennes et citoyens ; un espace pour rendre visible cette majorité silencieuse et désabusée par les guerres d’influenceurs et d’égo. Hélas, ce n’est pas ce que j’ai lu, vu et entendu ! Heureusement que les militants et bénévoles de terrain sont au-dessus de toutes ses problématiques « parisiano-centré ».

Aller du particularisme à l’universel était l’engagement que je voulais prendre concrètement, sur le terrain auprès des victimes et des militants. À la recherche d’actions et de projets à impact social positif, je me suis peu à peu confronté à mes propres contradictions et à la réalité du monde. Ces organisations m’ont permis d’aller à la recherche du « moi Slimane TIRERA » car leur positionnement sur les questions de racisme et de discrimination m’a poussé à la réflexion et au questionnement intérieur, en d’autres termes à la quête de mon chemin intérieur, de ma propre identité.

Ce livre est une ode à l’engagement citoyen sans tabou offrant une place à l’autocritique à la fois de ma personne et des structures où j’ai travaillé. Personne n’est épargné. Une remise en question nécessaire pour mieux agir et pour changer de regard sur le combat pour l’Egalité et la Fraternité universelle. Parce qu’en une dizaine d’années d’engagement antiraciste avec comme objectif de « faire de l’égalité une réalité », une autre vision s’est en effet imposée à moi, celle d’organisations morcelées, rabaissées, ségréguées, divisées en chapelles communautaires, géographiques, sociales voire en entreprise personnelle. Des organisations qui s’affrontent à coups de tribune médiatique, à coups de communication, à coups de publication sur les réseaux sociaux, à coups de labels « antiracistes authentiques », en oubliant parfois leur raison d’être.

 

« Silencer » la parole des victimes ?

C’est notamment pour ces raisons que j’ai quitté sans regret SOS et la MDP. J’avais le sentiment d’un goût inachevé, que nous étions devenus hors sol, en décalage avec le terrain, paternalistes comme un impensé « colonial » et d’invisibiliser les femmes par le mot « Pote ». Nous étions sans doute « trop », trop dans la communication au point de « silencer » la parole des victimes, trop politiques, trop conciliants avec les pouvoirs publics et les médias alors qu’ils ne jouaient pas le jeu avec nous. Surtout, nous n’étions pas assez à l’écoute de notre base, pas assez inclusifs avec les autres mouvements pour l’égalité réelle… En bref, nous étions loin de poser les bases d’une convergence du mouvement pour l’émancipation des « damnés de la Terre » comme écrivait Frantz Fanon.

Finalement, ce livre nous appelle à chercher un Concordat autour d’une « troisième Voie » pour l’égalité et la fraternité ; celle qui transcende les identités organisationnelles et « égotiques ». La question est de savoir si nous en sommes capables. Pouvons-nous nous rassembler autour d’actions et de projets communs ? Pouvons-nous soutenir les nombreuses victimes de racisme et de discriminations lors des procès et dans le suivi psychologique ? Pouvons-nous ensemble mener des campagnes de plaidoyer avec des propositions concrètes auprès des entreprises, institutions et pouvoirs politiques ? Quel est le dénominateur commun dans cette longue lutte qui n’a ni couleur, ni identité, ni religion, ni sexe, ni genre, ni étiquette ?

 

Slimane Tirera 

 

(Cover du livre : Jim Bishop / Crédit photo : ByKartWork)

Marc Cheb Sun