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Fév / 25

Sport et signes religieux : le voile pris pour cible

By / Florian Dacheux /

Mercredi 19 février, le Sénat a voté l’interdiction des signes religieux lors des compétitions sportives. Une loi discriminatoire qui cible de nouveau les femmes qui portent le voile. Les Hijabeuses et Amnesty International, entre autres, montent au créneau.

Sport et signes religieux : le voile pris pour cible

Pour beaucoup, cette loi portée par Les Républicains vise ouvertement les femmes musulmanes et la communauté musulmane dans son ensemble. « Depuis 2020, nous nous battons pour un sport inclusif et accessible à toutes. Aujourd’hui, plus que jamais, nous refusons cette injustice. Parce que cette loi n’a pas sa place en France. Et ne l’aura jamais. Nous continuerons jusqu’à ce que ce choix ne soit plus imposé. » Ce sont par ces mots qu’ont réagi les Hijabeuses sur leur compte Instagram – qui compte près de 35 000 abonnés – en réponse au vote du Sénat interdisant les signes religieux lors des compétitions sportives et les piscines municipales, du niveau amateur au professionnel (ndlr : actuellement, le port du voile est par exemple interdit en football ou en basket, alors que ce n’est pas le cas en athlétisme ou tennis). « Entre le hijab, le burkini et le sport, il faut choisir », a déclaré, non sans sarcasme, la sénatrice Eustache Brinio. 

 

Obsession

En juin pourtant, alors que le Conseil d’Etat maintenait l’interdiction du hijab en compétition de football, le rapporteur public rappelait que les joueuses de football ne sont pas soumises à un principe de neutralité et que le hijab sportif ne relève ni du prosélytisme ni de la provocation. En 2021, déjà, la ministre des Sports de l’époque, Roxana Maracineanu avait pointé « l’obsession » de la droite sénatoriale pour cette mesure. En vain. Mercredi dernier, le texte a pourtant été adopté dans une ambiance électrique, rapporte Public Sénat. « Cette proposition de loi à une visée politique qui est d’instrumentaliser la laïcité pour stigmatiser une religion », a d’abord estimé la sénatrice PS Sylvie Robert. « Je ne vous ai pas entendu parler des joueurs qui se signent avant de rentrer sur le terrain. Parce que ça ne vous gêne pas […] L’islam, c’est votre obsession », a poursuivi le sénateur écologiste, Yannick Jadot. Florilège à droite, avec en tête des conservateurs, Jacqueline Eustache-Brinio (LR) qui dit avoir « une pensée pour les femmes qui luttent tous les jours dans les quartiers car elles ne veulent pas subir cette pression islamiste ». Généralisation. Ancien du RN et de Reconquête, l’élu Marseillais Stéphane Ravier est allé encore plus loin, accusant la gauche de « participer à la course à l’échalote » avec LFI dans la conquête de l’électorat « arabo-musulman ». Ça vole toujours aussi haut. 

 

Des conséquences épouvantables

Pas de quoi inquiéter les Hijabeuses et leurs soutiens. Un peu quand même. Depuis sa création, le collectif, emmené par Founé Diawara et Anna Agueb-Porterie, n’a cessé le combat, allant jusqu’aux plus hautes instances, du Conseil d’Etat à l’Union Européenne. Pour rappel, en dehors de sa belle 5e place aux derniers Jeux de Paris, la France reste le seul pays olympique à avoir empêché ses athlètes portant un voile de concourir. « Cette interdiction faite par la France aux athlètes féminines françaises portant un couvre-chef religieux de participer aux Jeux a suscité l’indignation de la communauté internationale. À peine six mois plus tard, non seulement les autorités françaises persistent avec l’interdiction discriminatoire du couvre-chef sportif, mais elles tentent de l’étendre à tous les sports », clame Anna Błuś, spécialiste à Amnesty International de la justice de genre en Europe. Outre l’interdiction des vêtements religieux, le texte prévoit aussi l’interdiction des prières dans les installations ou terrains de sport, et l’obligation pour les éducateurs sportifs de se soumettre à des « enquêtes administratives préalables à la délivrance de la carte professionnelle d’éducateur sportif ». « Il n’existe pas de données objectives pouvant justifier des décisions qui restreignent gravement les libertés des licenciées musulmanes qui décident de porter un couvre-chef sportif. Il est donc inexact et injustifié d’affirmer que les règles qui excluent des sportives musulmanes sont nécessaires, adaptées et proportionnées au bon fonctionnement du service public », a confié à Amnesty International Haïfa Tlili, sociologue et cofondatrice de Basket Pour Toutes. L’association francilienne alerte sur les conséquences « épouvantables pour les femmes et les jeunes filles musulmanes : humiliation, stigmatisation, traumatisme, abandon du sport, rupture des liens sociaux, perte de confiance en soi, … »

 

Une législation qui alimente le racisme

Des effets dévastateurs également au plus haut niveau puisque de nombreuses équipes seraient contraintes de se passer de leurs joueuses, à l’instar de Kawtar Merzaq, 8ᵉ meilleure performeuse française de toute l’histoire dans sa discipline en athlétisme. Joueuse professionnelle de handball à Chambray-lès-Tours et autrice de Un espace de vulnérabilité partagée (Les Sportives, 2024), Melvine Deba n’ a pas hésité à prendre la plume pour relayer une pétition en ligne sur ses réseaux sociaux. Extrait : « (…) Le principe de laïcité ne doit pas se traduire par l’exclusion, mais par la neutralité de l’État. Exclure des athlètes sur la base de leur religion, c’est ignorer les valeurs d’unité, de respect et de solidarité qui sont au cœur de toute équipe. »

Selon Amnesty International, « cette législation, si elle était adoptée, alimenterait le racisme et renforcerait l’environnement de plus en plus hostile auquel sont confrontés les musulman·e·s et les personnes perçues comme telles en France. En effet, le fait de présenter le foulard comme une menace pour la sécurité ou de le pointer du doigt comme un symbole d’oppression des femmes sont au cœur des stéréotypes négatifs et discriminatoires qui touchent les femmes musulmanes en raison de leur religion. »

La loi vise l’ensemble des 120 fédérations sportives françaises et doit être encore discutée à l’Assemblée nationale. Tout cela pour un danger inexistant et le fantasme d’une « contre-société ». À la base, elles veulent juste faire du sport.

 

Fl. D.

(© crédit photo : Les Hijabeuses)

Florian Dacheux