Souleymane Diamanka, la résilience par la poésie

Mar / 29

Souleymane Diamanka, la résilience par la poésie

By / Florian Dacheux /

D’ailleurs et d’ici, Souleymane Diamanka consacre sa vie à la poésie. Trente ans après ses débuts dans le monde de la musique, il vient de publier aux Editions Points un recueil de poèmes retraçant son immense talent. Portrait d’un homme empli de sagesse et d’optimisme avec les mots comme seconde peau.

 

À l’heure des lois liberticides et d’une pandémie aux maux infinis, écouter Souleymane Diamanka ne peut que faire du bien à notre âme. Né à Dakar au Sénégal en janvier 1974 sous le nom de Duadjaabi Djeneba, ce poète contemporain a fait des mots sa raison d’être. Sa raison de vivre. Sa raison de dire. Comme pour rendre hommage aux vieux sages d’Afrique jusqu’à son dernier souffle. Ceux-là même qui pratiquent l’oralité depuis les premiers jours de l’humanité. « Je suis arrivé à Bordeaux à l’âge de 2 ans et mes parents ont toujours instauré que l’on parle peul à la maison, leur langue maternelle, confie-t-il. La poésie y est très présente. Il y a beaucoup de proverbes, de dictons. Je ne suis pas fils de griot mais mon père aimait beaucoup les mots, les contes, les veillées. Sachant que ni ma mère ni mon père ne savaient lire ou écrire, tout était oral. Ils nous faisaient écouter les cassettes des griots des villages. On a appris d’où venait notre famille, comment les Peuls sont partis de La Nubie, en passant par la vallée du Nil avant d’arriver au Sénégal. J’ai beaucoup pioché là-dedans dès mon enfance pour mon écriture. »

Le cahier, tu peux lui dire tout ce que tu veux, il t’écoutera toujours »

Cette aisance, Dominique Boudou, son instituteur en CE2 avec qui il entretient toujours une relation privilégiée, la remarque très tôt. Souleymane a 8 ans et joue déjà avec les mots, passant d’une langue à l’autre au rythme de quelques alexandrins et autres sonnets naissants. « C’est un peu comme si j’écrivais la langue française avec une énergie peule. Notre instituteur nous faisait lire à haute voix. Nous récitions du Prévert, de jolis mots. Je n’ai pas lâché l’écriture depuis. C’était mon refuge, comme un confident. Le cahier, tu peux lui dire tout ce que tu veux, il t’écoutera toujours. J’étais fasciné par le fait de pouvoir utiliser tous les mots. Il n’y a pas d’autre matière qui permet cela, à part la musique avec les notes. » La musique ne tardera pas à faire son entrée dans l’univers de Souleymane. D’un pas de danse à une punchline, l’ado baigne alors dans l’univers du hip-hop émergent en France. Nous sommes en mars 1991. Le jeune poète, membre du groupe Djangu Gandhal, est en première partie de NTM avant de représenter l’Aquitaine au Printemps de Bourges. « Le rap était le vecteur parfait pour mettre mes poèmes en musique. De là, on nous a proposé un concert, un second, puis un troisième, et je n’ai pas arrêté depuis. »

Je m’entraîne comme un sportif »

Après plusieurs collaborations avec les groupes Tribal Jam et Les Nubians, Souleymane commence à comprendre peu à peu qu’il peut vivre de ses écrits. Il se lie d’amitié avec l’artiste John Banzaï, et rejoint la capitale. Nous sommes au début des années 2000, et Souleymane entre tout naturellement dans le cercle des slameurs, de Grand Corps Malade à Rouda du Collectif 129H. De métaphores en jeux de mots, sa manière de poser fait tout de suite mouche lors d’une slam session organisée à l’Union Bar. Pour un vers dit, un verre offert. « Cela m’a plu que ce mouvement existe car, en vérité, je faisais déjà cela sans le nommer slam. Mon style a toujours été hybride. Et ce truc-là, de dire à voix haute, ça vient des contes, ma première école. » Son charisme séduit même les mondes du cinéma et de la mode. L’année 2007 marquera son entrée dans les bacs. Son premier album L’hiver peul révèle toute la sagesse de ses voix intérieures. « J’emmagasine beaucoup de choses de la vie de tous les jours, des actions que je vois, des conversations. J’ai une technique de travail quasi-journalière où je m’entraîne comme un sportif. Je ne cherche pas le thème du texte. Je m’entraîne à faire des holorimes, des rimes équivoqués, du syllabique. J’insiste sur la technique. »

Les artistes ont l’habitude d’être confinés pour créer »

A force de muscler ses mots, il rencontre sur son chemin des linguistes qui valident chacun leur tour sa technicité pleine de subtiles rebonds. Alors quand l’écrivain Alain Mabanckou, directeur de la collection Points Poésie, lui propose, il y a un peu plus d’un an, l’édition d’un recueil de poèmes dédié à l’éventail de sa plume, Souleymane ne peut qu’embrasser l’idée. Dans Habitant de nulle part, originaire de partout, en librairie depuis le 25 février dernier, il y place entres autres de nombreux inédits. « Alain, je l’ai rencontré sur le Festival Etonnants Voyageurs à Saint-Malo. C’est un génie du roman et je voyais qu’il avait un œil très respectueux sur ce que proposaient les slameurs. J’aime beaucoup notre relation, c’est un peu comme un grand-frère. J’ai beaucoup d’admiration pour ceux qui construisent des maisons avec des mots. »

Souleymane Diamanka

En librairie depuis le 25/02/21

Depuis, la crise sanitaire est passée par là. Mais c’est bien connu : les poètes se cachent pour écrire. Et Souleymane cultive son refuge depuis fort longtemps. « Disons que les artistes ont l’habitude d’être confinés pour créer. Depuis le premier confinement, j’ai énormément écrit. Quelques semaines plus tôt, j’avais investi dans mon propre studio à la maison afin de pouvoir travailler à distance. Disons qu’avec la pandémie, je travaille encore plus. Je suis encore plus créatif. L’indignation nourrit le poète. J’ai perdu énormément de proches qui m’étaient chers. Tout ce qu’il me reste, c’est ce qu’ils m’ont dit. On ne sait pas quand on part. La vie est un compte-à-rebours. Alors si on peut laisser quelque chose. »

Sans différences, il n’y a pas de complémentarité »

Face aux préjugés et aux discriminations qui ne cessent de s’amplifier, Souleymane refuse de sombrer dans le pessimisme. « J’ai toujours pensé que la différence était une richesse. Sans cela, il n’y a pas de complémentarité. Il faut juste laisser plus de place aux personnes qui parlent de complémentarité, plutôt que de donner la parole à ceux qui stigmatisent. Il sont en réalité très peu mais on les entend beaucoup. Comme dit l’adage : « un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse. » Sans vraiment le vouloir, il dégage une certaine tolérance dont le monde manque cruellement. Comme un enfant, des rêves plein les yeux. Entre poésie et résilience. « Je ne sais pas si c’est conscient car je n’ai jamais eu l’intention de donner des messages. Jean-Pierre Siméon disait que la poésie sauvera le monde. J’y crois. J’ai grandi dans un quartier avec toutes les couleurs de peau. J’ai appris à dire bonjour dans plein de langues. Etre artiste, c’est garder son âme d’enfant. Ce n’est pas être naïf de dire ça. C’est visible. Et la poésie, tu la retrouves partout, dans la musique comme dans la cuisine. J’ai confiance en la nouvelle génération. C’est eux qui nous sauveront. On croit qu’ils sont bloqués dans leur smartphone. Au contraire, ils ont une conscience qui nous fait du bien et le monde leur appartient. »

Regarder l’humanité de plus haut me facilite la vie »

Représentative de la France plurielle, cette nouvelle génération née sur le sol français semble en effet bien plus déterminée que ses aînés à comprendre les mécanismes d’un pays aux identités plurielles mais englué dans un déni profond face à sa propre histoire. A l’approche du Mois des Mémoires impulsé par la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage, et ce 20 ans après la loi Taubira portant reconnaissance de l’esclavage et de la traite comme crimes contre l’humanité, Souleymane, là encore, pose un regard différent. Célébrer notre histoire commune, oui, mais pas uniquement. « C’est super important que l’on sache ce qu’il s’est passé par exemple dans les ports de Nantes ou de Bordeaux, mais il faut ramener à la surface toutes les mémoires. Je ne crois pas qu’il faille rouvrir toutes les cicatrices, sinon elles ne cicatriseront jamais. Je suis aussi pour la mémoire des pharaons noirs, des grands poètes du Maghreb, de ce qui était beau et grand. Equilibrer entre la mémoire douloureuse et la mémoire qui fait du bien. Et pas seulement dire nous sommes issus d’un peuple qui a beaucoup souffert. Nous sommes aussi issus d’un peuple grand, du peuple de l’humanité à la lumière commune. » Une déclaration qui renvoie directement à son dernier recueil où il écrit ceci : « L’humanité ne compte qu’un seul peuple vu de tout là-haut, un seul peuple avec plusieurs langues, plusieurs cultures et plusieurs couleurs de peau. » Tel un vieux sage inébranlable, il affine sa pensée : « Regarder l’humanité de plus haut me facilite la vie. Je souhaite à l’humanité que l’on puisse se regarder au-delà de nos origines ou alors aller plus loin dans nos origines. Pas seulement deux ou trois générations en arrière. Beaucoup plus loin. Là où tous les êtres humains avaient la même couleur de peau. Là où ils étaient en train de se promener sur la terre, pour voir ce qu’il y avait derrière l’horizon. »

Si quelqu’un te parle avec des flammes, répond lui avec de l’eau »

L’horizon, il la guette désormais du côté du bassin d’Arcachon où il s’est installé avec sa compagne. Carnet de notes en main, ce nomade, passé par New-York, Copenhague et Addis-Abeba, s’enracine pour mieux soigner son inspiration. Animateur d’ateliers d’écriture et autres master class, il prend le temps d’explorer de nouveaux formats, à l’instar du podcast intitulé « C’est beau ce que tu dis » à la manière d’un micro-trottoir. Sans oublier la préparation de son troisième album au côté du musicien Kenny Allen avec qui il avait enregistré le second. « Je n’ai pas de souvenirs avant que les mots prennent place dans ma vie. Mon rapport avec les mots, c’est plus qu’une passion. C’est ma vie. Cela fait partie de ma personnalité. Et le côté griotique des Peuls, je le sens directement écrit dans ma mémoire. Avec l’état d’esprit du hip-hop où l’on crée avec presque rien. » A l’aube de ses 50 ans, il se cache toujours pour écrire. Tel un papillon en papier, il vole vers le vœux exaucé de Djénéba, sa maman, qui lui dit depuis tout petit : « si quelqu’un te parle avec des flammes, répond lui avec de l’eau ». Avant de lui dire je t’aime. MbooDo yiDma pour l’éternité.

 

Florian Dacheux

 

Pour commander l’ouvrage sur Editions Points :
Habitant de nulle part, originaire de partout, Souleymane Diamanka, Nos collections – Points (editionspoints.com)

(Crédit photos : Isabelle Dohin)

Florian Dacheux