Juin / 11
Queers et fier·ère·s de Pantin à Marseille
Bien plus qu’un défilé, la Marche des Fiertés est un moment de visibilité pour toutes les personnes LGBTQIA+. Une célébration de nos pluralités. Un événement de plus en plus enclin à faire émerger une convergence des luttes et à visibiliser les queers racisés, de Pantin à Marseille en passant par Lyon et Nantes.
Alors qu’une nouvelle édition de la pride des banlieues (née à Saint-Denis en 2019) s’est déroulée le 7 juin à La Courneuve, rappelant que les quartiers populaires sont aussi traversées par des histoires queer qui méritent d’être racontées, visibles et célébrées (on en parle dans 100% Inclusif actuellement en librairie chez Multikulti Editions), une autre ville d’Ile-de-France commence à se distinguer sur le sujet. Il s’agit de Pantin dont le magazine municipal, Canal, a dédié sa Une de juin au Mois des Fiertés, chose rare dans l’hexagone. Un dossier spécial intitulé « Pantin l’été de toutes les égalités » révèle une programmation très dense, dont une grande première : l’organisation le 22 juin de la première Course des fiertés d’Inter-LGBT. « Le sport est fédérateur mais il demeure une activité où s’expriment régulièrement les LGBTphobies, explique Clément Puygrenier, délégué Semaine des fiertés d’Inter-LGBT, à Canal. Nous avons choisi Pantin pour cette course inclusive et ouverte à tous car nous souhaitons fédérer dans toute la région et nous savons que la ville est culturellement engagée à nos côtés. » Selon l’association locale Les Dramagouines, « c’est important d’être présentes dans une ville populaire où il existe de nombreuses intersectionnalités à explorer face à des discriminations qui s’accumulent. »
Outre la Cité fertile où viennent de se dérouler le festival des Dramagouines, la Boum de Queer Pantin et le premier festival contre la sérophobie, la ville fourmille de lieux où la culture LGBTQIA+ s’expose avec fierté, à l’instar des cabarets drag chez Olympe, ou encore de la présence du FC Contre-Attaque, une équipe de foot queer transféministe. « Ce qui ne se voit pas n’existe pas, confirme à Canal Jean-Luc Romero-Michel, adjoint à la Maire de Paris en charge de la lutte contre les discriminations. Quand un maire et des élus s’engagent, comme à Pantin, dans la lutte contre les LGBTphobies, les citoyens le remarquent, le message porte davantage, et cela aide les associations dans le travail de visibilité qu’elles mènent tous les jours sur le terrain. C’est essentiel en banlieue où certaines familles ont du mal à accepter l’orientation sexuelle de leur enfant. » Alors que l’hôtel de ville s’est paré des couleurs arc-en-ciel, la ville travaille à « l’ouverture d’une Maison des fiertés », affirme Hawa Touré, conseillère municipale déléguée à l’égalité femmes-hommes et à la lutte contre les discriminations.
Malgré l’engouement, polémique à Paris
À Paris, la marche des fiertés aura lieu le 28 juin dès 13h30 au départ du métro Palais-Royal – Musée du Louvre, direction la place de la Nation. À l’occasion de ses 25 ans, l’Inter-LGBT organise pour la première fois une semaine entière de fiertés en amont de la marche. Du 21 au 28 juin, une série d’événements militants, festifs et culturels prendra ainsi la rue, les scènes et les écrans. Malgré l’engouement, l’affiche de la marche du 28 juin fait polémique. Son mot d’ordre : « Contre l’Internationale réactionnaire / Queers de tous les pays, unissons-nous ». En cause : son message politique. On y voit six personnages colorés (une personne trans, un militant d’Act Up, une femme portant un pin’s aux couleurs de la Palestine, une femme voilée, etc.), unis devant un homme en noir et blanc, qui arbore une croix celtique dans le cou (un symbole suprémaciste), qui semble avoir été mis K.-O. par un manifestant le tenant par la cravate. Valérie Pécresse, présidente LR d’Île-de-France et ancienne opposante au mariage pour tous, a ainsi dénoncé sur X une affiche incitant « à la violence avec son cadavre renversé » et annoncé avoir demandé le « retrait » du logo de la Région et sa subvention. Du côté de l’InterLGBT, on plaide l’erreur d’interprétation, rappelant que des prides sont menacées d’interdiction en Hongrie et Bulgarie. Le groupe Beit Haverim, qui rassemble des LGBTQ + juifs, a reproché « l’inclusion » des « couleurs du drapeau palestinien » et dénoncé « une instrumentalisation politique qui engage l’ensemble des structures sans leur consentement explicite ». L’association FLAG !, créée par des policiers et fonctionnaires de justice LGBTQ+, a demandé le « retrait immédiat » de l’affiche. De son côté, Jean-Luc Romero-Michel a exprimé sur X que « Paris ne cautionne évidemment pas cette affiche, mais est plus que jamais aux côtés des associations organisatrices de la Marche parisienne au moment où les attaques LGBTQIAphobes explosent partout ». Dimanche dernier, dans un communiqué, l’association SOS Homophobie a jugé inacceptable « le déferlement de haine orchestré par la droite et l’extrême droite contre la Marche de Paris » avant de poursuivre : « Le harcèlement et les menaces dont sont victimes les bénévoles de l’Inter-LGBT sont intolérables. Les « sanctions » financières par coupe des budgets annoncés représentent un danger. Ces subventions devaient servir majoritairement à la sécurité de la Marche. »
À Lyon, la marche, organisée par le Collectif Fiertés en Lutte (CFL), aura lieu à partir de 13h place Jean Macé ce samedi 14 juin. « Nous ne pouvons rester passives face aux dérives fascisantes partout dans le monde, affirme le CFL de Lyon sur ses réseaux sociaux. Nous devons faire entendre notre voix face à des sociétés qui nous retirent nos droits et qui cherchent activement à empêcher nos existences ». Après 4 km de déambulation, le cortège rejoindra le parc de la Tête d’or vers 16h30. À l’arrivée, les manifestants pourront rencontrer 27 associations et collectifs au village des fiertés.
Intersectionnalité
À Nantes, la marche, organisée par l’association Nosig, se tiendra samedi 14 juin, le tout sous un mot d’ordre fort : « Toutes nos couleurs et origines brillent contre l’obscurantisme. Période sombre, fiertés lumineuses. » Près de 20 000 personnes sont attendues pour cette édition qui entend visibiliser les personnes LGBT racisées (non blanches), victimes de racisme, y compris au sein de leur communauté. « L’intersectionnalité est au cœur de nos combats, explique Nosig dans un communiqué. Aucun combat ne peut être pertinent sans une convergence des luttes. Étant un centre LGBTQIA+ nous sommes de par qui nous nous sommes à l’intersection de plusieurs discriminations : LGTQIAphobie, sexisme, racisme, validisme, agisme, grossophobie et bien d’autres. Cela fait 4 ans que nous avons débuté un travail sur les biais racistes de Nosig. En partant du constat que nous n’arrivons pas à intégrer des personnes racisé.es aux seins de nos instances. (…) Les espaces queer, majoritairement blancs, peuvent véhiculer une injonction à sortir du placard et à la visibilité, souvent en inadéquation avec les besoins des personnes queer racisées. Nous savons qu’il nous reste beaucoup de travail et que le chemin sera long. » Pour ce faire, des initiatives locales vont dans ce sens, notamment à travers les événements organisés par le bar queer afro-carribéen La Licorne Noire, les associations la Ballroom Scene Nantes et La Punani. Une ligne directrice qui rappelle celle prônée le 5 juin à Roubaix où une première Pride a été organisée pour « rendre visible les queers des quartiers populaires ». Le 7 juin, des élans vers une convergence des luttes ont également été observé du côté de Bordeaux, Toulouse, Rennes ou encore Avignon. Un éveil qui prouve que les mouvements féministes et LGBT sont indissociables de la lutte contre le racisme.
Du côté de Montpellier, la ville organise son premier Mois des Fiertés depuis le 17 mai en partenariat avec Le Collectif Famille.s et Fierté Montpellier Pride. Après la Family Pride des 17 et 18 mai au Domaine d’O (un festival qui s’inscrit dans une volonté de rassemblement, de sensibilisation et d’éducation autour des réalités et des discriminations vécues par les familles composées de personnes LGBT+ et leurs enfants), une marche aura lieu samedi 14 juin. Rendez-vous esplanade du Peyrou autour du village associatif, avant la Pride Night au Rockstore. La ville organise par ailleurs jusqu’au 20 juin une exposition à l’Espace Montpellier Jeunesse dans l’idée de retrouver une partie de l’héritage de la communauté LGBTQIA+, ayant œuvré pendant trois décennies à faire de Montpellier et sa métropole un espace riche de ses diversités.
Connue pour être très festive, la marche marseillaise revient le 5 juillet pour une 32e édition autour du mot d’ordre « Briser la vague ». La marche s’élancera dès 16h du boulevard Longchamp pour converger vers le Quai de la Fraternité (Vieux Port) jusqu’à 18h30. Le traditionnel goûter partagé des enfants de l’Association des Parents Gay et Lesbiens se déroulera cette année au village associatif place Bargemon, avec lecture de contes pour enfants par la Maison des Soins Transgressifs. Une minute de silence est prévue à 17h30 en souvenir des disparu·e·s, des victimes du SIDA, de la déportation dans les camps nazis, des persécutions que nos soeurs et frères subissent en Méditerranée et dans le monde et de toutes les formes de LGBTQIphobies. Enfin, un apéro aura lieu dès 18h rue du Chevalier Roze (privatisée) avant le concert de l’Eté Marseillais au Vieux Port et la soirée spéciale organisée à l’Espace Julien.
F.D.
© Inter-LGBT / Le Refuge / Ville de Montpellier / Ville de Pantin
Hausse du rejet des jeunes LGBTQIA+ :
Le Refuge sonne l’alerte
Pour mieux comprendre les enjeux qui frappent les jeunes LGBT+, Le Refuge et BVA dévoilent, pour la cinquième année consécutive, les résultats d’un baromètre pointant une hausse de la défiance de la société à l’égard des jeunes queers. La Fondation relève en particulier quatre données rappelant les difficultés auxquelles font face les personnes LGBT+ :
– 41% des Français·es (+4 pts) affirment qu’ils réagiraient mal si leur enfant était transgenre ;
– 22% des Français·es (+4 pts) s’opposent à ce que l’État soutienne la mise en place de dispositifs spécifiques d’accueil pour les jeunes LGBT+ rejetés par leurs parents, mission au cœur de l’activité du Refuge ;
– 23% des Français·es (+5 pts) s’opposent à une condamnation plus sévère des actes de haine anti-LGBT+, eux-mêmes en hausse de 13% en 2023 (chiffres SOS Homophobie) ;
– 59% des personnes LGBT+ estiment qu’elles ne sont pas bien intégrées dans la société française.
Ces données viennent renforcer la nécessité d’une mobilisation collective et continue pour garantir à chacun·e le droit de vivre librement et en sécurité, face à une volonté de rendre invisible les personnes LGBT+.
Grâce au soutien de la DILCRAH et en partenariat avec Têtu·, média emblématique des communautés queers, Le Refuge diffusera jusqu’à la fin du mois de juillet, un film visant à sensibiliser les Français·es aux diversités queers et à la nécessité qu’elles puissent s’exprimer librement dans l’espace public. Visible à travers les réseaux sociaux et les grandes chaînes de télévision, cette campagne sera complétée par un dispositif d’information sur le drame du rejet familial des jeunes LGBT+ par leurs parents homophobes et transphobes, accessible sur le site pride.le-refuge.org.
Des affiches tirées du film interpelleront le grand public sur l’importance de la visibilité, alors qu’ont lieu partout en France, depuis la fin du mois d’avril, les Marches des Fiertés pour les droits et la protection des personnes LGBT+, auxquelles les antennes locales du Refuge participent.
Le Refuge rappelle qu’il anime 7j/7, de 8h à minuit, une Ligne d’écoute dédiée aux jeunes LGBT+ en détresse, joignable au 06.31.59.69.50.
Face à l’urgence sociale, la Fondation Le Refuge s’est employée à doubler, en deux ans, ses capacités d’hébergement et d’accompagnement, bien qu’elle continue de faire face à de très nombreuses demandes de jeunes LGBT+ victimes de violences intrafamiliales, à travers l’ensemble du territoire.
UN PEU D’HISTOIRE…
Tout commence le 28 juin 1969, au Stonewall Inn, un bar queer de New York. Ce soir-là, une énième descente de police dégénère : lesbiennes, gays, trans, drag queens, racisé·es, travailleur·euses du sexe – toutes celles et ceux que la société voulait invisibiliser – refusent de se laisser faire. Elles et ils résistent, pendant plusieurs jours. Cette révolte spontanée marque un tournant historique. Elle enclenche un mouvement mondial de défense des droits LGBTQIA+.
Un an plus tard, des Marches de commémoration et de revendication sont organisées aux États-Unis. Le principe se répand : marcher pour ne plus jamais se taire. En France, la première marche indépendante a lieu le 25 juin 1977 à Paris, organisée par le Mouvement de libération des femmes (MLF) et le Groupe de libération homosexuelle (GLH). Elle réunit quelques centaines de personnes entre République et la place des Fêtes. Si elle reste marginale, elle marque une étape historique : c’est la première fois que des LGBTQI+ défilent dans la rue pour revendiquer leur fierté et dénoncer les discriminations.
Les années 1980 sont marquées par un double mouvement. Une visibilité grandissante des luttes LGBTQI+, portée par des collectifs comme le CUARH, les Gais pour les libertés, les Gouines rouges, ou Act Up. Et une crise sanitaire sans précédent : le VIH/sida, ignoré ou instrumentalisé par les pouvoirs publics, décime la communauté. La rue devient un espace de deuil, de mémoire, mais aussi de résistance radicale.
Mais c’est surtout en 1981 que le mouvement prend un nouveau tournant. Le 4 avril, à l’appel de plusieurs collectifs, 10 000 personnes défilent à Paris pour demander l’abrogation du « délit d’homosexualité », encore en vigueur à l’époque. Cette marche se déroule quelques semaines avant l’arrivée de la gauche au pouvoir. L’élection de François Mitterrand en mai entraîne effectivement, quelques mois plus tard, l’abrogation du fichage des homosexuel·les par la police et l’alignement de la majorité sexuelle pour les rapports entre personnes de même sexe.
Ces mobilisations des années 1970 et 1980, portées par des groupes comme le CUARH, les Gouines Rouges, le GLH, ou encore plus tard Act Up-Paris, participent à l’ancrage des Marches comme un outil central de visibilité et de revendication. Les cortèges s’élargissent, se politisent, et deviennent des lieux de mémoire – en particulier pendant la crise du sida – mais aussi des espaces de résistance collective.
C’est en 1999 que l’Inter-LGBT prend en charge l’organisation de la Marche parisienne, avec la volonté de la structurer, de renforcer ses revendications politiques et de faire le lien entre les luttes associatives et les réalités vécues par les personnes LGBTQIA+.
(SOURCES INTER-LGBT)