Fév / 05
Le 22 janvier, à l’occasion des Mercredis du Palais de la Porte Dorée (Musée National de l’Histoire de l’Immigration) à Paris, Michel Agier, ethnologue et anthropologue, est venu présenter son ouvrage Racisme et culture, Explorations transnationales, publié aux Editions du Seuil. Comprendre le racisme, le rôle de la culture ou encore l’importance des espaces publics. Tel était le sens de cette conversation de deux heures avec la journaliste Nora Hamadi et le public.
Penser le racisme et les moyens d’y résister
Dans son ouvrage réunissant ses études de terrain en Afrique du Sud, au Togo, au Brésil ou encore en Colombie, l’ethnologue et anthropologue Michel Agier tente de penser le racisme et les moyens d’y résister. Longtemps, on a pensé que faire silence sur la race permettait de la conjurer. Mais peut-on réellement lutter contre le racisme sans mener des enquêtes sur ce qu’il produit ? Pas pour Michel Agier en tout cas. Selon l’anthropologue des mobilités et du cosmopolitisme, « il est nécessaire de se confronter aux réalités sociales ». C’est pourquoi dans son ouvrage, il étudie les formes multiples que prend, ici et ailleurs, cette conception fondamentalement inégalitaire des relations humaines.
Pour Michel Agier, le racisme ne peut être réduit à une simple attitude individuelle. Il s’inscrit dans une histoire longue, marquée par la colonisation et l’organisation des sociétés autour d’une hiérarchie des races. Cette hiérarchie a justifié des politiques d’exclusion, comme celles mises en place au Brésil, aux États-Unis et en Australie aux XIXe et XXe siècles, qui favorisaient l’immigration européenne blanche tout en rejetant les populations non-blanches.
Le racisme repose sur des marqueurs visibles comme la couleur de peau, qui façonnent les perceptions et déterminent l’inclusion ou l’exclusion. Cependant, Michel Agier constate que de plus en plus, « avec des figures comme Donald Trump », cette logique de rejet ne concerne plus seulement les personnes racisées, mais s’étend à toute forme de différence perçue comme une menace.
Il évoque également sa perception sur certains concepts liés au racisme. Il distingue par exemple le « racisme d’Etat » d’un « Etat raciste ». Pour lui, « il ne s’agit pas nécessairement d’une volonté explicite des gouvernements d’instaurer un régime raciste, mais plutôt d’une absence de volonté de leur part de transformer les structures qui perpétuent les inégalités raciales ». La pratique systémique du contrôle au faciès en France « en est un bon exemple », ajoute-t-il.
Des solutions pour déconstruire le racisme
Si Michel Agier refuse un pessimisme total, il rappelle que la lutte contre le racisme passe avant tout par une remise en question des inégalités. Il estime que le racisme ne disparaîtra qu’en travaillant sur l’égalité des conditions sociales et économiques. Il ajoute que l’éducation et la pédagogie sont des outils essentiels pour déconstruire les héritages coloniaux et transformer les mentalités. Il est nécessaire selon lui d’intégrer l’histoire du racisme et de l’esclavage dans les récits nationaux, pour mieux comprendre d’où viennent les discriminations actuelles et éviter de les reproduire.
Michel Agier insiste également sur l’importance d’occuper les places publiques, qu’elles soient politiques, culturelles ou rituelles, face à ces logiques d’exclusion. Selon lui, les performances de comédiens, rappeurs ou encore poètes permettent d’exprimer d’autres récits et de bousculer les représentations dominantes du monde social. Il raconte une de ces fois où l’espace public bousculait les représentations habituelles. Durant une de ses études de terrain au Brésil, des jeunes femmes noires ont décidé de créer un « bloc noir » dans le carnaval de Bahia, une manière d’affirmer leur identité dans un pays marqué par l’héritage esclavagiste et la politique d’aryanisation. Ces performances collectives permettent de contester le racisme et d’inventer de nouvelles formes de visibilité. Il met également en avant la pièce de théâtre Carte noire nommée désir de Rebecca Chaillon, qui s’inscrit dans cette même logique. Cette pièce renverse les codes du regard colonial, en mettant en scène une femme, le corps peint en blanc nettoyant durement le sol, ou encore en installant les femmes noires, métisses ou afro-descendantes sur des sièges plus confortables que les femmes blanches dans le public. La pièce questionne ainsi les représentations raciales et met en scène de nouveaux récits. Michel Agier voit dans ces performances un moyen de « sortir du cadre imposé par l’histoire », et de transformer les imaginaires.
Gabriel Dubreuil