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Août / 24

Métis colonial

By / akim /

Métis colonial

Lorsque l’enfant métis naît d’une histoire coloniale… Cet enfant porte en lui un colonisé, un colonisateur, un dominé, un dominant. Pour Dominique Rolland, être métis – avec cet héritage – est une situation de conflit interne quasi insoluble, si ce n’est pour des intellectuels ou des artistes. L’anthropologue est partie de ses propres racines, de son grand-père, pour questionner cette forme de métissage. Au XIXe siècle, la France conquiert la Cochinchine, puis le Tonkin. Bon nombre de militaires français s’installent en « Indochine française » pour y rester deux, trois ans. Ces hommes, jeunes, prennent une concubine. Des couples éphémères qui font des enfants… Nés hors mariage, non reconnus par un père qui repart en Europe sitôt son engagement terminé, on parle d’enfants « bâtards ». Ce sont des « indigènes » comme leur mère, malgré leur « sang » français : des colonisés avec des droits restreints. Pas les mêmes écoles que les Français, ni les mêmes emplois, et sans droit de vote… On dit qu’ils héritent de toutes les tares, à la fois françaises et vietnamiennes. Mal aimés de tous, ces nombreux enfants métis finissent par constituer une catégorie sociale qui attise le racisme à son égard. Loin d’être une situation du passé, Dominique Rolland voit dans les conflits qui enflamment les banlieues, la contradiction persistante d’un autre métissage. Des Français, d’origine maghrébine ou africaine, se vivent écartelés entre deux cultures : l’une française, dominante, face à une culture d’origine qui leur est peu transmise. « Pris dans un conflit de loyauté, comme en Indochine, les individus issus d’histoires postcoloniales ont le sentiment qu’en étant fidèles à une part d’eux-mêmes, ils seraient traîtres à l’autre. Alors, le conflit entre leurs deux identités est pratiquement insoluble », conclut Dominique Rolland.

M. D. M.

 

 

Les dates 

1946 : c’est la guerre d’Indochine, territoire « inventé » par l’empire colonial en 1887.
1954 : l’indépendance, enfin.

MOI, DOMINIQUE R. 

Petite fille de métis


Elle est d’ailleurs, Dominique Rolland, et aussi d’ici. Elle a passé sa vie entre le Zaïre, le Vietnam, Madagascar et Paris, indéfectible point d’ancrage, lieu de l’éternel retour. Elle a grandi sur la Côte d’Azur auprès d’un grand-père métis, né dans l’Indochine d’alors, en 1894, d’une mère vietnamienne et d’un père français. Elle a bien connu la communauté eurasienne, les amis du grand-père, tous rapatriés en France en 1946 à l’indépendance. Elle devine, sans vraiment la comprendre, qu’une histoire lourde est passée par là, une histoire dont personne ne parlait, « parce que les métis ne se racontaient pas ». Devenue anthropologue, elle n’a cessé de partir à la rencontre des sociétés non industrialisées, découvrir des populations, recueillir des témoignages, observer. Elle s’installe plusieurs années sur le terrain « parce que c’est mon métier mais aussi parce que c’est ma vie.

 Quand on est anthropologue on ne fait pas vraiment de différence entre l’un et l’autre ». En 1988, elle devient maître de conférences à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), à Paris. Dominique Rolland cherche inlassablement à saisir quelque chose du rapport colonisé-colonisant, dominé-dominant, de l’altérité, de la double culture. Quelle n’est pas sa surprise de découvrir dans les années 90 que le mot 

métis est désormais associé à des valeurs de tolérance et d’harmonie : « Comment ce qui constituait une insulte pendant la période coloniale est-il devenu, cinquante ans plus tard, un élément de valorisation ? »
Trois années passées au Vietnam, de 2000 à 2003, lui permettent d’approfondir pleinement ces questions qui la taraudent depuis toujours : le métissage et la colonisation française en Indochine. À partir de ses recherches d’anthropologue, mais aussi de sa vie citoyenne, elle donne des cours, écrit des articles, des livres et des spectacles dans lesquels elle joue et assure la mise en scène : « Finalement, des façons de dire la même chose sous des formes différentes. »
Maricygne Di Matteo

akim