Sep / 20
Alors que Dominique Pelicot a reconnu la totalité des faits de viols sous soumission chimique pendant dix ans de sa femme Gisèle Pelicot, les autres accusés sont appelés à témoigner à la barre depuis mercredi 18 septembre. Beaucoup de points posent question, à commencer par les nombreuses tentatives de déstabilisation des avocats de la défense. Gisèle Pelicot se sent « humiliée » des soupçons de complicité à son égard. Alors, la honte a-t-elle vraiment changé de camp ? Est-ce le patriarcat qui juge ? Après trois semaines d’audience, le procès des viols de Mazan révèle au combien notre société souffre au quotidien de la toxicité du pouvoir masculin.
Masculinité toxique, quand tu nous tiens
On aurait pu croire que la honte avait bel et bien changé de camp lorsque mercredi matin, Jean-Pierre M., le disciple de Dominique Pelicot, s’est avancé à la barre, reconnaissant « des actes atroces », lui-même ayant violé sa propre épouse Sylvia en lui administrant des somnifères de 2015 à 2018, tout en la livrant à Dominique Pelicot à travers lequel il retrouvait la figure de son père incestueux. « Je veux une punition dure », a-t-il affirmé avant d’être invité par la cour criminelle de Vaucluse à décrire son enfance et les sévices opérés par son père. Le lendemain, deux autres accusés, Jacques C. et Lionel R., ont reconnu tous deux les mêmes mécanismes pervers. Ils font partie des 14 accusés, sur 51, à avoir reconnu les viols. Mais Lionel R. a ajouté ne pas avoir eu « l’intention de les commettre », parlant d’un « viol involontaire ». Une déclaration qui résume parfaitement bien la ligne de la défense. Une ligne que l’on sent venir depuis mardi 10 septembre et la petite phrase abjecte « il y a viol et viol » signée Guillaume de Palma, avocat de plusieurs accusés. Mais que dire quand le président a laissé mercredi un autre avocat de la défense demander à Gisèle Pelicot des questions humiliantes et dégradantes, après le visionnage de plusieurs photos de son intimité prises à son insu par Dominique Pelicot : « Madame ne seriez-vous simplement pas exhibitionniste et ne l’assumez pas ? ». Pendant ce temps-là, Louis Bonnet, le maire de la petite commune de Mazan déclarait sereinement à la BBC qu’ « après tout, personne n’est mort » dans un reportage diffusé le soir-même. « Si la culture du viol pouvait parler, elle prendrait la voix du maire de Mazan », a réagi aussitôt la Fondation des Femmes sur X (ex-Twitter), partageant une pétition pour une loi intégrale contre les violences sexuelles*.
Alors que l’atmosphère de ces dernières heures se crispe, Gisèle Pelicot n’a pu contenir sa colère. « J’étais dans un état de coma », rétorque la victime qui se sent « humiliée » des soupçons de complicité à son égard. « Pas une seconde, je n’ai donné mon consentement à M. Pelicot, pas plus qu’à ces hommes qui sont derrière moi. Depuis que je suis arrivée dans cette salle d’audience, je me sens humiliée. On me traite d’alcoolique. Je serais la complice de M. Pelicot. Il faut avoir un degré de patience pour supporter ce que j’ai pu entendre. (…) On se demande qui est la coupable dans cette salle d’audience. » Nombreux sont ceux qui accusent Dominique Pelicot de les avoir manipulés, se disant « sous emprise ». Une hérésie. Pour rappel, d’après les rapports de nombreux experts médicaux et de vidéos incriminantes du dossier, ces hommes « recrutés par Dominique Pelicot ne pouvaient ignorer l’état d’inconscience de sa femme lors de leur venue et pendant les relations sexuelles qu’ils lui ont imposé ». « Sur l’intégralité des vidéos, les auteurs ne pouvaient ignorer que Gisele Pelicot était inconsciente. On voit tout de suite qu’elle dort », a clarifié le directeur d’enquête. « Pas un seuls sont allés à la police pour dénoncer ce qu’il se passait, pour dire que c’était illégal », ont répliqué les associations féministes qui manifestent sans relâche depuis le début du procès (ndlr : des groupes de soutien à la plaignante qualifiées de « pseudos féministes avec des banderoles » par l’avocate Isabelle Crépin-Dehaene qui assure la défense de deux accusés). Pour rappel, encore, Dominique Pelicot a assumé mardi être « un violeur comme tous ceux qui sont cette salle », ajoutant : « Je ne leur ai pas mis de menottes pour qu’ils viennent ».
Le procès se poursuit dans une ambiance électrique. Outre quelques doigts d’honneurs qu’adressent certains accusés à des journalistes, une échauffourée a eu lieu mercredi soir, à la sortie du tribunal. Alors qu’une militante féministe s’adressait aux accusés en criant « la honte », l’un d’entre eux, qui comparait libre, lui a répondu, en présence d’une trentaine de personnes : « continue et je vais violer ta mère », a-t-on pu entendre dans une vidéo filmée par le photojournaliste Frédéric Munsch et largement relayée sur les réseaux sociaux. Une avocate de la défense ricane. La photojournaliste Anna Margueritat, qui documente le procès sur Instagram, lui indique qu’il s’agit d‘une menace de viol. Ce à quoi elle répond : « oui enfin elle l’a un peu cherché ». Jeudi soir, c’est au tour de Frédéric Munsch de se faire insulter par un accusé rue Guillaume Puy, la première artère de l’intra-muros située en face du Palais de Justice. Au cours de l’altercation, diffusée également sur les réseaux sociaux, on ressent très clairement que l’accusé, par les mots et insultes employées, ne semble avoir aucun remord, comme une grande majorité de ses collègues qui, chaque matin, se présente au tribunal. Trente-deux hommes qui comparaissent libres et qui empruntent la même entrée que les parties civiles, les journalistes et le public. Mêlés aux autres personnes pour aller à la machine à café ou se rendre aux toilettes, on ne dirait guère qu’ils risquent tous 20 ans de réclusion criminelle. Pourquoi un tel excès de confiance de la part de ces Messieurs-tout-le-monde ? Peut-être que l’impunité dont jouissent certaines célébrités et autres Abbé Pierre y est pour quelque chose. Un excès de confiance qui révèle une fois encore cette masculinité toxique dont notre société souffre. Ce vendredi matin, une plus grande présence de la Police Nationale et des équipes de sécurité pénitentiaire s’est faite ressentir. Espérons que cette affaire créé une jurisprudence pour la prise en charge des violences sexistes et sexuelles à l’avenir. Car, non, il ne s’agit pas d’un procès hors norme. La culture du viol s’affiche devant nos yeux, ici, à Avignon.
Florian Dacheux
*Lettre ouverte de la Fondation des Femmes en faveur d’une loi intégrale contre les violences sexuelles.
Combien d’affaires faudra-t-il pour prendre les victimes au sérieux ? Combien d’affaires faudra-t-il pour que l’impunité cesse ? Parce que seules, nos voix ne suffisent pas, nous attendons de la justice qu’elle envoie un message clair à nos pères, frères, amis, oncles et cousins, professeurs, patrons, curé, imam ou rabbin, une fois pour toutes, que nos corps ne leur appartiennent pas. La culture du viol et de l’impunité doit s’arrêter.
Pour cela, un préalable est indispensable : prendre au sérieux les victimes. L’affaire Pelicot tient à un enquêteur ou une enquêtrice, qui a décidé de prendre au sérieux une photo volée sous la jupe d’une femme. De portable en ordinateur, de site internet en fichier ADN, cette affaire “anodine” pourrait mettre à jour un violeur en série, un meurtrier, et plus de 50 autres avec lui.
Par contraste, en 2020, 94% de plaintes pour viol étaient classées sans suite, un chiffre en hausse constante depuis #Metoo. Par manque de moyens souvent, aucune enquête n’est menée, le mis en cause, dont l’identité est connue dans 80% des cas, n’est pas convoqué, son portable n’est pas fouillé, les preuves ne sont pas collectées ou ne sont pas sauvegardées. Combien de Dominique Pelicot continuent d’agir en totale impunité.
Mais peut-on se satisfaire de cela sachant qu’il a fallu 10 ans pour sauver Mme Pelicot alors qu’elle alertait des médecins depuis des années ? Que les associations dénonçaient les dangers du site coco.fr depuis longtemps ? Et peut-on se satisfaire d’un procès qui, dès les premiers jours, se penche sur le passé sexuel de la victime, fait appel à des experts psychiatres maintes fois décriés et dont les avocats de la défense se jouent des ressorts de la culture du viol pour mieux humilier les victimes. Des chantiers immenses sont devant nous.
Nous savons qu’il est plus facile de s’indigner des morts et des affaires dites “exceptionnelles”. Mais prenez au sérieux les associations féministes quand elles le disent : la culture du viol est la norme. Les monstres sont normaux. Dominique Pelicot n’est atteint d’aucun trouble. Les 80 hommes qui ont violé Gisèle non plus. Une étude en 2016 de l’université de Lille démontrait que 50% des hommes pourraient user de stratagèmes rusés, plus ou moins violents, pour forcer le consentement d’une femme. 30% des hommes violeraient une femme si ils étaient certains qu’elle n’irait pas porter plainte, des chiffres en hausse lorsqu’ils consomment de l’alcool.
Pour en finir avec cette culture du viol, nous avons besoin de #Metoo. A l’instar de Gisèle Pelicot, qui a choisi un procès public, nous avons besoin de cette grande confrontation sociétale. Malgré les retours de bâtons, les manipulations médiatiques et juridiques pour faire taire les victimes et les mensonges systématiques des mis en cause, le mouvement #Metoo continue et fait désormais le procès d’une justice engluée dans une culture du viol profondément enracinée dans notre société. #Metoo nous permet d’avancer.
Il tarde d’une réponse politique à la hauteur de la révolution que nous vivons. De nombreux chantiers demandent à être ouverts. Nous demandons une loi intégrale contre les violences sexuelles, qui se pencherait sur les dysfonctionnements de nos institutions (il faudrait des enquêtes systématiques sur les mis en cause, interdire celles sur le passé sexuel de la victime, encadrer les expertises psy, récolter et conserver les preuves de soumission chimique, prendre en compte la sérialité,… ), qui donnerait un cadre et les moyens d’agir et de protéger (il faudrait élargir les ordonnances de protection aux victimes de viol, embaucher 5000 enquêteurs, financer à hauteur de 390 millions d’euros suplémentaires les associations d’aide aux victimes, rembourser le soutien psychologique, former les juges des cours criminelles départementales..), afficherait une réelle volonté de lutter contre la culture du viol dont nous sommes abreuvés (en particulier via le porno), dès le plus jeune âge. Bref, une loi intégrale pour répondre à cet enjeu immense que nous pose le procès Mazan. Une loi intégrale contre la culture du viol. Une loi intégrale pour prendre enfin au sérieux toutes les victimes.
#Metoo : Vous aussi, signez la pétition ! – Fondation des Femmes | Fondation des Femmes