Fév / 18
Fin 2024, D’ailleurs et d’ici a noué un partenariat avec le Centre d’étude et de pratique d’éducation populaire (CEPep). Créée en 2020, cette structure de proximité accompagne des collectivités et a lancé un incubateur de médias en 2024. Les 16 et 17 mai, elle organise Nouvelle Voix, le festival des médias et des cultures populaires à la Communale de Saint-Ouen. D’ailleurs et d’ici y sera.
Le CEPep : faire commun dans les quartiers populaires
Le Centre d’étude et de pratique d’éducation populaire (CEPep) : à entendre son nom pour la première fois, on penserait à un centre de recherches universitaires. Rien de tout cela, ou presque. Cette petite structure, basée à Saint-Ouen et à Marseille, fait de la formation et de l’accompagnement aux politiques publiques, a repris le projet d’un incubateur (le lab des médias et des cultures populaires) et vient même de lancer son propre média.
Mais en faisant la rencontre du fondateur de la structure, l’origine du nom ne nous paraît plus étonnante. Yazid Sayoud est un autodidacte. L’entrepreneur social a arrêté l’école au lycée. Sans bac en poche, il a réussi à atteindre un niveau BAC +5 . « J’ai dû travailler jeune, je vivais à Paris sans moyen, sans rien. Et il fallait se débrouiller. Et ma débrouille, elle a été du côté des études : j’avais soif de comprendre le monde. J’ai passé mon temps à étudier, à suivre des cours du soir », nous raconte le Parisien, âgé de 38 ans, vivant aujourd’hui à Marseille, propre sur lui, façon bobo stylé, que l’on croirait tout droit sorti d’une start-up de la French Tech. Il y a plutôt du Pierre Bourdieu en lui : « C’est en travaillant à la conscience collective et individuelle des dominés, notamment ceux dans les quartiers, des zones périurbaines et de la ruralité, qu’on peut réellement transformer la société.»
Jeune, il s’inscrit en droit à Paris-Assas, université très marquée à droite. Enchaîne des petits boulots, des études dans les relations internationales. Ses passions, ce sont « les politiques publiques et l’intérêt général. » Adulte, travaillant dans une collectivité en région parisienne, c’est la douche froide. Il occupe un haut poste, numéro 2. Un nouveau maire est élu. Il est alors mis au placard, comme une autre personne – racisée elle-aussi – de l’équipe. L’édile lui dit : « M. Sayoud, vous comprendrez bien que je ne peux pas garder quelqu’un comme vous. »
© Naida Sambo Cepep
Cette phrase, il ne l’oubliera jamais. « Plus jamais ça, plus jamais ce genre de réflexion, ce genre de situation : je ne veux plus vivre cette forme de racisme. C’était la violence de trop », confie-t-il de manière très posée, en paix avec lui-même. Même si ça bouillonne toujours en lui. « J’ai toujours la rage, la colère en moi. La colère, c’est l’un des mes carburants. » En 2018, il quitte définitivement la fonction publique. Puis on refait appel à lui pour un projet dans un quartier populaire.
Il finit par cofonder en 2020 le CEPep. C’est d’abord une structure de proximité qui accompagne des collectivités sur des problématiques liées notamment aux quartiers populaires, mais aussi dans les zones périurbaines ou rurales. Un exemple : la ville de Grigny a fait appel au CEPep pour l’accompagner dans la mise en œuvre de son projet éducatif territorial. « On travaille sur comment la municipalité, qui porte cette politique publique, peut travailler avec l’Education nationale, les acteurs associatifs, les habitants et les services de l’Etat, pour faciliter la continuité éducative. C’est-à-dire une offre de service, d’actions et de projets de qualité après l’école, avant l’école, sur la pause méridienne, durant le temps extrascolaire, pendant les vacances scolaires. »
« Nous, on est des facilitateurs, entre les institutions, les associations, les habitants, les parents, … », précise-t-il. Le CEPep organise concrètement des ateliers participatifs, des concertations, des échanges, des entretiens, « pour recueillir les attentes de tout le monde et croiser les différents points de vue, pour faire émerger des actions pertinentes ». L’éducation populaire, Yazid Sayoud y croit dur comme fer. « Dans ma conception, l’éducation populaire, c’est ce qu’on met en œuvre, à destination des habitants, des personnes les plus dominées, pour qu’ils s’émancipent, trouvent leur propre action, afin qu’ils prennent conscience de leur condition sociale, et ensuite passent à l’action », développe-t-il.
« Du coup, on ne vient pas en forme d’assistanat, mais on s’accompagne mutuellement, on apprend mutuellement. Comment on s’organise collectivement pour se conscientiser et s’émanciper ? Je me retrouve beaucoup dans la maxime : tout ce qui est fait pour nous, sans nous, est fait contre nous. ». Le cofondateur du CEPep ne croit pas du tout en la méritocratie, mais plutôt en la théorie de la capabilité : « Ce n’est pas quand tu veux, tu peux. La capabilité, c’est quand on t’ouvre à l’idée que c’est possible pour toi, qu’il existe un chemin, que tu en prennes conscience, que tu te dis que tu es capable de le faire. Certains n’ont même pas l’idée de devenir journaliste, architecte, médecin, etc. Ils se disent que c’est impossible ».
Aujourd’hui, le CEPep compte cinq personnes, ainsi que des consultants extérieurs. L’idée d’un incubateur est venue à la suite d’un travail mené avec le Medialab 93. Cette dernière structure a fermé et Yazid Sayoud a repris le flambeau à sa sauce, en incorporant l’idée d’éducation populaire et des cultures, avec une ligne directrice collective, toujours. « On ne représente pas qu’un « je », on représente un « nous » », est-il convaincu.
L’incubateur a été lancé en 2024, avec neuf projets – plus ou moins avancés – autour des médias et des cultures, comme le média By Us ou Histoires d’Afrique devenu Hida, un compte Instagram qui compte plus de 100 000 abonnés. Yazid sait s’entourer : il a fait appel au journaliste Samba Doucouré, responsable du média Africultures, qui coordonne l’incubateur. Le CEPep accompagne ces porteurs et porteuses de projets sur la viabilité économique de leurs activités. « Aujourd’hui, créer son média, ce n’est plus aussi compliqué qu’à une certaine époque, grâce aux réseaux sociaux. Mais malheureusement, il y aussi un phénomène, que la société capitaliste amène : on ne s’unit pas pour faire des choses en commun. Nous voulons combattre ces logiques individualistes et concurrentielles. Notre avenir économique, politique, c’est de s’unir et de travailler ensemble. »
Il est convaincu par un « entrepreneuriat éthique, de justice sociale ». Le CEPep est structuré en coopérative, où un investisseur extérieur ne peut pas prendre le contrôle, un statut rare dans les quartiers populaires. « On a aussi des personnalités, engagés, qui ont de l’argent, qui seraient prêts à donner. Des entrepreneurs, des sportifs, des personnes issues du milieu culturel… pour donner à ce fonds de dotation et promouvoir des médias de proximité, qui favorisent le vivre-ensemble, combattent les idées d’extrême-droite, luttent contre la désinformation et le complotisme, éduquent les gens… Si 100 personnes donnent 1000 euros, on arriverait à récolter 100 000 euros. »
Le fondateur du CEPep est déterminé. Il veut permettre à ces médias de proximité d’exister pour impacter et changer la société. Yazid ferait sienne cette phrase de Frantz Fanon : « chaque génération doit, dans une relative opacité, affronter sa mission : la remplir ou la trahir ».
Aziz Oguz