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Sep / 08

L’APPEL DE SOS MÉDITERRANÉE

By / akim /

«Sauver des vies, ça n’a pas de prix»

Après avoir mis fin à l’affrètement de l’Aquarius en décembre 2018 suite au harcèlement administratif et judiciaire à l’encontre du navire, l’association SOS Méditerranée a annoncé le 21 juillet dernier son retour en mer. À bord d’un nouveau navire, l’Ocean Viking, ses membres poursuivent leur mission de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale. Un appel à la générosité des citoyens européens est lancé à travers la campagne #BackAtSea.

Entretien avec Syphax Allek, délégué en charge de la mobilisation citoyenne en France, et Théo Leclerc, marin sauveteur engagé sur l’Aquarius.

L’association a été fondée au printemps 2015 pour faire face à l’urgence humanitaire en Méditerranée. Vous venez de vivre plusieurs mois difficiles. Où en êtes-vous ?
Les opérations avec l’Aquarius sont terminées depuis plus de sept mois. Depuis le changement du gouvernement italien, on a été déclarés persona non grata, alors qu’on travaillait jusqu’ici de concert avec les garde-côtes italiens qui sont de grands professionnels. Nous avons perdu à deux reprises notre pavillon. C’est une plaque d’immatriculation. Sans cela, on est considéré comme pirates et on peut se faire arrêter. S’en est suivi une affaire où l’on était soupçonné de trafic de déchets toxiques, alors qu’il n’y avait rien de tout ça. Nous avons été obligés de stopper les opérations. Les équipes ont bossé d’arrache-pied pour trouver un nouveau bateau qui a été préparé dans le secret en Pologne. L’Ocean Viking opère aujourd’hui en mer, a le pavillon norvégien et a réalisé sa première opération de sauvetage le 9 août (1).

 

Il semble que vous soyez au cœur d’un contentieux diplomatique qui met en lumière les failles de la politique migratoire de l’Europe…
Avec notre ancien navire l’Aquarius on a eu beaucoup de difficultés. Les choses se sont bien dégradées. Le Centre de Coordination des Secours en Mer de Rome, le MRCC, gérait la coordination des sauvetages puis ils ont décidé de le faire à Tripoli en Libye. Petit à petit on a été amené à mettre fin à l’affrêtement de l’Aquarius suite à ces difficultés , à la perte de notre pavillon et à plusieurs affaires judiciaires qui sont encore en cours. Aujourd’hui on a un nouveau navire mais ce problème de non-respect de droit maritime international (2) perdure.

«Notre pire ennemi, c’est la panique»

Est-ce que le fait d’avoir le pavillon norvégien sécurise le navire ?
Oui c’est beaucoup mieux car l’Italie aura plus de mal à faire pression, comme elle a pu le faire avec les navires marchands panaméens bloqués à l’entrée des ports italiens. Dans nos critères de recherche, c’était très important. En plus d’avoir un navire adapté au sauvetage et à la protection des personnes, on se devait de trouver un navire avec un pavillon fort. La Norvège est un pays qui a toujours respecté le droit maritime international. Nous sommes allés à la rencontre des autorités norvégiennes avant de communiquer au public notre retour en mer. Ils sont au courant qu’on existe.


Comment intervenez-vous en mer ?

À bord, il y a trois équipes : Des marins qui pilotent, une équipe de Médecins Sans Frontières qui gère la logistique, des médecins urgentistes, des sages-femmes, et une équipe de marins-sauveteurs. Chacun apporte son expérience. Il y a plein de procédures où nous devons être hyper calmes. Notre pire ennemi, c’est la panique. Chaque marin-sauveteur se relaie pour prendre des jumelles stabilisantes qui nous permettent d’avoir des cibles à 14 kms au grand maximum. Quand on intervient en mer, on ne va pas tout de suite au contact. On se place à une distance de 200 mètres. Le seul opérateur qui parle, c’est Max. Il pose la situation avec les personnes sur le radeau pour que tout se passe bien, que personne ne s’affole. Il faut que tout le monde soit hyper concentré. Quand ça commence à partir en mission catastrophe, on sort les bateaux de rafting, on jette des moyens de flottaison partout sur la zone car très peu savent nager. Nous avons des gros bacs de gilets de sauvetage. Quand il y a près de 180 personnes sur un gros bateau bouée, c’est très technique. Cela prend beaucoup de temps. Ils peuvent paniquer. Mais on suit un process bien défini avec les médecins urgentistes pour évacuer les personnes. Puis on en prend soin à bord.

 

 

En juin 2018, vous avez été retenus en mer avec 600 personnes à bord pendant dix jours, ballotés d’un port à l’autre, après que Matteo Salvini, l’ex ministre de l’Intérieur italien, vous refuse l’accostage. Comment se déroulent les procédures avec les autorités maritimes ?
Les opérations de sauvetage se déroulent dans les eaux internationales dans la zone de recherche et de sauvetage au large des côtes libyennes et répondent aux règles maritimes internationales. Il y a plusieurs acteurs même s’il y en a de moins en moins. Quand on va sur zone, on est à plus de 50 kms des côtes, dans les eaux internationales. On doit alerter le MRCC de Rome quand nous avons des naufragés à bord. L’autre repérage, c’est l’aérien. L’ONG Sea-Watch a des pilotes volontaires qui font des repérages sur zone. Quand ils voient un navire en détresse, ils nous alertent ainsi que le MRCC. On les récupère souvent sur des bateaux épais comme des bateaux de plage gonflable de 10 mètres de long sur 4 mètres de large. Ils peuvent être jusqu’à 180, peuvent couler à tout moment. Ils n’ont pas de vivres. Celui qui pilote, on lui a dit vas tout droit. C’est pourquoi on doit intervenir le plus rapidement possible. On se doit de les ramener au port le plus proche mais on a affaire à des blocages hallucinants.

«On est arrivé à un sommet de l’horreur.»

Si vous n’êtes pas en mer, qui sauvent ces gens ?
Pas grand monde car Matteo Salvini nous a criminalisé depuis mai-juin 2018. On est arrivé à un sommet de l’horreur. Quand un bateau est en train de couler, ils veulent que ce soient les Libyens qui les récupèrent. Ce ne sont pas des sauveteurs, ce sont des garde-côtes libyens qui viennent avec des bateaux très hauts sur l’eau. Ils se mettent côte à côte. Ils récupèrent tout le monde manu militari avec la kalachnikov. Si quelqu’un tombe à l’eau, tout le monde s’en fout. Les navires marchands peuvent assister une mission de sauvetage si ça ne les met pas en insécurité. Mais avec cette criminalisation des ONG, ces navires marchands sont beaucoup moins tentés à le faire car ils peuvent se retrouver bloqués comme nous à l’entrée des ports. Il y a beaucoup moins d’acteurs sur les zones. Cela fait que des personnes meurent. Le taux de mortalité explose depuis le début de l’année. La Libye est toujours un pays en proie au chaos. Et il y a toujours autant de personnes qui partent.


Une fois les passagers débarqués sur un port, que savez-vous de la suite ?

On considère qu’on est un maillon de cette chaîne du sauvetage. Une fois qu’on a débarqué, on sait que d’autres associations prennent le relais. Nos antennes et nos bénévoles en France nous aident à intervenir aux côtés de la Cimade, de RESF, d’Amnesty International et d’autres structures qui oeuvrent pour le suivi des personnes qu’on a sauvé. Quand on arrive dans un port, les personnes qui prennent tout de suite le relais restent les services de l’Etat, la police. Ils sont immédiatement checkés, on leur prend leurs empruntes, on les photographie. Ensuite, commence un long combat pour savoir s’ils ont accès au statut de réfugié ou à l’asile. C’est encore un parcours bien difficile. Il y a encore beaucoup de souffrances dans les camps.

«Un grand mouvement permettrait de mettre la pression sur les décideurs politiques.»

Que demandez-vous à l’Union Européenne ?
Au début on travaillait main dans la main avec l’Italie mais depuis le nouveau gouvernement on est presque devenu des assassins du jour au lendemain. Quand il y a un bateau en détresse, on nous dit d’attendre les Libyens. Le problème va se régler politiquement. Ils ont les cartes en main. Au niveau de la société civile, un grand mouvement permettrait de mettre la pression sur les décideurs politiques pour qu’on s’aligne sur le droit maritime international. Ce qu’il se passe en ce moment, c’est intenable. Nous sommes nés en 2015 car il y avait un dispositif Mare Nostrum qui existait et que l’Italie gérait. Ils ont sauvé 150 000 personnes en moins d’un an (2013-2014). Ils ont arrêté ce dispositif, et c’est pourquoi plusieurs ONG comme la nôtre (Sea-Watch, Open Arms) ont vu le jour. Ce que l’on demande à l’Union Européenne, c’est de prendre ses responsabilités, faire en sorte qu’un nouveau dispositif existe, et qu’un système de débarquement en lieux sûrs et non en Libye soit mis en place. On ne peut pas accepter qu’un navire soit bloqué dix jours jusqu’à trois semaines avec une centaine de personnes à bord. Il y a un droit maritime international, il y a la Convention de Genève sur les réfugiés, il y a l’ONU qui rappelle sans cesse que ramener des personnes en Libye, ce n’est pas légal.

 

Combien coûte une journée en mer ?
Pour l’Aquarius, c’était 11 000 euros par jour. Pour l’Ocean Viking, c’est 14 000 euros par jour répartis sur la location du navire, son équipage, le fuel et l’ensemble des équipements nécessaires pour secourir et prendre en charge les rescapés. C’est une somme considérable, ce n’est pas moins de 5 millions d’euros par an. On a mis sept mois à trouver un navire adapté, avec des modules de sécurité qui permettent de mettre les personnes à l’abri, un cabinet médical qui permet de faire les premiers soins, de soigner les femmes enceintes. On a eu six naissances à bord de l’Aquarius, donc on en aura potentiellement d’autres à bord de l’Ocean Viking. C’est un navire plus récent, mieux adapté au sauvetage en mer. Sauver des vies pour nous ça n’a pas de prix. On ne lâchera jamais rien. C’est pourquoi on a besoin des citoyens. On est 500 bénévoles aujourd’hui en France. On est financé à 98% par les dons des citoyens. Sans eux, on ne sauverait pas des vies.

 

Avez-vous tenté le mécénat ?
Certains députés nous ont alloué une partie de leur enveloppe. Le président du département Loire Atlantique nous a donné la somme exceptionnelle d’1 million d’euros. Au début, on pensait que c’était une blague. On a décidé de la partager en deux avec la SNSM, les sauveteurs français qui sont bénévoles et qui ont besoin d’argent pour continuer à remplir leur mission. Nous avons eu 100 000 euros de la ville de Paris, Bordeaux Métropole nous soutient aussi. Certaines sociétés nous donnent un petit peu. Il faut bien comprendre que nous sommes financés à 98% par les dons des gens. En 2018, en France, on a reçu 4 908 000 euros de dons, dont environ 4,1 millions d’euros en provenance des particuliers et 808 000 euros du mécénat (entreprises, fonds publics, associations, fondations).

 

Comment faire pour s’engager au sein de l’association ?
On peut être bénévole dans une de nos antennes en France pour faire des actions auprès du public. Il y a les marins sauveteurs qui sont rémunérés quand ils assurent des missions à bord. On peut faire ça à plein temps ou lors de ses temps libres. Il y a deux trois compétences à avoir. Il faut parler anglais car il y a beaucoup de différentes nationalités, avoir un bagage en secourisme. Et avoir le pied marin, c’est mieux, surtout à bord d’un semi-rigide. En pleine nuit, il ne faut pas être là à se demander comment on fait le nœud. Il faut être assez marin. On peut tenter sa chance, il suffit d’avoir le bagage nécessaire et la motivation.

 

Recueilli par Florian Dacheux

1.La justice italienne a décidé le 14 août d’autoriser l’Open Arms et l’Ocean Viking à entrer dans les eaux territoriales italiennes, désavouant le ministre de l’Intérieur italien, Matteo Salvini. Près de 360 rescapés sont à bord de l’Ocean Viking tandis que le navire Open Arms se dirigeait vers Lampedusa avec 147 personnes à bord.

2. Droit maritime international : les capitaines et les Etats ont l’obligation de prêter assistance sans délai à quiconque est en détresse en mer ; secourir indépendamment de la nationalité, du statut ou des circonstances ; débarquement rapide dans un lieu sûr ; les navires de chaque Etat ont le droit de naviguer en haute mer.

 

Légende photo (Florian Dacheux) :
Syphax et Théo lors d’une matinée de sensibilisation organisée le 10 août au No Logo Festival à Fraisans dans le Jura.

 

En chiffres :
Depuis 2014, quelques 20 000 personnes sont mortes en mer en tentant de rejoindre l’Europe. D’autres ont été interceptés et refoulés en Libye où leurs droits continuent d’être bafoués. Depuis février 2016, près de 30 000 personnes ont été secourues par SOS Méditerranée.

Le sauvetage critique de la nuit du 9 au 10 juin 2018 :
Les souhaits des membres de l'équipe à bord de l'OceanViking :

Témoignage d’un jeune Malien : "Mieux vaut se noyer que d'être repris par les garde-côtes libyens"
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