Il était une fois… REINE DE PARIS

Fév / 03

Il était une fois… REINE DE PARIS

By / Marc Cheb Sun /

Reine de Paris propose une troisième exposition, Stop Social Exclusion, dans le cadre de son tryptique « contre toutes les discriminations », dédié à l’inclusion des personnes LGBTQI+ (la première exposition), puis à la France plurielle. La troisième évoque l’exclusion des personnes pauvres à la galerie Les ateliers des artistes de Belleville, 1 rue Francis Picabia, 75020. Métro Couronnes.

Il était une fois… REINE DE PARIS

Il y a ceux qui voudraient juste être comme tout le monde. Ceux qui aiment se créer un personnage le temps d’une soirée. Et il y a Reine de Paris. Elle, assume au quotidien sa différence. Quand les choix individuels bousculent les regards…

Dans le treizième arrondissement de Paris, près de la place d’Italie où elle vit, tout le monde la connaît. Enfin… l’a déjà remarquée. Certains, avec un regard interrogateur ou un sourire gêné. Qui est-elle ? Que veut-elle ? Quelle histoire cache-t-elle ? Que faut-il en penser ? Faut-il forcément en penser quelque chose ? Pour celle qui se fait appeler Reine de Paris, sa façon de s’habiller n’est ni un personnage ni une dérobade, ni même une œuvre d’art. C’est elle, « c’est tout ». Née il y a 56 ans sous un prénom – « Emmanuelle » – qu’elle déteste presqu’autant que le quartier dans lequel elle grandi – le seizième arrondissement –, elle a tôt fait de les trouver l’un et l’autre « trop bourgeois ».

Dès l’adolescence, elle souhaite marquer sa différence ; par son look, d’abord, mais aussi, « parfois », par sa manière d’être. « Je viens d’une famille atypique », explique-t-elle. Avant de se reconvertir dans la restauration, sa mère était chanteuse, son père faisait un numéro comique. Elle, était issue d’une famille ouvrière venue d’Italie et de Hongrie – « ma grand-mère maternelle était femme de ménage ». Lui, descendait de grands bourgeois levantins« ma grand-mère paternelle vivait à Constantinople » -, qui s’étaient « frottés à la noblesse » et comptaient dans leurs rangs un consul, un directeur d’usine et même un peintre, Constantin Guys, « ami de Baudelaire ».

« Des gens comme moi, il n’y en a presque plus. On trouve des drag queens en soirée (...) Moi, je ne pourrai jamais sortir autrement ! »

Back in the days…

Sur le pas de sa porte, son paillasson annonce la couleur : « Appartement royal ». Sur les placards de sa cuisine, des fleurs de lys filent la métaphore. Sur le tapis du salon, des fleurs de lys, encore. Assise devant une tasse de thé, de rose vêtue et maquillée, elle continue de se raconter : l’ouverture du Palace, alors qu’elle n’a que quatorze ans, les premières soirées, la musique punk à fond dans les rues du seizième, les tenues « extravagantes » signées par de jeunes créateurs…

L’heure est à l’exubérance : François Mitterrand est passé au pouvoir, les radios libres fleurissent, un vent de fraîcheur souffle sur la France. La jeune femme suit son inspiration, adopte des looks bicolores, dresse ses cheveux sur sa tête, y plante tout un tas de baguettes. Elle participe à des défilés, figure dans le mythique clip Marcia Baila des Rita Mitsouko, se frotte au monde du show-biz, donne naissance à des jumelles. Avec son compagnon d’alors, le sculpteur Philippe Berson, elle fonde au début des années 90 une galerie d’art associative nommée la Vache Multicolore. Le python royal qui se balade dans leur appartement de Barbès donne des sueurs froides aux visiteurs – des serpents, aujourd’hui, elle en a encore six, qu’elle aime à observer et toucher.

« Des gens comme moi, il n’y en a presque plus, estime-t-elle. On trouve des drag queens en soirée », mais elle, c’est au grand jour, sur les trottoirs de son quartier et les allées de son supermarché, qu’elle assume son style. Sa normalité à elle. « Je ne pourrai jamais sortir autrement ! assume-t-elle. C’est comme ça, ça me plaît. » Les regards curieux ou goguenards, elle s’en fiche, dit-elle. « Quand on me fait une remarque désobligeante, je réplique : Avant de critiquer, regardez-vous dans une glace. Après, on en reparle ! »

Pour autant, elle a choisi une activité professionnelle – « du secrétariat, de la conciergerie immobilière » – qu’elle peut exercer loin du regard des autres. Bien sûr, tout le monde n’est pas critique : parfois, on la prend en photo, on lui demande pourquoi elle s’habille comme ça, si c’est religieux ou combien de temps ça lui prend… « J’attire des gens différents, convient-elle. Des bipolaires, des personnes malades ou faisant partie d’une minorité. Je suis sensible à la souffrance. Même si ma différence à moi, je l’ai choisie, il m’arrive de subir une forme de discrimination. » Deux médecins, par exemple, ont refusé de la soigner.

« On m’appelait déjà Reine… »

Il y a des silences, des ellipses qui ne trompent personne. La vie de Reine de Paris a des gouffres dans lesquels elle ne souhaite pas replonger, des démons qu’elle ne souhaite plus affronter, des douleurs qu’elle ne veut plus ressasser. Elle poursuit son histoire : au début des années 2000, son nouveau compagnon – entre temps, la Vache Multicolore a mis la clé sous la porte et le père de ses filles est parti vivre à Palerme – lui susurre l’idée de porter une couronne. « On m’appelait déjà Reine », précise-t-elle – un surnom donné par un ami à elle. « Mon compagnon m’a dit : “les gens auront plus de respect.” Et c’est vrai. » Ils trouvent un joaillier, mais la parure n’est pas donnée. Elle patiente. En 2007, une première couronne rejoint sa garde-robe. « J’avais déjà remplacé les robes de créateurs, trop onéreuses, par des saris de couleur », précise-t-elle. De longues pièces d’étoffe qu’elle glane du côté de la rue du Faubourg Saint-Denis, dans le quartier indien du Paris. « Aujourd’hui, sourit-elle, j’en ai une centaine ! »

Dans la pièce qui lui sert de boudoir, trônent désormais onze couronnes serties de pierres. Des violettes, des roses, des bleues… A côté, un tas de sacs assortis. Et des tiroirs entiers de bijoux, « classés par couleur, toujours, comme mes bas et mes sous-vêtements ! » s’amuse-t-elle. Là, chaque matin, devant un petit miroir, Reine de Paris prend vie. « Chaque soir, avant de me coucher, je définis quels seront le sari, la pochette et les piercings du lendemain, détaille-t-elle. Tous les jours, une couleur différente. » Et une heure de préparation pour devenir celle que les enfants traitent parfois de « fée »…

« Même si je ne le fais pas pour ça, j’aime attirer l’attention. Et tant qu’à susciter des réactions, autant que ma tenue me ramène un certaine notoriété. »

Et que ferait-elle, voyons, si elle avait une baguette magique ? Devenir une icône, peut-être. Le peintre Arnaud Kern lui a déjà consacré une série de tableaux. Pour ses expositions, des artistes ont été priés de créer une œuvre autour d’elle. « Même si je ne le fais pas pour ça, j’aime attirer l’attention, admet-elle. Et tant qu’à susciter des réactions, autant que ma tenue me ramène un certaine notoriété, voire un confort financier ! Je prie tous les jours pour ça. »

Car Reine de Paris est bouddhiste. Bouddhiste depuis le jour où, à la soirée d’anniversaire d’une connaissance, elle a senti sur elle des regards différents. « C’était il y a dix ans, relate-t-elle. C’était très bizarre, les invités de cette fête ne me regardaient pas d’un œil interrogateur ou curieux. J’avais l’impression d’être comme tout le monde. C’était même déstabilisant ! Je m’en suis ouverte à mon hôte. Elle m’a dit : “C’est normal, ils sont bouddhistes”. Elle m’a proposé d’assister à l’une de leurs réunions. » Elle y découvre un bouddhisme inspiré d’un moine japonais du treizième siècle : Nichiren Daishonin. « Chaque pratiquant prie devant un parchemin sacré qui représente sa vie, explique-t-elle. Ce qui m’a intéressée, c’est qu’il ne s’agit pas de suivre un code de conduite dicté par l’extérieur, ni d’attendre l’intervention de Dieu. Tout part de soi, de sa responsabilité individuelle. Par la répétition d’une prière, on ancre une intention. »

En 2011, face à une avalanche d’ennuis – perte de son logement et de son emploi, précarité financière, séparation d’avec son compagnon -, la pratique lui a permis, estime-t-elle, de transcender les difficultés. « Cela m’apporte une sérénité et une détermination encore plus grande, ajoute-t-elle, car malgré ma tenue et tout ça, je n’avais peut-être pas assez confiance en moi… »

 

Et puis Reine de Paris a rejoint une autre communauté dans laquelle elle ne se sent pas jugée : le parti EELV. « J’ai toujours été de gauche mais n’avais jamais milité pour aucun parti. J’ai une fibre sociale, j’ai envie que tout le monde soit heureux, et d’aider les autres à transcender leurs difficultés.  »

 

Réjane Éreau

 

Photo 1: Philippe Berson

photo 2 : Alexandra Yonnet

Photo 3 : Philippe Berson

Tout le programme en ligne sur www.reinedeparis.com

Création : Bonbon CM

Marc Cheb Sun