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Oct / 22

Histoire coloniale : les écoles Lamoricière débaptisées

By / La Rédaction /

« Ce n’est pas aux enfants de porter le poids de notre lâcheté collective vis-à-vis de notre passé colonial », martèle depuis plusieurs mois Emmanuelle Pierre-Marie, la maire du XIIᵉ arrondissement.

Cinq mois après le vote d’une délibération en conseil d’arrondissement du 20 mai, les deux écoles de l’avenue Lamoricière sont devenus officiellement les Écoles Léonie Wanner et Robert-Jean Longuet, deux journalistes, défenseur·es des droits humains et militant·es décoloniaux. À travers ces nouveaux noms, le XIIᵉ arrondissement choisit de célébrer des parcours et des valeurs d’engagement et d’humanité, plutôt que de perpétuer la mémoire d’un général sanguinaire de la période coloniale.

Histoire coloniale : les écoles Lamoricière débaptisées

La date de la cérémonie de dénomination n’a pas été choisie par hasard. Un 17 octobre. En hommage aux victimes du Massacre du 17 octobre 1961, quand des centaines d’Algériennes et d’Algériens manifestant pacifiquement à Paris ont été tués par la police, dont certain·es par noyade après avoir été jeté·es dans la Seine, rappelant jusqu’à la fin la brutalité du système colonial.

 

La cérémonie a eu lieu notamment en présence des directrice et directeur des deux écoles, leurs élèves ainsi que leurs parents, mais aussi du journaliste et écrivain Jean-Michel Aphatie qui porte la question de « l’héritage » du général Lamoricière dans le débat public depuis plusieurs années. Ce changement de nom est le fruit d’échanges et d’un travail de concertation de deux ans menées par la Mairie du XIIe et la Ville de Paris avec l’équipe pédagogique, les élèves et les parents d’élèves des deux écoles. « Deux années d’échanges pour s’accorder sur la nécessité de changer le nom des deux écoles et pour trouver ensemble deux noms qui correspondent davantage à ce qu’est la France en 2025 : une France lucide sur son passé et tournée vers l’avenir », a déclaré la maire écologiste Emmanuelle Pierre-Marie, avant de poursuivre à propos de Lamoricière : « N’est-ce pas faire porter à des enfants le poids de notre lâcheté collective vis-à-vis de notre passé colonial ? Une école ne peut avoir pour nom celui d’un général sanguinaire. »

 

À la tête des troupes françaises durant la conquête de l’Algérie, le Général Louis Juchault de Lamoricière a en effet été un acteur majeur de notre histoire coloniale de la moitié du 19e siècle. Les exactions menées contre des populations civiles, femmes, enfants, et personnes âgées, jusqu’aux massacres par asphyxie de milliers d’Algériens et d’Algériennes réfugié·es dans des grottes commises sous son commandement, sont désormais documentées par le travail des historiennes et des historiens spécialistes de l’histoire coloniale de notre pays.

« On ne peut s’enferrer dans le déni ou le mensonge en matière de mémoire »

Pour le XIIe arrondissement de la capitale, fortement marqué par l’histoire coloniale, il s’agit d’un acte fort. Depuis l’Exposition coloniale internationale de 1931, cette partie du sud-est parisien conserve de nombreuses traces de l’histoire coloniale. À commencer par le Palais de la Porte Dorée construit pour l’occasion et qui s’appelait alors « le Musée des Colonies ». L’avenue Lamoricière située dans le quartier de la porte de Vincennes a été ouverte un an plus tard, en 1932. « Au-delà des quartiers de la Porte Dorée et de la Porte de Vincennes, c’est tout l’arrondissement qui a fait écho à l’Exposition coloniale, ajoute la maire. Des fresques de cette époque ornent encore les murs du Salon français des outre-mer de la Mairie. »

 

Selon elle, « l’actualité nous montre que la question de la colonisation – et plus particulièrement celle de l’Algérie – hante la société française comme un spectre ». « Comme un secret de famille, connu de toutes et tous, mais trop honteux pour être verbalisé. Un secret que certains refusent de regarder en face, par confort, par peur, ou par cynisme. (…) Je ne souhaite pas que la France oublie le Général Louis Juchault de Lamoricière. Au contraire. Je souhaite que tout le monde ait connaissance des actes qu’il a commis pour que l’on décide ensemble ce que l’on fait de cet héritage. On ne peut s’enferrer dans le déni ou le mensonge en matière de mémoire. Nous devons nous souvenir. Non pas pour culpabiliser mais pour avancer et construire notre histoire commune. Pour se réconcilier avec notre passé, nous ne devons pas l’oublier ni le nier. »

 

© Crédit photos : Mairie du 12e

 

Lecture des élèves le 17 octobre © Mairie de Paris XIIe

Voici les textes lus lors de la cérémonie par des enfants des deux écoles. Ces derniers racontent, avec leurs mots, qui étaient Léonie Wanner et Robert-Jean Longuet.

 

 

Léonie Wanner

Je m’appelle Léonie Wanner, mais beaucoup de personnes m’ont aussi appelée Léo. Je suis née en 1886 à Bourg-en-Bresse, dans une famille de jardiniers. J’ai grandi simplement, mais avec l’envie de comprendre le monde et de le rendre plus juste. Très jeune, j’ai eu le désir de défendre les autres, surtout les femmes, les plus pauvres et ceux qui n’avaient pas la possibilité de faire entendre leur voix. C’est pour cela que je me suis engagée dans la vie politique et dans des associations qui voulaient la paix, la liberté et l’égalité. En 1928, je suis partie vivre à Paris. Là, je me suis consacrée à l’écriture et au journalisme. J’ai écrit et dirigé des journaux pour que la voix des femmes et des peuples colonisés soit entendue. En 1934, j’ai participé à la création d’un comité qui venait en aide aux victimes de la pauvreté et de la répression en Tunisie. Avec mon ami Robert-Jean Longuet, j’ai beaucoup voyagé en Afrique du Nord où nous avons rencontré des hommes et des femmes qui se battaient pour l’indépendance de leur pays. Mon combat a toujours été le même : lutter contre la guerre, contre l’injustice et pour la liberté des peuples. J’ai cru toute ma vie que la paix et la justice ne pouvaient exister que si nous écoutions la voix de toutes et tous, et surtout des plus fragiles. Je suis morte à Paris en 1941, pendant la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, je suis très fière qu’une école du 12e arrondissement de Paris porte mon nom, à la place de celui d’un général de guerre coloniale.

 

Robert-Jean Longuet

Je m’appelle Robert-Jean Longuet. Je suis né à Paris en 1901 et j’y suis aussi mort, bien plus tard, en 1987. Je suis le fils de Jean Longuet et l’arrière-petit-fils d’un homme célèbre : Karl Marx. J’ai choisi d’être avocat et journaliste, parce que je voulais défendre les personnes qui n’avaient pas toujours la possibilité de se faire entendre. Très jeune, j’ai écrit dans plusieurs journaux pour parler de justice, de paix et de liberté. J’ai beaucoup voyagé en Afrique du Nord avec mon amie Léo Wanner où nous avons rencontré des hommes et des femmes qui se battaient contre l’injustice et la colonisation. J’ai décidé de les aider en utilisant ma plume et ma voix d’avocat. Pendant la Seconde Guerre mondiale, j’ai dû quitter la France pour aller aux États-Unis, où j’ai travaillé comme journaliste. Puis je suis revenu à Paris, où j’ai continué à écrire et à défendre des militants, notamment pendant la guerre d’Algérie. Pour moi, la justice doit être la même pour toutes et tous, sans distinction de couleur de peau, de religion ou de pays. Toute ma vie, j’ai cru que les mots pouvaient être des armes puissantes pour lutter contre l’injustice et pour construire la paix. Je suis très heureux qu’une école du 12e arrondissement de Paris porte aujourd’hui mon nom, en remplacement de celui du général Lamoricière.

https://www.palais-portedoree.fr/