Gaza : l’art comme outil de résistance

Jan / 07

Gaza : l’art comme outil de résistance

By / Zaïa Khennouf /

Plus d’un an après le début du conflit israélo-palestinien, le génocide à Gaza est avéré par plusieurs organisations internationales, comme Amnesty International. Outre la destruction de nombreux sites patrimoniaux, historiques et culturels, un ciblage délibéré d’artistes palestiniens est en cours. À Paris, à l’occasion de l’arrivée des premiers artistes de Gaza bénéficiant de résidences artistiques coordonnées par le collectif Ma’an, l’Institut du Monde Arabe a organisé une table-ronde le 13 décembre dernier. L’occasion pour ces artistes de partager leurs témoignages, leurs créations et leurs perspectives sur le rôle de l’art comme outil de résistance et comme levier de mémoire.

Gaza : l’art comme outil de résistance

Lorsqu’on se retourne pour regarder l’histoire, on réalise que, dans le travail d’archive et de récit, les artistes ont une place prépondérante. Certes, la culture n’est jamais une priorité quand une guerre fait rage, mais qui d’autre que les artistes pour s’approprier les choses, les figer dans l’image ou dans le texte, et nous offrir une vision personnelle, et nécessaire à la compréhension des évènements, de l’Histoire avec un grand H. Si le monde artistique est libre de créer en nos contrées occidentales, il n’en est pas de même dans d’autres territoires. Gaza en fait partie.

C’est dans ce contexte qu’une rencontre a été organisée le 13 décembre dernier à l’Institut du Monde Arabe à Paris. Impulsée par le collectif Ma’an, la table ronde, animée par la journaliste palestinienne Lyana Saleh, a donné la parole à 8 artistes palestiniens, tous originaires de Gaza, qui ont partagé avec le public leur vision de leur rôle en tant qu’artiste, particulièrement depuis la reprise de l’offensive israélienne du 7 octobre 2024.

Le collectif Ma’an, fondé par Marion Slitine et Charlotte Schwarzinger, s’est alors mobilisé pour venir en aide à ces artistes palestiniens afin de leur permettre de poursuivre leur travail, de le reprendre ou de le faire mûrir. Suite à une levée de fonds via Hello Asso, l’association a pu garantir l’accueil temporaire d’artistes gazaouis et de leur famille dans le cadre du programme PAUSE du Collège de France. « Ce dispositif est à ce jour la seule solution pour espérer faire sortir les artistes de GazaIl leur assure une année en France dans des conditions de vie et de travail dignes, dans le cadre de résidences artistiques, de programmes de recherche ou de programmations culturelles, en coordination avec les structures partenaires publiques et privées labélisées par le ministère de la Culture. Il leur permet d’obtenir des « Visas Artiste Talent » et d’éviter le statut de réfugié qui leur interdit de retourner chez eux, ce qu’ils ne souhaitent pas. » Si certaines structures ont ouvertement accepté de jouer le jeu d’accueillir ces talents, d’autres ont accordé une place mais désirent rester discrets, de peur de perdre des financements. Soulignons qu’à ce jour, seuls cinq de ces talentueux artistes ont pu trouver refuge en France, laissant les dix autres sélectionnés encore bloqués à Gaza. L’exposition « Ce que la Palestine apporte au monde », qui se tenait à l’Institut du Monde Arabe depuis 5 mois au moment du déclenchement de l’offensive israélienne, a été l’occasion pour le collectif Ma’an de mettre en place un comité de soutien aux artistes palestiniens.

L’art comme outil mémoriel

Pour les artistes Mahmoud Al Haj et Mohamed Abusal, l’art est une manière de présenter les choses telles qu’ils les ont vues, afin que le Gaza qu’ils ont connu ne se perde pas dans l’oubli. Mahmoud Al Haj nous confie avoir pris des photos, et prendre le temps de la réflexion avant de produire depuis ce matériau. Alors qu’il pensait voir sa maison détruite, il a réalisé des scans 3D de celle-ci. Mohamed Abusal (notamment connu pour son œuvre Metro in Gaza) veut s’inscrire dans une voie différente de ce que le journalisme ou le cinéma peut produite sur la situation à Gaza. Son but : « je veux exprimer l’invisible ».

En parallèle, les œuvres de Bayan Abu Nahla sont celles d’une artiste qui saisit les moments de vie, de guerre, et qui force le spectateur à s’y confronter. Le reste de son travail a été perdu à Gaza. Elle aspire désormais à documenter pour éviter l’oubli. De son côté, Adel Al Taweel, jeune sculpteur, travaille sur le projet « Je veux voyager avec une maison dévastée » depuis trois ans. Il y a quelques semaines, « le titre de mon projet est devenu ma propre histoire ». « L’art m’a sauvé », confie-t-il. Touchant, et forçant le respect par sa résilience, son récit est accueilli avec des applaudissements d’un public en larmes. Ce n’est que par sa pratique artistique et par ses futures créations qu’il compte poursuivre. La photographe Rehaf Al-Batniji nous a également exposés son travail passé à Gaza. « Il est difficile pour moi de regarder mes photos d’avant, les photos du Gaza d’avant ». Elle qui documentait le Gaza et sa vie normale, son travail fait désormais office d’archive. « Je me disais que mes photos seraient utilisées dans des livres d’histoire dans 50 ans, mais voilà que ce sont des archives ».

 

La destruction de la scène culturelle gazaouie

Tous les participants affirment leur tristesse à l’évocation des lieux culturels qui ont été détruits à Gaza. Avec eux, ce sont des milliers d’œuvres qui ont disparu : autant de témoignages et d’éléments de mémoire qui ne sont plus.

Peut-on imaginer, à notre tour, la perte des œuvres ne serait-ce que d’un seul musée parisien ? « Alors que les caméras s’éteignent, nous, artistes, continuons de documenter à la main », déclare Mohamed Abusal. Des humains d’une grande dignité, conscients de leur rôle et détruits dans leur chair. Des artistes qui sont dans l’action, dans la volonté de prendre leur rôle de création à cœur dans cette période difficile, même si une résidence artistique en France signifie souvent qu’ils laissent des proches derrière eux, dans un Gaza dévasté.

 

 

Zaïa Khennouf

(© photo Une : Myriam Cohintas)

Zaïa Khennouf