Juin / 02
FOOT
Sur le terrain pour dégommer les tabous
L’association est composée majoritairement de lesbiennes et de personnes trans. Les Dégommeuses luttent depuis leur création en 2012 contre les discriminations. Face au sexisme et l’homophobie, elles utilisent le football comme un vecteur de changement individuel, social et politique. Avec ou sans crampons, elles agissent.
Paris XXe. Un mercredi soir d’automne du côté de la porte de Bagnolet. Il est 19 heures. Le stade municipal Louis Lumière fait le plein de sportives et sportifs. De jeunes footballeurs rejoignent les vestiaires du terrain synthétique. Place aux Dégommeuses, fidèles au rendez-vous pour leur séance d’entraînement. Une équipe de foot et une association militante née sur fond de lutte contre les discriminations envers la communauté LGBT et transgenre. Lourd combat. « On n’est pas là par hasard, c’est sûr », affirme Cha, présente depuis le début de l’aventure, en 2012. « J’y suis entrée par l’intermédiaire d’une amie, sur le mode : « Allez viens, on va voir« , et je ne suis jamais repartie. Déjà, faire du sport deux fois par semaine, ça me fait du bien. » Arrivée aux Dégos en 2014 sur les conseils de Cha, Caroline rebondit : « À l’époque, nous étions en plein dans les débats sur le mariage pour tous, confie-t-elle. L’axe des Dégos correspondait totalement à ma volonté de me faire plaisir en pratiquant le foot dans une équipe inclusive. »
Il faut dire que les Dégommeuses ne se contentent pas de jouer au foot dans l’Est parisien. Elles agissent concrètement et régulièrement face aux discriminations. À l’heure où les femmes restent largement tenues à l’écart de certaines pratiques sportives, encore considérées comme naturellement masculines, le foot, territoire viril, macho et conservateur par excellence, n’échappe pas à cette stigmatisation, et ce, malgré la médiatisation croissante des compétitions féminines, comme celles de l’Olympique lyonnais qui performe chaque année.
Oui, les femmes qui jouent au foot dérangent. Et cela, la metteuse en scène Rébecca Chaillon, connue pour porter sur les planches des questionnements sociétaux, l’a bien compris. Sa saison et demie au sein des Dégos, entre 2016 et 2018, lui a inspiré Où la chèvre est attachée, il faut qu’elle broute, une pièce subversive sur les stéréotypes prégnants dans le milieu du ballon rond. Coachées par l’auteure, douze joueuses, réparties sur un plateau recouvert de terre, vont venir tacler l’intolérance homophobe, le temps des représentations. Une contre-attaque artistique magistrale qui fera le bonheur, entre autres, du Nouveau théâtre de Montreuil.
Arc-en-ciel
Habituées à se débrouiller dans les petits espaces qui leur sont assignés, les Dégos savent s’imposer quand il s’agit d’avoir de l’impact. Nous sommes le 7 juin 2019 au Parc des Princes, à Paris. Alors que la France reçoit la Corée du Sud pour le match d’ouverture de la Coupe du monde féminine de football, une cinquantaine de membres de l’association déploient un immense drapeau arc-en-ciel, symbole de la communauté LBGTQIA+. « Évidemment, poursuit Cha, pour la Coupe du monde, il y avait un certain engouement. Mais très honnêtement, on ne sent pas vraiment représentées par les joueuses de l’équipe de France dans notre combat. Nous sommes une équipe composée principalement de lesbiennes. Apparemment, il n’y en a pas en équipe de France, ce qui nous étonne un peu. On ne va pas balancer des noms, on n’est pas là pour ça. Mais en tout cas, on ne sent pas de côté militant chez les Bleues. »
C’est vers les États-Unis que les Dégommeuses se sont tournées pour découvrir leur porte-voix, en la personne de Megan Rapinoe. Porte-parole des championnes du monde américaines pour défendre la parité salariale en sélection, cette athlète, lesbienne proclamée et anti-Trump assumée, refuse de chanter l’hymne de son pays avant les matchs. « Rapinoe, c’est notre idole. Elle a toujours dit clairement les choses. Son équipe la met en avant. Elle nous rend fières d’être ce que l’on est. Son discours devant l’hôtel de ville de New York, on l’écoute en boucle pour se donner de la force. » Un discours poignant, en opposition au sectarisme du président des États-Unis qu’elle a toujours refusé de rencontrer. Extrait : « On a les cheveux roses et violets, on a des tatouages, des dreadlocks. On a des filles blanches, des filles noires et tout ce qu’il y a entre les deux, des filles hétéros, des filles gays. C’est un honneur absolu de mener cette équipe sur le terrain. Je n’aimerais être nulle part ailleurs, pas même dans la course à la présidence. »
Les Dégos n’ont pourtant pas attendu Rapinoe pour accueillir en leur sein les personnes trans, bisexuelles, cisgenres, précaires, réfugiées, racisées ou en situation d’exclusion familiale. Toutes sont prioritaires au moment des inscriptions. « Il n’y a ni limite d’âge, ni critère de niveau sportif », explique Véronica, secrétaire générale et cofondatrice. « Le montant de la cotisation est fixé à un prix modeste. Les personnes disposant de ressources limitées sont exonérées. L’association participe aux frais liés à la pratique du foot afin que tout le monde puisse jouer sans contrainte. » Demandeuse d’asile, Assane a intégré le groupe. Elle confirme : « Étant donné que j’aime jouer au foot et que je suis lesbienne, je me sens comme dans une famille. Elles m’ont aidée pour les équipements pour le foot. Je n’ai rien payé. Elles sont compréhensives et militent pour des causes qui, pour moi, sont importantes. »