Foot- Sur le terrain pour dégommer les tabous

Déc / 28

Foot- Sur le terrain pour dégommer les tabous

By / Florian Dacheux /

FOOT

Sur le terrain pour dégommer les tabous

L’association est composée majoritairement de lesbiennes et de personnes trans. Les Dégommeuses luttent depuis leur création en 2012 contre les discriminations. Face au sexisme et l’homophobie, elles utilisent le football comme un vecteur de changement individuel, social et politique. Avec ou sans crampons, elles agissent.

Ce mercredi soir, le stade Louis Lumière, enceinte municipale située à deux pas de la porte de Bagnolet, dans le 20e arrondissement de Paris, fait le plein de sportifs. Il est 19 heures quand de jeunes footballeurs quittent le terrain synthétique, évitant tour à tour le passage des coureurs à pied fréquentant la piste d’athlétisme attenante. Place aux Dégommeuses, fidèles au rendez-vous pour leur séance d’entraînement ! Voici sept ans que cette association est née, sur fond de lutte contre les discriminations envers la communauté LGBT et transgenre. Lourd combat. «On n’est pas là par hasard, c’est sûr, affirme Cha, présente depuis le début de l’aventure en 2012. J’y suis entrée par une amie, allez viens on va voir, et je ne suis jamais repartie. Faire du sport deux fois par semaine, ça me fait du bien. Tiens, Caro, viens parler au journaliste !» Caro, c’est Caroline, arrivée aux Dégos en 2014 sur les conseils de Cha. «Nous étions en plein dans les débats sur le mariage pour tous à l’époque, confie-t-elle. L’axe des Dégos correspondait totalement à ma volonté de me faire plaisir à pratiquer le foot dans une équipe inclusive. »

«On ne se sent pas vraiment représentées par les joueuses de l’équipe de France dans le combat que l’on mène»

Il faut dire que Les Dégommeuses ne se cantonnent pas à jouer au foot dans l’est parisien. Des actions concrètes face aux discriminations sont réalisées régulièrement à l’heure où les femmes restent largement tenues à l’écart de certaines pratiques sportives qui restent encore considérées comme naturellement masculines. Malgré la médiatisation croissante des compétitions féminines, le football demeure dans ce contexte un bon exemple. Au coeur de ce sport réputé macho et conservateur, la stigmatisation des femmes redouble dans le cas des lesbiennes et des personnes trans. Le 5 juillet dernier, alors que la Coupe du monde féminine de foot bat son plein dans l’hexagone, certains membres se sont rendus à Lyon pour participer à la fête de la Croix Rousse. A travers divers ateliers, des jeunes filles du quartier ont pu exprimer leur envie de s’amuser balle au pied. Un mois plus tôt, 50 dégommeuses avaient déployé un immense drapeau arc-en-ciel, symbole de la communauté LBGTQI, au coup d’envoi du match d’ouverture de la Coupe du monde au Parc des Princes à Paris. « Nous ne suivons pas toutes l’actualité du football, ça dépend des membres, poursuit Cha. Evidemment, pour la Coupe du monde, il y avait un certain engouement. Mais très honnêtement, on ne sent pas vraiment représentées par les joueuses de l’équipe de France dans le combat que l’on mène. Nous sommes une équipe composée principalement de lesbiennes. Apparemment, il n’y en a pas en équipe de France, ce qui nous étonne un peu. On ne va pas balancer des noms, on n’est pas là pour ça. Mais en tout cas, on ne sent pas de côté militant chez les Bleues.»

L’idole Rapinoe

C’est plutôt du côté des Etats-Unis que Les Dégommeuses ont découvert leur porte-voix, en la personne de Megan Rapinoe. Porte-parole des championnes du monde américaines pour la parité salariale en sélection, cette athlète, lesbienne proclamée et anti-Trump assumée, refuse depuis trois ans de chanter l’hymne de son pays avant les matchs. «Rapinoe, c’est notre idole. Elle a toujours dit clairement les choses. Son équipe la met en avant. Elle nous rend fières d’être ce que l’on est, à travers ses mots. Son discours devant l’hôtel de ville de New-York le 10 juillet, on l’écoute en boucle pour se donner de la force.» Un discours poignant, en opposition au président des Etats-Unis qu’elle a toujours refusé de rencontrer. Extrait : On a les cheveux roses et violets, on a des tatouages, des dreadlocks. On a des filles blanches, des filles noires et tout ce qu’il y a entre les deux, des filles hétéros, des filles gays. C’est un honneur absolu de mener cette équipe sur le terrain. Je n’aimerais être nulle part ailleurs, pas même dans la course à la présidence. 

«Quand on est avec les Dégos, même si on se prend une réflexion, on est un petit gang»

L’association veut être particulièrement sensible à la situation des minoritaires en son sein. Les personnes trans, précaires, réfugiées, racisées ou en situation d’exclusion familiale sont prioritaires au moment des inscriptions. «Il n’y a ni limite d’âge, ni critère de niveau sportif, explique Véronica, secrétaire générale et co-fondatrice. Le montant de la cotisation annuelle est fixé à un prix modeste (20€). Les personnes disposant de ressources limitées sont exonérées de la cotisation et l’association les soutient en participant à leurs frais liés à la pratique du football afin que tout le monde puisse jouer sans contrainte.» Demandeuse d’asile, Assane a intégré l’association il y a à peine deux mois. Elle confirme : «Etant donné que j’aime jouer au foot et que je suis lesbienne, je suis très contente d’être là. Je me sens comme dans une famille. Elles m’ont aidé à obtenir des équipements pour le foot. Je n’ai rien payé. Elles sont compréhensives et militent pour des causes qui pour moi sont importantes.» Le 12 octobre dernier, une équipe des Dégos était du côté de Charleville-Mézières, dans les Ardennes, à l’invitation de la librairie Chez Josette pour une discussion sur l’homophobie et le sexisme dans le foot. «Ce qui fait la différence chez nous ? C’est surtout la manière dont on a grandi l’association, estime Cha. On utilise vraiment le foot, le sport le plus pratiqué, pour parler des questions de discrimination. De plus en plus de nos actions sont aujourd’hui reprises par des clubs. Je rencontre des gens de différents milieux sociaux, de différents âges, de différentes origines que je n’aurais jamais rencontrées ailleurs. C’est une mixité hyper intéressante. Cela crée des liens hyper forts.» Une affirmation reprise par sa coéquipière Leila qui coupe son échauffement pour nous livrer ces quelques mots : «Les Dégos, c’est une famille, un endroit safe où l’on se sent bien. Comme toutes les minorités, on subit de l’agressivité, du sexisme, de l’homophobie. Mais quand on est avec les Dégos, même si on se prend une réflexion, on est un petit gang. On ne fait pas de mal mais à plusieurs on est toujours plus fort.»

Bien implanté dans le 20e arrondissement de Paris où il organise des tournois mixtes et intergénérationnels de football, ce petit gang, comme dit Leila, n’hésite pas à porter le message au-delà du réseau tissé en sept ans. C’est le cas de Julie qui revient régulièrement sur Nantes, sa ville d’origine, là même où elle a subi ses premières moqueries. «J’ai vécu la discrimination dans le sport étant toute petite. C’est important pour moi de m’engager à travers des tables rondes et des événements de sensibilisation.» Loin des attitudes conformes aux normes de genre, les Dégos sont déterminées à changer les mentalités. Qu’elles soient lesbiennes, bi, trans ou hétéros, elles font front pour gommer semaine après semaine ces vieux principes comme quoi les filles seraient condamnées au modèle traditionnel de la féminité. Cela prendra le temps qu’il faudra. Le temps que les hommes abandonnent leurs remarques hétérosexistes et déconstruisent l’idée que le football serait exclusivement un sport masculin. Le temps que d’autres disciplines et autres milieux professionnels s’y mettent aussi. Un combat loin d’être fini. Et ça tombe bien : les Dégos n’ont pas pour habitude de laisser leurs convictions au vestiaire.

 

Texte et photos :

Florian Dacheux

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Les Dégommeuses étaient présentes à la rencontre « Solidarités » organisée par D’Ailleurs & D’Ici le 7 décembre dernier au Barbès Comedy Club : Face au racisme et à l’homophobie, quels fronts communs ?

Florian Dacheux