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Juin / 30

Festival d’Avignon : des histoires pour survivre

By / Florian Dacheux /

Alors que l’islamophobie est à son comble, que le monde du spectacle vivant est à bout de souffle après de nouvelles coupes budgétaires, et que les conflits meurtriers et génocidaires de Gaza à Goma n’en finissent plus, le Festival d’Avignon se mue en un îlot d’espoir du 5 au 26 juillet. C’est en tout cas le vœu de son directeur, Tiago Rodrigues, qui a fait d’« ensemble » son maître mot pour donner la couleur de cette 79e édition. En choisissant l’arabe comme langue invitée, le Festival d’Avignon tentera à nouveau de faire entendre des voix multiples, tout en invitant le public à s’interroger sur son rapport à l’autre. Des histoires d’amour et de résistance face à l’austérité programmée. D’Ailleurs & D’Ici sera sur place.

Festival d’Avignon : des histoires pour survivre

«Nous ne racontons pas seulement des histoires pour survivre, comme Shéhérazade dans Les Mille et Une Nuits. Nous les racontons pour vivre ensemble, et apprendre à mieux le faire. » Ces mots sont ceux de Tiago Rodrigues, directeur du Festival d’Avignon depuis quatre ans. Quatre années où l’on a vu le dramaturge portugais mettre sa patte sur un Festival dont la programmation résonne de plus en plus avec les remous de notre époque. Alors que l’édition 2023 avait ouvert sur G.R.O.O.V.E., une déambulation performance signée Bintou Dembélé autour des danses marronnes (le marronnage réunit les modes de résistance et de rébellion des personnes réduites en esclavage et des populations déportées), avant une édition 2024 marquée dès son ouverture par un climat politique tendue et la mobilisation du monde de la culture pour faire barrage à l’extrême-droite lors des législatives anticipées, l’arabe est la langue invitée du In 2025 dont l’affiche bleue turquoise est inspirée de la calligraphie mauresque. En incarnant un tiers de la programmation parmi les 42 spectacles programmés dans le In, « elle va infuser le Festival », promet Tiago Rodrigues, citant le poète palestinien Mahmoud Darwich avec cette formule : « Je suis toi dans les mots », qui, ajoute-t-il, « pourrait être la devise du festival ».

« Faire confiance à la capacité qu’ont les arts de créer des espaces de débat et de commun »
chadia loueslati

La voix des femmes –  Oum Kalthoum © Chadia Loueslati

Comme le rappellent ses équipes, voici deux ans que le Festival d’Avignon choisit une langue invitée d’honneur. Cette année, l’arabe, deuxième langue la plus parlée en France et cinquième langue dans le monde, sera représentée par des spectacles et artistes venus de Tunisie, de Syrie, de Palestine, du Maroc, du Liban, d’Irak… « À la différence de l’anglais et de l’espagnol, invités lors des précédentes éditions et dont l’expansion s’est accomplie depuis l’Europe vers le reste du monde, l’arabe porte en lui d’autres mouvements, voyages et récits. Langue de lumière, de dialogue, de connaissance et de transmission, l’arabe est souvent – dans un contexte polarisé à l’extrême – pris en otage par les marchands de violence et de haine qui l’assignent à des idées de fermeture et de repli sur soi, de fondamentalisme et de choc des civilisations. L’inviter au Festival, c’est choisir de faire face à la complexité politique plutôt que l’esquiver, de faire confiance à la capacité qu’ont les arts de créer des espaces de débat et de commun. » 

 

Artiste complice de cette édition, la chorégraphe capverdienne Marlene Monteiro Freitas ouvrira le bal dès le 4 juillet dans la cour d’honneur du Palais des Papes avec son spectacle Nôt, d’après Les mille et une nuits, chef d’œuvre de la littérature arabe. La chorégraphe marocaine Bouchra Ouizguen en assurera la première partie en dirigeant 50 danseurs amateurs dans un spectacle participatif sur le parvis du palais. Autre date clé ? Le grand concert du 14 juillet, La voix des femmes, en partenariat avec l’Institut du monde arabe et le printemps de Bourges, et ce en hommage aux 50 ans de la disparition d’Oum Kalthoum. Sept artistes aux influences éclectiques tels que Camelia Jordana et Souad Massi célèbreront la légendaire diva égyptienne, sous la direction musicale de Zeid Hamdan.

 

Ali Chahrour, Wael Kaddour, Selma et Sofiane Ouissi…

Alors que le libanais Ali Chahrour sera de retour avec Quand j’ai vu la mer, une création qui met en scène des travailleuses migrantes soumises à une forme d’esclavagisme moderne, l’artiste franco-irakienne Tamara el-Saadi fera entendre la voix des enfants sacrifiés dans Taire, tandis que le metteur en scène palestinien Bashar Murkus fera vivre, avec Yes Daddy, un huis clos intime entre un vieil homme souffrant de perte de mémoire et un jeune escort. De son côté, le dramaturge syrien exilé en France, Wael Kaddour, reviendra sur l’histoire du metteur en scène soudanais Yasser Abdel-Latif, exilé à Damas en 2008. Têtes pensantes du festival Dream City à Tunis, Selma et Sofiane Ouissi déclineront leur Laaroussa Quartet, une création chorégraphique et documentaire qui explore les savoir-faire des femmes potières de Sejnane en Tunisie. Sans oublier Israel et Mohamed, né de la rencontre entre le danseur de flamenco Israël Galvan et le metteur en scène Mohamed El Khatib qui livrent, à l’ombre des figures paternelles, un dialogue de part et d’autre de la Méditerranée. Ni le spectacle Nour, de Julien Colardelle et Radhouane El Meddeb, qui invitera le public à découvrir la beauté de la langue arabe à travers une série de concerts, performances, lectures et projections dans la cour du lycée Saint-Joseph, entre poésie antéislamique, raï, maqâm originels et musique soufie.

 

La scène théâtrale européenne majeure sera bien entendu de la partie. Citons le Soulier de Satin de Paul Claudel mis en scène par Eric Ruf avec la troupe de la Comédie-Française, Le Canard sauvage d’Henrik Ibsen où Thomas Ostermeier tente de montrer à quel point une vérité absolue peut être destructrice, La Distance de Tiago Rodrigues, une pièce qui imagine notre humanité en 2077 sur fond de réchauffement climatique, mais aussi Brel où la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker et le danseur de breakdance Solal Mariotte s’emparent des chansons de l’artiste belge dans un duo intense. « Pendant un mois, pendant toute une vie, soyons libres et inventifs. Fêtons, sans jamais oublier les tragédies du passé et du présent. Fêtons, car l’avenir nous appelle. Soyons l’autre dans les mots, car c’est la plus belle façon d’être pleinement nous-même. Ensemble », conclut Tiago Rodigues. Si seulement.

 

 

Florian Dacheux

© Photos de Une : Christophe Raynaud de Lage / Mathieu Foucher

Les spectacles de la langue invitée – العروض

 

  • They Always Come Back de Bouchra Ouizguen – Maroc
  • When I Saw the Sea d’Ali Chahrour – Liban
  • Laaroussa Quartet de Selma & Sofiane Ouissi – Tunisie
  • Magec / the Desert de Radouan Mriziga – Maroc – Belgique
  • Chapitre quatre – Vive le sujet ! Tentatives – Série 1 de Wael Kadour – Syrie – France
  • Every-body-knows-what-tomorrow-brings-and-we-all-know-what-happened-yesterday de Mohamed Toukabri – Tunisie – Belgique
  • La Voix des femmes – une célébration des 50 ans de la disparition de l’Astre d’Orient Oum Kalthoum – Égypte – France
  • Nour – une célébration poétique de la langue arabe avec l’Institut du monde arabe sous la direction artistique et musicale de Julien Colardelle – France
  • TAIRE de Tamara Al Saadi – France – Irak
  • YES DADDY de Bashar Murkus & Khulood Basel – Palestine
  • NÔT de Marlene Monteiro Freitas – Cap-Vert – Portugal
  • Radio Live de Aurélie Charon – France
Mais aussi...

Soirée hommage à Gisèle Pelicot

A noter qu’une soirée d’hommage à Gisèle Pelicot, le 18 juillet au cloître des Carmes, mettra en scène des interrogatoires, des plaidoyers et des commentaires. Cette nuit de lectures (trois heures) racontera le procès des viols de Mazan qui s’est tenu de septembre à décembre dernier à Avignon. Pour ce faire, Servane Dècle et Milo Rau ont collaboré avec les avocats de la famille Pelicot, le tribunal, des experts psychologiques, des chroniqueurs judiciaires, des témoins et des associations féministes pour raconter le procès d’un système – le patriarcat.

 

Débats et lectures

Café des Idées chaque matin au Cloître Saint-Louis, autour notamment de l’autrice franco-marocaine Leïla Slimani, le journaliste libanais Nabil Wakim et l’auteur palestinien Elias Sanbar. Sans oublier les lectures organisées par France Culture à 20h dans la cour du Musée Calvet avec entre autres Ce que l’amour dit à la mort le 7 juillet (soirée consacrée à la poésie arabe avec Avec Anne Alvaro, Younès Boucif, Johanna Nizard, Lyes Salem), Femmes d’Alger dans leur appartement d’Assia Djebar le 9 juillet avec Rachida Brakni et Louise Chevillotte, mais aussi La chambre n°12 et autres nouvelles de Naguib Mahfouz avec Reda Kateb, Lou-Adriana Bouziouane et Fida Mohissen.

 

Un secteur mobilisé face aux coupes budgétaires

Suite aux nombreuses coupes budgétaires, la CGT Spectacle n’entend pas se taire. Des assemblées générales et d’autres formes de mobilisation pourraient avoir lieu en juillet. « Nous défendons avec force la nécessité d’un service public du spectacle vivant, affirme Ghislain Gauthier, secrétaire général de la CGT Spectacle. La situation est explosive et nous voulons alerter sur les risques de désengagement des collectivités dans un contexte de montée de l’extrême droite. »

Quand j’ai vu la mer © Kassim Dabaji

Nos 10 coups de cœur du Off

Le Festival Off d’Avignon, plus grand marché du spectacle vivant en France, aura lieu également du 5 au 26 juillet, avec 1724 spectacles dans 139 théâtres, et le Brésil comme invité d’honneur.

 

Francé : Lamine  Diagne et Raymond Dikoumé plongent dans les angles morts de l’histoire pour interroger ce que signifie être français aujourd’hui. Une famille à la mémoire sélective, des cartons pleins de silences…

  • Théâtre des Halles, 11h, relâche les mercredis

 

Pas assez noire : C’est l’expression du voyage intérieur de Djinda Kane entre le Sénégal et la France. Métisse franco-sénégalaise, fruit de l’union d’une mère juive ashkénaze et d’un père musulman, elle a toujours évolué à cheval entre deux mondes, deux cultures, parfois sans se sentir pleinement appartenir à l’un ou à l’autre.

  • Théâtre Les Antonins, 20h30, les lundis, jeudis et samedis

 

C’est comme ça : A travers des expériences interactives avec le public et mêlant son histoire intime, Yvan Loiseau essaye de questionner le commun, notre humanité. Il se demande pourquoi c’est aussi difficile de vivre ensemble, et comment tout pourrait être plus simple.

  • Théâtre Isle 80, 13h, relâches les mardis

 

Paradoxe : Savant mélange entre confidences personnelles sur ses origines turques et kurdes, son enfance dans une tour de banlieue jusqu’à son arrivée dans un building de la Défense, son célibat ou le racisme ambiant, Umut Köker présente Paradoxe, un spectacle qui milite pour le besoin de dépasser les apparences.

  • La Comédie d’Avignon, 21h, jours pairs

 

Kanaky 1989 : En 1988, Fani et sa sœur partent vivre en Nouvelle-Calédonie. Les violences qui secouent l’île et la mort de Jean-Marie Tjibaou sont des chocs pour les enfants qu’elles sont. Mais il faut bien retourner dans ses souvenirs d’enfance.

  • Chapelle du verbe incarné, 20h, relâche les 11 et 18 juillet

 

Chawa : Seule-en-scène puissant, drôle et bouleversant, Chawa explore l’identité juive, les racines familiales, et le poids de l’héritage avec une justesse rare.

  • Théâtre Les Antonins, 20h30, les mardis, vendredis et dimanches

 

Merou : A sa naissance, sa famille et les médecins ont décrété que Lou Trotignon serait une femme, et Lou n’est pas d’accord avec ça. Lou raconte avec humour son histoire personnelle de transition.

  • Roseaux Teinturiers, 20h30, relâche les mardis

 

Echos : Parcours hybride d’un drag King, Charlie d’Emilio en quête de soi, explorant ses relations à la famille, à l’amour, à la solitude et à la communauté́ queer.

  • Théâtre des Lila’s, 21h30

 

Camus Casares : Jean Marie Galey et Teresa Ovidio s’emparent des échanges amoureux magnifiques entre Albert Camus et Maria Casarès. Le philosophe désenchanté et la tragédienne pétrie d’humour reprennent vie devant nous, unis par leur passion, au cœur d’une Europe agitée, déjà, par les conséquences désastreuses de la guerre froide et les derniers soubresauts du colonialisme.

  • Théâtre Essaïon, 21h50, relâche les jeudis

 

Nombril : Entre danse, théâtre et concert, Nombril est une fresque contemporaine explorant avec force et poésie la complexité de l’Europe centrale. Porté par les mots de Milan Kundera, le spectacle interroge la place de l’individu dans l’histoire, la vulnérabilité de la pensée, et la persistance d’une conscience européenne en mutation.

  • Théâtre La Luna, 21h37, du 5 au 15 juillet
Florian Dacheux