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Mar / 31

Fanon, un film remarquable sur la vie d’un humaniste

By / Oguz Aziz /

Jusqu’ici, la vie de Frantz Fanon n’avait jamais été racontée par le cinéma français. Le réalisateur Jean-Claude Barny s’est attaqué à un mythe. Comme le dit si bien le rappeur Rocé, « la France a des problèmes de mémoire, elle connaît Malcom X mais pas Frantz Fanon, pas le FLN (Front de libération national algérien) ».

Fanon, un film remarquable sur la vie d’un humaniste

Né à Fort-de-France en Martinique en 1925 dans un milieu favorisé, l’intellectuel est emporté par une leucémie en 1961, alors qu’il a à peine 36 ans, un an avant l’indépendance de l’Algérie. Devenu citoyen algérien, il est enterré dans le cimetière des martyrs de la commune d’Aïn Kerma près de la frontière tunisienne. Fanon, un psychiatre qui s’est engagé au Front de libération national (FLN) algérien. Fanon, auteur de Peau noire, masques blancs (1952) puis Les Damnés de la Terre (1961) : deux œuvres capitales de la pensée antiraciste mondiale. 

 

Vaincre la peur face à l’horreur coloniale

La première prouesse de Jean-Claude Barny, et du scénariste Philippe Bernard, c’est d’avoir réussi à capter la vie de Fanon en 2h13, de s’être concentré sur l’essentiel pour raconter une histoire résolument humaniste et universelle. Ce n’est pas un biopic classique à l’américaine où on refait toute la vie de Fanon, et fort heureusement car la mission n’aurait pas été possible. 

Jean-Claude Barny a fait le choix au contraire de se concentrer sur l’arrivée de Fanon à l’hôpital psychiatrique de Blida en Algérie en 1953 jusqu’à son expulsion d’Algérie en 1957. 

Âgé de 28 ans, Frantz Fanon débarque avec sa compagne Marie-Josèphe Dublé, dit Josie Fanon dans l’Algérie coloniale, encore un département français. Le jeune médecin a déjà publié Peau noire, masques blancs

C’est un homme révolté de l’intérieur, mais d’un grand calme extérieur, maître de ses nerfs. Le film, qui nous plonge dans l’envers du décor de l’écriture des Damnés de la terre, commence par cette maxime célèbre de Fanon : « Chaque génération doit, dans une relative opacité, affronter sa mission : la remplir ou la trahir »

Le médecin a choisi sa mission : combattre le racisme et le système colonial français. « La peur ne nous mènera nulle part », dit Frantz Fanon. Vaincre la peur face à l’horreur coloniale, c’est le premier objectif du médecin, qui œuvre auprès de patients victimes des violences de la colonisation. 

Fanon est un film sur la violence et ce qu’elle fait sur les corps et les esprits, ceux des colonisés, des dominés, mais aussi sur ceux des colons et des dominants. Une violence qui détruit tout. « La révolte, est-ce qu’il y a une autre thérapie ? », se demande l’intellectuel engagé.

La révolte libère le colonisé

Le réalisateur montre également comment se noue l’histoire d’amitié entre Fanon et les Algériens qui combattent la colonisation, dont Abane Ramdane, grande figure du FLN et considéré comme l’un des architectes de la révolution algérienne. 

Joué par l’acteur Philippe Bernard, Frantz Fanon est un médecin rigoureux, qui a du mal à montrer des signes d’affection, mais charismatique, qui force l’admiration et la sympathie à aider les Algériens à combattre les injustices et les violences de la domination coloniale. 

D’autres Français le suivent dans son combat, dont les jeunes médecins de confession juive Jacques Azoulay et Alice Cherki. Ce qui rappelle la fameuse phrase de Frantz Fanon : « Quand vous entendez dire du mal des juifs, dressez l’oreille, on parle de vous »

Et surtout, sa femme Josie Fanon, qui œuvre contre le système colonial. Femme blanche, privilégiée, elle combat corps et âme la colonisation. Elle tape aussi sur la machine à écrire l’œuvre de Fanon, qui lui dicte sa pensée. 

Que faire face à cette violence coloniale ? « Partir, ça serait leur donner raison », dit l’auteur martiniquais. Mais quand la violence approche sa vie intime, Frantz Fanon se demande s’il a raison. « Si on part, on est des lâches », dit, déterminée, Josie. « Si on reste, on est des cibles », lui répond son mari. Répondre à la violence coloniale par la violence se paye aussi par le prix fort. Est-ce que le combat en vaut la peine ? Quand s’arrête la violence ? Qu’est-ce que cela produit sur les esprits ? Ces questionnements sont au cœur du film. 

Guadeloupéen, Jean-Claude Barny a toujours voulu faire un film sur le penseur martiniquais. Il a travaillé plus de 10 ans pour mener à bien ce projet. Depuis son premier long métrage Nèg Maron en 2005, en passant par Le Gang des Antillais (2016), Fanon est sans aucun doute son plus grand film.

 

Aziz Oguz

© EUROZOOM

 


  • Le 1er avril à 20h15, au cinéma Le Champo à Paris, projection suivie d’une rencontre avec Jean-Claude Barny, réalisateur, et Antoine de Baecque.
  • Le 1er avril à 20h aux Cinémas du Palais à Créteil (94), projection suivie d’un débat sur la psychiatrie, d’hier à aujourd’hui, en présence du Dr Antoine Pelissolo, médecin psychiatre et chef du service de psychiatrie à l’hôpital Henri-Mondor.
  • Le 10 avril à 20h au Cinéma Utopia à Bordeaux, avec Louise Genis-Cosserat, productrice du film, et Karfa Diallo, directeur de l’association Mémoires & Partages.
  • Le 11 avril à 20h au Cinéma L’Eldorado à Dijon, en présence de Stathis Kouvelákis, professeur de philosophie et membre de la rédaction de la revue Contretemps.
Oguz Aziz