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Mar / 15

Extrême droite : on te voit nous manipuler

By / Florian Dacheux /

Zoom sur La fabrique du mensonge, un film terriblement en lien avec l’actualité et la banalisation des idées d’extrême droite. Les similitudes avec les mécanismes utilisées par  les fascistes et xénophobes contemporains donnent le vertige. La récidive avec les années 1930 est-elle inéluctable ? Ce film nous invite en tout cas à nous élever ensemble face à la montée en puissance de l’extrême droite en France, en Europe et dans le monde.

Extrême droite : on te voit nous manipuler

Si on connaît l’atrocité du génocide commis par les Nazis en 1939-45, on en sait un peu moins sur les méthodes de manipulation. Très documenté, La Fabrique du Mensonge de Joachim Lang nous plonge dans les coulisses du IIIe Reich, en immersion au côté de Joseph Goebbels, l’éminence grise d’Hitler précurseur des fake news. En bon ministre de la Propagande, on le voit contrôler ses proches, les médias, le cinéma et le peuple à coup de slogans où l’on transforme les défaites en victoires et le mensonge en vérité. De la folie pure qui nous renvoie directement en pleine face la sombre époque que nous traversons. Une époque où la banalisation des idées d’extrêmes droite n’est même plus vu comme une menace. Pire, c’est à la mode, et les droites conversent entre elles sur les canaux Bolloré.

Cette banalisation et cette rhétorique fasciste, il en a été question pendant plus d’une heure vendredi 28 février à l’issue de la projection programmée au Cinéma Utopia d’Avignon dans le cadre de la quatrième édition du cycle On lâche rien. Ici, dans le dernier bastion à gauche du Vaucluse, terre d’extrême-droite d’Orange à Bollène en passant par le Comtat Vénaissin, Raphaël Arnault, député insoumis élu en juillet dans la 1ère circonscription, était invité à témoigner. Face à une salle acquise à sa cause où figuraient bon nombre de leaders et leadeuses d’associations locales connues pour leurs engagements respectifs sur le volet féministe ou antiraciste, les échanges étaient nourris. Au même moment, les Césars remettaient en direct sur Canal Bolloré sept trophées à Jacques Audiard pour Emilia Perez, malgré les récents tweets islamophobes et racistes de l’actrice principale Karla Sofia Gascon. « Vous savez, tout ça, c’est ce qu’on entend à l’Assemblée nationale de façon immédiate, déclare Raphaël Arnault. Quand on entend un député RN traiter une députée LFI d’antisémite, c’est d’une violence. L’antiracisme, c’est notre colonne vertébrale depuis l’héritage de Missak Manouchian (ndlr : immigré arménien et résistant communiste, fusillé en 1944 au Mont-Valérien). Tout est inversé. Le centre droit devient de plus en plus autoritaire, et se rapproche du bloc d’extrême droite. Il faut rester solide sur ses appuis. »

« Le discours anti-woke est devenu le cheval de bataille des partis de droite dans le monde entier »

Reste que le chemin est encore long. La veille, un certain Cyril Hanouna signait chez M6 et Donald Trump humiliait Volodymyr Zelensky à la Maison Blanche. Sans parler de notre ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau et sa « submersion migratoire », de Bernard Arnault, PDG du groupe LVMH, qui n’a pas hésité à sauter dans un avion pour soutenir Trump pour son investiture le 20 janvier au cours de laquelle Elon Musk, patron de X, s’est autorisé un double salut nazi, prolongement de ses appels du pied à l’antisémitisme et au suprémacisme blanc si chers aux Milei (Argentine) et autres Bolsonaro (Brésil). Pendant ce temps-là, Trump reprend la terminologie propre à l’extrême droite en parlant des migrants comme d’« animaux » et en disant qu’ils vont « contaminer le sang des Etats-Unis », tout en déclarant en bon prédateur colonial qu’il veut prendre le Groenland « d’une manière ou d’une autre ». Pire, ce dernier a posté début mars un triangle rose barré sur le réseau social Truth, un symbole nazi utilisé pour désigner plus de 10 000 déportés pour homosexualité dans les camps (ndlr : Trump a signé un décret pour bannir de l’armée américaine les personnes transgenres). Une rhétorique que s’est permis d’attaquer Claude Malhuret, sénateur centriste français, dont le discours du 4 mars a fait le tour du monde. Durant sa prise de parole, l’élu de l’Allier a comparé « Washington » à « la cour de Néron » et Elon Musk à un « bouffon sous kétamine ». Nous n’aurions pas dit mieux. « Après la victoire de Trump, le mouvement anti-woke, vu désormais comme une aubaine électorale, déferle sur le monde, analyse Ola Söderström, professeur à l’Université de Neuchâtel, pour le magazine Le Temps. Soutenu par des think tanks, comme la Heritage Foundation aux Etats-Unis, de puissants médias conservateurs comme FoxNews, X ou le groupe Bolloré, le discours anti-woke est devenu le cheval de bataille des partis de droite dans le monde entier. Créant et exploitant le mythe du wokisme comme mouvement homogène et totalitaire, l’anti-wokisme est en passe de gagner sa guerre culturelle contre les mouvements qui se préoccupent de la montée des inégalités et de la préservation d’une planète habitable. Comme toute guerre culturelle, celle-ci est politiquement et économiquement motivée. C’est aujourd’hui manifeste avec les récentes et féroces attaques contre la finance durable et les mesures favorisant l’inclusion dans les procédures d’embauche aux Etats-Unis. Des attaques menées au nom de l’anti-wokisme et qui visent une dérégulation totale de l’économie. »

« C'est arrivé, donc ça peut arriver encore : c'est l'essentiel de ce que nous avons à dire »

Ici, Ola Söderström vise la manipulation des esprits par la dette. Pour Raphaël Arnault, « cela montre bien qu’en période de crise, ils s’en contentent. C’est la même chose pour la crise de 1929. Crise économique, sociale puis politique. L’extrême droite débarque toujours quand on perd nos repères, pour faire tout péter. Et le gouvernement lui ouvre la voie. Quant à Trump, il parle de démolir ses voisins. Il n’y a plus de diplomatie. » « Tant qu’on n’est pas en rupture avec le capitalisme, ça ne marchera pas », réagit une spectatrice. « Il ne faut pas se résigner, lui répond le député. On a vu aux dernières législatives notre capacité à se mobiliser. » Le film s’achève sur cette phrase de l’écrivain italien Primo Levi, extrait de Les Naufragés et les Rescapés (Gallimard) : « C’est arrivé, donc ça peut arriver encore : c’est l’essentiel de ce que nous avons à dire ». Même l’Allemagne, d’où vient le film, repart dans ses travers avec ce parti d’extrême droite nommé AfD et désormais deuxième force du pays depuis les dernières législatives, imposant le thème de l’immigration et bénéficiant du soutien de l’administration Trump. Bref, face à l’empire du faux, réveillez-vous et ne tombez pas dans le piège. Osons également parier sur l’incompétence, incarnée chez nous par un certain Jordan Bardella qui s’enfonce dans un populisme destructeur. Aux Etats-Unis, après deux mois de présidence, Trump est d’ores et déjà rappelé à l’ordre par les industriels à propos des droits de douane… Rendez-vous le samedi 22 mars à l’occasion de la journée internationale contre le racisme et le fascisme. Des dizaines de manifestations sont attendues partout en France.

 

Florian Dacheux

© STEPHAN PICK/CONDOR DISTRIBUTION

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