Fév / 17
Rappeur au grand cœur, Demi Portion vient de vivre l’un des moments les plus forts de sa carrière. Chez lui, à Sète. A l’affiche pour la première fois du Théâtre Molière de sa ville natale, scène nationale qui confirme son ouverture en termes de programmation, Demi P a confirmé une fois encore qu’il n’était « jamais dans la tendance, toujours dans la bonne direction ». Il a fait ce qu’il sait faire de mieux. Donner de l’amour un soir de Saint-Valentin. Le poing levé.
Demi Portion, rappeur éblouissant d’amour
«Ce lieu emblématique, je m’en souviens comme si c’était hier : étant petit, j’y venais de ma ZUP avec les parents d’élèves pour récupérer les cadeaux de Noël. » À quelques heures de son premier concert solo au Théâtre Molière de Sète, sa ville natale où il réside toujours, Rachid Daif, de son vrai nom, n’en revenait toujours pas. Artiste indépendant dans tous les sens du terme depuis ses débuts en 1996 en première partie de la Fonky Family, il a tourné avec les plus grands, a rempli l’Olympia et sort d’un Bataclan à guichets fermés pour la sortie de son nouvel album Poids plume il y a tout juste un an. Mais en dehors de ses proches, Sète, omniprésente dans ses textes comme dans ses clips, n’a pas d’égal dans son coeur. Et il n’a pas fallu attendre longtemps vendredi soir pour comprendre que celui-ci s’est mis à battre très fort dès que les rideaux se sont levés. Ému aux larmes dès ses premiers couplets, il a vécu le concert de sa vie. Un soir de Saint-Valentin rempli de visages familiers pour le MC franco-marocain qui jouait pour la première fois avec des musiciens sur scène, accompagnés par l’indispensable DJ Rolxx aux platines. Après avoir offert la première partie à son amie sétoise Morisse, Demi P a lâché ses plus belles punchlines, avant de partager le micro avec les voix graves de Furax Barbarossa et Oxmo Puccino. Face à une scène avec pour toile de fond une peinture de Sète et son dédale de canaux, le public a longtemps hésité entre le assis ou le debout dans ce théâtre peu habitué à l’énergie du hip-hop. Une jolie salle à l’italienne et son lustre tout en cristal où des bandes de potes ont fini par chavirer avec des anciens, des danseurs du coin, des sexagénaires, des couples, des parents avec leurs mômes, des proches, … Un public intergénérationnel et de toute culture. « Ma mère a passé une soirée incroyable. Rien que pour ça, cette date restera magique. »
L’année 2024 n’a pourtant pas été des plus simples pour l’ancien du quartier de l’île de Thau, une ZUP érigée sur l’eau dans les années 1970. « Beaucoup de choses se sont passées, on a charbonné même si on n’a pas pu faire la promo qu’on souhaitait sur Poids Plume. J’ai eu quelques problèmes de famille, ma mère a été hospitalisé. Cela m’a fait faire deux trois remises en question, sur les priorités, trouver des réponses, etc. Il y a pire ailleurs. Il faut relever la tête. On ne va pas se plaindre. Il y a eu la naissance de ma fille. Il a fallu tout gérer en même temps et finalement, grâce à l’équipe, on a réussi à monter une fois encore le Demi Festival et on fait une belle tournée avec Rolxx. » Une prise de recul et une maturité qui n’empêchent pas notre poète d’entreprendre de nouveaux projets en ce début de quarantaine, la transmission et le partage pour maîtres mots. Depuis 2012, il coorganise à la mi-août le Demi Festival, devenu le plus gros rassemblement de rap français en été. Plongé au cœur du somptueux Théâtre de La Mer pendant quatre jours, le public a vu passé Médine, Neg Marrons, Rocé ou encore Rim’K comme têtes d’affiche. Le premier jour, gratuit, offre un concert sur une scène flottante du canal royal sans oublier une session graffitis au CRAC Occitanie. En marge des concerts avec vue sur la Méditerranée, battle de breakdanse et open mic se succèdent. « Avec ce Demi Festival, je suis très heureux d’avoir donné de la force, affirme le rappeur. Aux enfants de reprendre le flambeau. Ce festival, je le vois comme un tremplin. » À l’image de son concert où il a fait participer danseurs et artistes locaux pour le décor. Un concert préparé depuis cinq mois chez La Passerelle, lieu culturel polyvalent de la ville. « Mes racines, la famille sur place, ça me permet de rester lucide. À Sète, tu vas trouver une bienveillance qui est cool. Je n’ai jamais vécu de ma vie à Paris, malgré que j’y vais depuis petit voir Fabe ou La Rumeur. »
En racontant les histoires « 2 chez moi » comme il dit souvent, Demi Portion a su au fil des années toucher un public éclectique captivé par son authenticité et sa créativité. À l’instar des anciennes gloires sétoises Georges Brassens ou Jean Vilar avant lui, Demi P écrit son histoire. « Preuve qu’un petit artiste, d’une petite ville, peut s’en sortir sans grosse machine juste avec le coeur et l’amour du Bic ! Le public pour moi reste la moitié restante de Demi Portion. » Ce public, il n’hésite pas à aller le chercher hors des frontières de l’hexagone. Après un dernier concert en 2024 à Bagnols-sur-Cèze, aux portes de l’Ardèche, il est parti en tournée courant novembre avec DJ Rolxx et Oxmo Puccino du côté du Vietnam pour la seconde année consécutive. « J’ai pris une gifle la première fois. J’avais adoré l’accueil. On a fait des concerts en cherchant où brancher le câble XLR, c’était vraiment hip hop. Vu leur histoire, la mienne en tant que franco marocain, celle de Rolxx qui est d’origine vietnamienne, ça nous fait beaucoup de bien. » Un temps de prise de recul pour le Sétois qui reste marqué par l’actualité. Outre la montée grandissante des idéologies d’extrême droite, Rachid reste très touché par ce que subit le peuple palestinien. « Ce silence, on va le regretter. On est loin de savoir ce qui se passe là-bas. C’est tellement choquant. Ce n’est même plus l’heure est grave. On a dépassé ce discours. À un moment, la colonisation, peu importe l’endroit, faut que ça s’arrête. » En 2015, déjà, sortait son Demi Paix : « On ne peut pas changer le temps, ni la direction des tanks ; On ne peut pas changer le plan, qui va presser sur la détente ? », disait le refrain. Dans son analyse globale de la situation de l’état de santé morale de la société, le rappeur vise également la manipulation de l’information. « Avec les réseaux sociaux, c’est devenu tout et n’importe quoi, entre l’information et la désinformation. Les réseaux sociaux sont devenus le premier tribunal. Aujourd’hui, tu peux tuer ou harceler quelqu’un en quelques minutes avec un hastag, une vidéo ou une fausse info. La bête noire, ce ne sont pas les réseaux sociaux, ce sont les êtres humains derrière. » Demi P, lui, a opté pour l’union depuis bien longtemps. Sa force : fédérer les générations. À la prochaine petit bonhomme devenu grand.
Florian Dacheux
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