Nov / 12
De la réalisation d’un documentaire à la création d’un spectacle, le collectif Kay, emmené par Matthieu Verdeil et Lamine Diagne, célèbre le centenaire des années McKay en France, particulièrement à Marseille. Précurseur de la Négritude, l’écrivain jamaïcain a passé quatre années de sa vie dans la cité phocéenne, de 1924 à 1928. Un coup de cœur inévitable pour cette ville cosmopolite et populaire. Une terre d’accueil pour un auteur majeur en avance sur son temps. Un éclaireur invisibilisé dont les idées progressistes sur les questions raciales, sociales et politiques, résonnent tout particulièrement aujourd’hui.
Claude McKay, ce Marseillais de cœur
C’est en 2006 que Matthieu Verdeil prend la mesure de l’histoire de Claude McKay. Le réalisateur marseillais travaille alors avec le Massilia Sound System. Le chanteur Tatou (Moussu T e lei Jovents) lui fait découvrir Banjo dont l’intrigue se déroule dans la cité phocéenne en 1929. « C’est un roman qui documente le vieux Marseille à travers les cales des marins, les rades, l’arrivée du jazz », décrit Matthieu. Un coup de cœur qui l’embarque dans un travail de près de 15 ans avant d’achever Claude McKay, de Harlem à Marseille. Sur fond d’archives plurielles et de musique swing, ce film documentaire nous plonge dans les années 1920, de Marseille à Harlem, en passant par la Jamaïque, la Russie et le Maroc. De la Harlem Renaissance aux mouvements sociaux en Angleterre. « Précurseur de la littérature des marges, de la cause noire, il a influencé Aimé Césaire, éclairé toute une génération jusqu’à Senghor, poursuit Matthieu. C’est en cela que McKay est un personnage extrêmement important. Son histoire est incroyable. Il a voyagé dans toute l’Europe, côtoyé des figures politiques comme Trotsky, Fitzgerald. Il a traîné avec des vagabonds, des dockers. Ses thématiques sont hyper actuels : intersectionnalité, question décoloniale, genre, racisme, … »
En voix off, on retrouve le conteur et musicien Lamine Diagne avec qui Matthieu va créer dès 2021 un spectacle aux multiples déclinaisons (Kay! Lettres à un poète disparu) dont l’énergie est directement issue d’une jam filmée pendant le confinement. Après une première au Festival Jazz des Cinq Continents en 2023, le collectif Kay enchaîne les prestations, à l’instar de leur venue au dernier Off d’Avignon dans l’antre de la Chapelle du Verbe Incarné, avec la participation de Christiane Taubira.
« Mc Kay était incroyablement moderne, affirmait cet été l’ex-ministre de la Justice qui s’est prêté au jeu d’une lecture. Dans son regard sur la pauvreté, l’exclusion, la justice sociale, la réalité quotidienne, il ne perd jamais la dignité de la personne. Il parle de leurs intelligences, de leurs joies de vie vivre, de leur résilience. L’intérêt de la poésie de la première moitié du 20e siècle, c’est qu’elle est extrêmement scandée, rythmée. Comme le slam ou le rap aujourd’hui. » D’un show à une lecture, Lamine Diagne et Matthieu Verdeil couplent ainsi les arts pour partir à la découverte de cet auteur singulier. Réunis par Lamine, directeur artistique de la Cie de L’Énelle, les membres du Collectif Kay sont tous liés par les cultures urbaines, à l’instar du slameur Mike Ladd. « McKay n’était pas consensuel, témoigne le performeur américain. Il vivait avec les gens, sans honte ni orgueil. » « Peu de gens parlent aussi bien de Marseille que les étrangers, rebondit le rappeur Ilan Couartou. McKay dit : on peut créer dans la déconstruction, le sale. Il est à l’aube de la modernité. Il est encore dans une époque où le port est vivant. Son œuvre, c’est un manifeste non pas pour la mondialisation, qui est une totalité qui efface les différences, mais pour la mondialité. » Un Marseille dans lequel Lamine Diagne s’est totalement reconnu. « En lisant Banjo, j’ai rouvert les yeux sur Marseille, confie le saxophoniste. Le film a été le déclencheur du spectacle. On a envie de faire résonner le Marseille de McKay avec celui d’aujourd’hui. Quelque chose demeure. Par les temps qui courent, c’est en train de devenir une terre d’asile. Marseille est souvent montrée du doigt comme le mauvais élève de la France. Il y a pourtant quelque chose de très précieux, un savoir-vivre millénaire où les gens ne sont pas plus intelligents qu’ailleurs mais ont l’habitude de côtoyer l’étranger, l’étrangeté, et c’est très précieux. » Rendez-vous à Vitrolles le 28 novembre pour « shake that thing », comme chanterait Tatou. Puis secouez-ça les 5 et 6 décembre du côté de Briançon. « If we must die … fighting back », lui aurait répondu McKay. Premiers et derniers mots de son plus célèbre poème datant de 1919.
Florian Dacheux
© R_Arnaud / Collectif Kay / Wikimedia Commons