Jan / 14
À Marseille, l’association Ancrages, qui existe depuis 25 ans, propose formation, documentation, productions journalistiques et actions. Son nouveau site est riche de propositions diverses sur le territoire et au-delà. Rencontre avec sa directrice, Samia Chabani.
Ancrages : une mosaïque de propositions et de ressources
Pouvez-vous nous présenter le nouveau site d’Ancrages ?
Le nouveau site illustre le développement d’un nouveau média, intitulé Diasporik. Ce format est développé en partenariat avec l’hebdomadaire culturel de La Marseillaise, le journal Zebuline. C’est pour Ancrages, l’occasion de partager ses contenus avec le plus grand nombre de lecteurs.trices et de continuer de documenter le territoire autour des questions sociales qui nous concernent dans un format plus grand public. C’est aussi une version renouvelée de nos ateliers d’éducation aux médias qui mobilisent les jeunes des quartiers prioritaires pour les inciter à prendre la parole, s’engager dans les métiers du journalisme et documenter leur quotidien. Notre engagement à développer l’esprit critique comme nous le faisons depuis des années avec l’atelier #Balance ta fakenews reste d’actualité. Nous souhaitons également développer nos actions avec les étudiants des écoles de journalisme et en lien avec l’association Ajar qui combat le racisme dans les productions journalistiques.
Au-delà des articles valorisant les thématiques de discrimination, les podcasts et films sont des formes narratives en projet. Notre chaîne de podcasts, Quartiers d’exil prévoit d’explorer différents contextes migratoires en Méditerranée.
On peut retrouver sur notre nouveau site notre offre de service de formation pour adultes et notre programmation culturelle, toujours en résonance avec les institutions patrimoniales locales et les Festivals.
Le nouveau site d’ Ancrages | Cultures & Mémoires d’exil
C’est une sorte d’aboutissement dans la mise à disposition de ressources ?
J’ai toujours conçu les ressources comme une mosaïque de contenus et d’applications adaptables et différenciées selon les contextes.
Considérant la nécessité de se former tout au long de la vie et au regard des déficits que connaît la société française en termes d’approche multifactorielle des discriminations, de rapport à l’altérité, il reste indispensable d’articuler formation, sensibilisation et facilitation.
En direction des collectivités territoriales et des entreprises, notre expertise prend la forme d’un appui conseil et d’actions d’ingénierie pédagogique. C’est dans une dynamique de réseau que j’ai également conçu Discrimination Zéro, qui met en relation des professionnels sur les discriminations. Ces prestations doivent s’inscrire dans les plans métropolitains de lutte contre les discriminations.
Les plans métropolitains de lutte contre les discriminations ont été rattachés à la politique de la Ville à partir de la loi n° 2014-173 du 21 février 2014, dite Loi Borloo. Cette loi a renforcé les dispositifs de lutte contre les discriminations et a intégré ces actions dans les politiques locales de la ville.
En tant que membre du Conseil National des Villes, je regrette que ce l’ensemble des contrats de ville ne soit pas encore intégré ces plans.
Pouvez-vous nous rappeler ce qui a motivé la création d’Ancrages à ses débuts ?
Les débuts d’Ancrages, il y a 25 ans, étaient marqués par l’ambition d’inscrire les cultures d’exil comme un patrimoine vivant et de sortir les questions migratoires de la dimension instrumentalisée dans laquelle les discours publics les enfermaient. L’enjeu était considérable pour la cohésion sociale et, plus largement, au regard des représentations sociales rattachées à l’existence d’une société cosmopolite – dans un monde où les migrations sont globalisées. Cela impose de conforter la citoyenneté comme un socle puissant et de dépasser les assignations racisantes.
Toutes ces années ont vu le développement du FN/RN jusqu’aux portes du pouvoir. La gauche n’a-t-elle pas raté un RDV essentiel en ne produisant pas de projet qui fasse de notre pluralité une force ?
La gauche française a parfois défendu un modèle qui possédait une dimension racialisante, différencialiste, tellement intégrée qu’elle n’est pas encore totalement déconstruite chez la plupart de nos concitoyens. La revendication au droit d’être différent a maintenu à distance ceux dont l’altérité semblait trop éloignée de l’idée du citoyen français, pour des raisons d’origines, d’appartenance de classe ou religieuse. Les tendances aux crispations identitaires et au repli sont de plus en plus nombreuses et endémiques. L’alternance entre célébration du cosmopolitisme et poussées xénophobes semble devenir la règle.
Les Français méconnaissent encore les origines de l’histoire migratoire. La plupart pensent que l’accueil des migrants est un acte humanitaire alors qu’il s’inscrit depuis des décennies dans une logique de rationalité économique, aux fondements du modèle social et démographique. Le recours à la main-d’œuvre migratoire a été au cœur de la logique productiviste. La question de l’héritage colonial et de ses traces profondes dans la société et la politique françaises est indéniable. Comme l’illustre l’actualité, le monde est encore traversé de conflits qui s’inscrivent dans le sillon des décolonisations. Ainsi, les conflits de frontières, de zones d’influence montrent comment la géopolitique impacte jusqu’au local. Dans le concert des nations, les diasporas jouent un rôle de plus en plus considérable.
Les minorités mondialisées ne sont plus seulement connectées à leurs pays d’origine, elles le sont aussi entre elles et comptent peser de leur poids pour défendre une mobilité universelle et les Droits humains. L’ensemble des pays notamment démocratiques doivent prendre en compte cette nouvelle dimension.
En d’autres termes, l’antiracisme est-il suffisant pour stimuler une vision de société qui inclut notre pluralité parmi ses potentiels ?
L’antiracisme déclaratif et incantatoire a fait son temps et les promesses ne valent que pour ceux qui y croient ! La ségrégation territoriale est suffisamment manifeste pour que l’exigence de résultats se fasse enfin jour. À la lutte sans concession contre le racisme de toute sorte, il est indispensable qu’une véritable politique publique de lutte contre les discriminations s’exerce via les tribunaux et favorise le droit au recours.
En parallèle, il faut poursuivre les actions de formation au sein des entreprises dont les services de Ressources Humaines ne sont pas nécessairement formées sur ces questions, autrement que dans les mêmes stratégies commerciales que celui du greenwashing appliqué à la diversité. Il faut donc garder l’ambition que la RSE s’ouvre davantage aux questions de diversité et travaillent sur les procédures de recrutement, de carrière et de transition en interne.
L’ensemble des ressources susceptible d’avancer sur ces questions participe de notre projet associatif.
Recueilli par Marc Chebsun