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Fév / 23

« Le ghetto, c’est la maîtrise d’un seul langage » Casey

By / akim /

« Le ghetto, c’est la maîtrise d’un seul langage » Casey

Profession électron libre. Qu’elle joigne sa plume à celle d’un collectif ou mitraille sa prose sur un projet solo, qu’elle joue du Shakespeare ou supervise des ados rappeurs en herbe, Casey ne fait que ce qu’elle veut. Ni girly, ni zouk. Sombre, oui. Sa manière d’attraper la vie à bras le corps : la dire, et en rire.

Qu’est-ce que la langue française pour vous ?

C’est ma langue maternelle, donc je n’ai pas vraiment de recul… Je pense en français. J’en aime les différents niveaux de langage, le côté vivant, que je retrouve beaucoup chez les gens modestes, plus que dans l’élite où le français est vraiment figé, pris dans la naphtaline.

 

Votre expression favorite ?

Une qui me fait rire : « Essaie pas de me lober. » Ça veut dire : « N’essaie pas de me mentir. » Ça vient du foot. On invente tout le temps des expressions.

 

Chaque groupe crée son propre dialecte ?

Oui. Chaque corporation a sa façon de parler. Les juges, les avocats, les flics, les bouchers.

 

Et quand on n’a pas de métier ?

Ah, il y a le langage du chômage aussi ! Chez nous on appelle ça le gouffre, le trou. « Alors, t’en es où dans le gouffre ? – Ben, là j’creuse ! » On prend les événements durs de nos vies et on essaie de les mettre à distance, d’en rire.

 

Qu’est-ce qui vous a fait aimer les mots à ce point ?

À l’école déjà, ça me plaisait bien. Et puis avec la musique, l’intérêt a grandi. Je parle ghetto, mais si j’écris, je puise dans tous les registres du langage. Quand j’ai commencé à faire du rap, je voulais dire : « Nous aussi, on a accès à la langue, mais cool, quoi ! » Pas besoin de créer une langue engoncée, surfaite. Ce n’est pas le café de Flore. Vivre en cité et pouvoir affirmer avec orgueil : « Les mots, on les connaît, c’est pas un problème »… Pas besoin d’être dans la posture pour manier les mots !

 

Dans vos ateliers d’écriture, quelle langue utilisent les jeunes que vous rencontrez ?

À seize ou dix-sept ans ils veulent aller trop vite. Quand je leur demande de bien orthographier les mots, c’est n’importe quoi parce qu’ils écrivent dans le langage   

« texto ». Je leur dis que le français du rap est exactement celui de l’école. Je veux qu’ils comprennent qu’il y va de leur intérêt de soigner leur langue et leur écriture : c’est là-dessus qu’ils seront jugés.

 

Donc parler la langue française cool, oui, mais pas tout le temps ?

Le ghetto, c’est la maîtrise d’un seul langage. Il y a des ghettos de riches comme de pauvres : ceux qui ne parlent que d’une seule façon sont dans un ghetto ! Les mieux lotis savent manier les différents niveaux de langage : celui de l’administration, celui des potes, celui du travail… Et je trouve que nous, habitants des quartiers, on jongle avec bien plus de langages que l’élite ne le fait.

Ma parole est mise en péril – ou passe pour stérile – par ceux
qui n’attendent de moi qu’un profil servile, une cervelle
spongieuse, un buvard pour leurs conneries,
un réceptacle, et doutent du spectacle des antres crapuleux.
Ce n’est pas la langue de bois que j’affectionne sur le papier,
je planche comme un manoir se penche
sur une page blanche.

Casey, La parole est mienne (extrait)

RETROUVEZ CET ARTICLE DANS LA REVUE PAPIER NUMÉRO 1

Texte recueilli par Anastasie Tudieshe

 

 

akim