Chantal Loïal danse les mémoires de l’esclavage et du colonialisme

Sep / 09

Chantal Loïal danse les mémoires de l’esclavage et du colonialisme

By / akim /

DANSE : « LA PLURALITÉ, C'EST L'AVANT-GARDE! »

Sa compagnie, Difé Kako, revisite les traces méconnues de notre mémoire collective. Sa dernière création, Château rouge, met en mouvement le célèbre quartier africain de la capitale, sa « joyeuse agitation », mais aussi son malaise derrière « cheveux synthétiques, et crèmes éclaircissantes ».
Artiste lumineuse, Chantal Loïal peut aussi être en colère. Particulièrement lorsqu’on lui refuse d’être reconnue comme « contemporaine », selon une norme fixée par des institutionnels. « Oui, je suis dans l’avant-garde, parce que je suis dans la pluralité. Je l’assume, ce qui n’est pas le cas de cette société. Donc, si ça n’est pas de l’avant-garde, il faudra m’expliquer ! »
On t’appelle Vénus, Noir de boue et d’obus, Soyez vous-même tous les autres sont déjà pris (une citation de Oscar Wilde)… Les titres de ses spectacles ouvrent une première porte sur des imaginaires qui se nourrissent autant d’histoire (l’exhibition coloniale, l’exploitation des corps, la guerre de 14-18…) que d’introspection intimiste.
Oui, Loïal est en colère. « Dans les commissions au ministère de la Culture, on trouve des gens qui ont une vision hyper cliché de notre travail, ils nous enferment dans un aspect « folklorique » (venant d’eux, un terme péjoratif) et définissent, à partir de leurs critères, ce que sont la danse « contemporaine », l’avant-garde, bref, l’art en général. Ils veulent nous faire entrer dans un moule dont ils définiraient les contours, dans le déni de ce que nous sommes. Les Antilles, là d’où je viens, sont un laboratoire sous influence de l’Europe, de l’Afrique, des Caraï­bes. Nous sommes sur un triangulaire d’où est née la créolité. Une grande richesse… Je revendique cette origine et, dans le même temps, une universalité. Je suis tout le temps au combat. »
Les normes, elle n’en veut pas. « Ma création ne relève pas de l’abstraction, et alors ? Je suis parfois dans le figuratif et n’en ai aucune honte. Je suis une artiste engagée, je raconte des histoires et transmets un message. Mais il faudrait être au-dessus de tout ça pour accéder à la reconnaissance… Je suis dans un corps théâtral, dans l’échange. Et j’ai un vrai public ! Je mêle danse hip hop, antillaise, africaine, classique, orientale à des musiciens, une chanteuse lyrique, des acrobates. Je travaille sur l’homophobie, sur les femmes. Je ne formate pas les corps. La mixité dans la danse, ce n’est pas de l’avant-garde ? »
En 2015, Loïal loupe de peu la direction du Centre chorégraphique de Nantes. « On m’a reproché mes engagements sur la mémoire, jugés has been. Si la culture ne se saisit pas de la question mémorielle, qui va le faire ? Je veux bien qu’on parle de diversité, mais si c’est pour évacuer cette dimension, ce n’est pas la peine. »

RETROUVEZ CET ARTICLE DANS LA REVUE PAPIER NUMÉRO 3

Texte : Marc Cheb sun

Grande image : Patrick Berger

 

akim