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Oct / 21

COMME UNE REINE ! par Maïmouna Haïdara

By / akim /

COMME

UNE REINE !

par Maïmouna Haïdara

Mes mains sont moites, je les tortille dans tous les sens, mes escarpins me broient littéralement le petit orteil gauche, mon coeur bat la chamade tel un spectacle de sabar*. Comme d’habitude, je dois compresser au maximum mes fessiers pour éviter le pire.

– Vous souhaitez de l’eau peut-être ?

Depuis deux ans qu’elle travaille pour moi, Kim est une excellente assistante : rapide, efficace et réfléchie. Avec elle, rien ne va de travers. Tout est impeccable, même ses cheveux. C’en est même parfois agaçant. Pour autant, elle ne comprend toujours pas, qu’avant une conférence, j’ai besoin d’être seule, loin de sa chevelure.

– Non merci Kim, je vais rester seule un moment.

– C’est à vous dans une minute quarante.

– Je sais Kim, merci (je lui réponds, sourire crispé aux lèvres).

Cette conférence sera le point culminant de ma carrière, ma Coupe du monde à moi. J’entends les bruissements de l’assistance qui s’impatiente, entrevois – cachée derrière le rideau – le visage angélique de ma mère au troisième rang. Je serre un peu plus fort.

– Il faut y aller madame, maintenant !

Le ton ne me laisse guère le choix, je me décide à entrer dans l’arène. Si l’habitude n’a pu gommer les symptômes du stress, elle a, au moins, réussi à préserver les apparences. Sapée comme jamais, j’entre d’un pas assuré sur fond d’applaudissements et dégaine mon précieux sourire Colgate Max White. Les deux mètres trente jusqu’au pupitre me paraissent extrêmement longs. Je pose mes mains tremblantes derrière le micro, à l’abri des regards. Le projecteur central m’aveugle, mais j’adore cette sensation. Il me réchauffe le crâne et me permets de balayer du regard la salle sans réellement voir. Je savoure ce moment. Je prends une grande inspiration puis commence le décompte : un, deux, trois.

« Braves gens, prenez garde aux choses que vous dites… »

Ça y est, this is it ! Ce discours, le plus difficile que j’ai eu à écrire, il coule à présent de mes lèvres avec une facilité inouïe. Arguments, contre-arguments, exemples, blagues, anecdotes, données chiffrées s’enchaînent au rythme des silences et rires de la foule. Je suis dans mon élément, dans mon océan, at home. Mon regard s’attarde une demi seconde sur le visage admiratif de ma mère et je sens les larmes monter.

Comment en suis-je arrivée là, à cet instant éphémère de bonheur et de plénitude complets ? À quel moment ai-je pu déjouer les statistiques accablantes qui me poursuivaient tels des agents de l’administration fiscale ?

Dans une vie, il arrive un événement qui bouleverse le sens de votre existence et lui fait prendre un tournant inattendu. Vous savez, ce moment qui déclenche l’engrenage de ce qu’on appelle l’effet papillon : chaque acte est à l’origine d’une chaîne d’événements dont il dépend. L’effet papillon.

Perchée sur mes bourreaux de dix centimètres, j’arrive au terme de ce qui sera probablement ma plus belle conférence, j’esquisse un sourire. La fouille archéologique cérébrale vient enfin de s’achever : ça y est, j’ai trouvé mon papillon.

C’était un mardi. Je me revois avec mes longues tresses rouges, mon jean patte d’eph’ et mes horribles fausses Timberland bleu marine que ma mère m’avait si fièrement offertes. Ce mardi… Plantée devant la porte jaune du CDI du collège. La prof d’art plastique une fois de plus absente, je décide de passer cette heure de perm’, comme on les appelait, à jouer au Adibou, un jeu vidéo ludo-éducatif qui mettait en scène un p’tit extra-terrestre aux oreilles étrangement pointues. Là, j’aperçois cette affiche… Cours de théâtre gratuit. Pourquoi ne pas être restée fixée sur mon Abidou, et passer niveau sept ?

Le lendemain soir, je me retrouve direct devant la porte rouge du théâtre municipal !

Nous sommes alors une petite dizaine. Une grosse femme aux cheveux roux, lunettes Harry Potter et blouse rose modèle dame de cantine, nous ouvre la porte avec un tonitruant : « C’est par là ! » Nous arrivons dans une grande pièce sombre. Rien à voir avec les salles de théâtre des séries américaines sur Disney Channel. Un peu décontenancés, nous nous dirigeons vers le premier rang. Et c’est là que nous l’entendons : « Tous sur scène !!! » La voix de Walid… L’homme qui sera notre professeur de théâtre toute cette année (mais je ne le savais pas alors), et le mien pour un temps bien plus long encore. « Déambulez dans tout l’espace ! » Une sensation nouvelle éclôt en moi, juste à cet instant : mes mains sont moites (et oui, déjà), je transpire comme jamais dans mes fausses Tim’, avec une envie pressante-pressante et, comme si cela ne suffisait pas, me voilà aveuglée par cette lumière jaune blafarde.

Ce jour-là, je me suis d’abord promis de ne plus jamais remettre les pieds dans ce théâtre. D’abord pourquoi étais-je venue ? Aujourd’hui encore je ne saurais y répondre.

C’est à ce moment-là que Walid nous a demandé de, tous, nous figer sur place, et m’a pointée du doigt : « Toi là, prends ce texte de Victor Hugo, lis-le à voix haute, et avec force. Lis-le comme si ta vie en dépendait, comme si tu en étais l’auteure, lis-le comme une reine ! » À la fois fébrile et excitée, j’ai pris le texte, jeté un dernier coup d’oeil à Walid, et me suis exécutée : « Brave gens…Prenez garde aux choses que vous dites !… »

*Spectacle de percussions sénégalais.

RETROUVEZ CET ARTICLE DANS LA REVUE PAPIER NUMÉRO 3

Texte : Maïmouna Haïdara

Image : École Miroir

Categories : Fictions
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